Dis-moi, coco, on t’a déjà expliqué ce qu’est un média ? oui, oui, on t’a dit que la télé c’est un média, que la radio c’est un média, que la presse, que tout ça c’est des médias. Mais ça n’explique pas vraiment ce qu’est un média. Déjà parce que ça ne dit pas ce que signifie le mot média. On te dit que c’est un moyen d’information, et avec ça t’es content.
Media vient du latin medium qui signifie milieu, centre. Le média, il est au milieu de quoi ? Au milieu entre « le monde » et moi. Je mets « le monde » entre guillemets pour dire qu’il faudrait réfléchir à ce mot avant de l’employer, mais en ce moment j’ai pas le temps, c’est de média dont je m’occupe.
Donc média est au milieu, entre moi et « le monde », et si tu veux aller à ce monde, il te faut passer par lui le média. Dans l’histoire, tu n’as pas l’accès direct au monde, tu dois passer par quelque chose, un moyen d’« information », là aussi je mets des guillemets pour dire qu’il faudrait également réfléchir à ce mot.
Pour l’instant je n’en dirai pas plus que ça : le média te met dans une certaine « forme », il te « formate », il fait de toi un fromage (un fromage, autrefois ça s’appelait un formage, parce qu’on met le caillé dans une forme, un moule).
Bon, et ça a quel rapport avec la confiture ça ? Le rapport c’est que déjà c’est plus
moi qui observe, regarde ce monde. « Les scientifiques disent que bla bla bla ». « D’après le CNRS bla bla bla ». « La revue Nature (de ma connerie) publie un blablabla ». Le média, il vient pas te dire : « Alors, t’as observé les oiseaux ? T’aurais des choses intéressantes à nous dire à ce sujet ? » Non, il te dit « les oiseaux disparaissent », ou quelque chose comme ça. Alors, toi tu vas dire à ton voisin « dis, t’as vu les oiseaux disparaissent, c’est vrai, ils le disent dans le journal, à côté de la rubrique obsèques.
T’as vu, le Fernand, il vient de mourir, son enterrement c’est demain à 11h, à l’église, c’était dans la rubrique obsèques. Ah, à propos des zobs secs, il faut que je te raconte ... »
Le média, il s’est mis entre toi et les oiseaux, mais la langue aussi s’est mise entre toi et les oiseaux. Quand tu as mis un nom sur ces machins qui volent, qui font cui cui, ou roucouroucourou, t’en as fait des trucs qui n’ont plus rien à voir avec toi.
Des objets en quelque sorte. T’as éloigné ces trucs de toi, tu n’es plus lié à eux, ils te sont extérieurs, et tu regardes leur disparition comme la fin d’une espèce, la fin d’un monde, avec lequel tu n’as rien à voir.
L’effrayante réalité, si je ne sépare plus les oiseaux de moi, si je n’en fais plus des objets, des choses, des machins, regarde comme avec le vocabulaire scientifique on en fait des machins précis,
si je n’en fais plus des machins extérieurs, mais une partie intégrante de moi-même, avec bien d’autres machins encore, l’effrayante réalité c’est que je ne peux pas séparer les oiseaux de moi-même, et que cette part de moi-même est en train de disparaitre à une vitesse stupéfiante.
Il faut faire quelque chose, alors ! Il faut agir : on va faire des nids pour les oiseaux. Monsieur le Directeur du Grand Supermarché qu’on a construit sur le beau champ, là, au sortir de la ville, vendez-nous des nids pour qu’on les mette dans nos jardins pour que les petits oiseaux viennent y nicher. (Nichons, nichons, disent les oiseaux). Le Directeur du Grand Supermarché « Mais certainement, il y a des couilles en or à se faire avec les nids pour les oiseaux ! Comptez sur moi, je vais faire tout un rayon ».
Ce ne sont pas les oiseaux qui disparaissent, c’est tout un ensemble auquel nous assistons, l’effondrement de nous-mêmes sur lequel nous ne pouvons plus rien, sauf, peut-être, le ralentir un peu, en s’asseyant au bord de la route, en regardant le soleil se lever et se coucher, en respirant l’odeur de la rosée le matin. En écoutant avec avidité le chant des derniers oiseaux s’éteindre. Marcher à pas très lents pour ralentir l’effondrement.
Le ralentir un peu, peut-être, mais si peu, si peu ...
Forum de l’article