Les fronts de luttes pourraient se rejoindre et se multiplier ?
Loi Darmanin : le deuxième front - Anzoumane Sissoko et Denis Godard défendent l’idée que le deuxième front ouvert par le gouvernement sur l’immigration n’est pas une diversion. Et que le mouvement sur les retraites a tout à gagner à articuler le combat sur les deux fronts. Et aurait beaucoup à perdre en ne le faisant pas.
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Le 1er février, en plein conflit sur les retraites, Gérald Darmanin a présenté le projet de loi immigration au Conseil des ministres. Et confirmé que ce texte déjà infâme… allait encore être durci.
La convergence des agendas n’a rien du hasard. Et au-delà du cynisme des manœuvres politiciennes vis-à-vis de la droite, la combinaison de ces deux lois (mais aussi des attaques sur le logement ou sur les assurances chômage) a une logique globale.
Et nous aurions tout à perdre à les dissocier dans le mouvement de riposte actuel.
Car le deuxième front ouvert par le gouvernement sur l’immigration n’est pas une simple diversion qu’il faudrait ignorer pour se concentrer uniquement sur la question des retraites.
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Mais ce n’est pas une diversion aussi parce que, au-delà des nouveaux reculs pour nos libertés à tous et à toutes que porte ce projet, sa logique nourrit celle qui est portée par l’attaque sur les retraites.
Alors, s’il l’emporte à l’issue de la séquence actuelle, le pouvoir aura mis en place une société encore plus fracturée, atomisée et raciste soumise à un État fort brisant toute notion de solidarité.
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C’est à cela que voudraient nous réduire Darmanin et Macron : bosser ou rapiner. Si tu ne bosses pas, tu rapines. Si tu ne veux pas être dans la catégorie « rapine » il faut bosser. Et il suffit de traverser la rue pour pouvoir « bosser ». Bosser jusqu’au tombeau, bosser dans n’importe quelles conditions (celles des patrons), à n’importe quel prix.
Et si tu n’acceptes pas, alors ça veut dire que tu rapines. Le crime ce n’est pas de tuer ou de violer, c’est de bénéficier des allocations chômage ou de la retraite ou du droit à un salaire décent. Le crime c’est l’idée même de solidarité.
Bosser jusqu’à crever. A la RATP, depuis octobre, une prime de 150 euros par mois a été mise en place. La condition : ne jamais être absent, que ce soit pour maladie ou parce que ton gamin est malade… ou pour grève.
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Ce sont ces conditions de « haute exploitation » (salaires faibles, conditions de travail dégradées, durée du travail) qui expliquent les difficultés patronales à trouver une main d’œuvre « légale » qui les accepte sur la durée.
Alors, avec l’attaque sur les retraites, sur l’assurance chômage, contre les immigré·e·s, l’État veut forcer les séniors, les chômeurs et chômeuses, les bénéficiaires du RSA et les étranger·e·s à « bosser » à ces conditions. Avant de généraliser ces conditions pour tou·te·s.
Celles et ceux qui ne veulent pas ? Qui exigent l’égalité des droits, des revenus décents, de meilleures conditions de travail ? Ce sont celles et ceux qui « rapinent ». Celles et ceux dont « on » ne veut pas.
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Le « on » de Darmanin est volontairement indéfini mais porte tout le venin idéologique de la politique du pouvoir. Il dit « viens faire partie de notre « on », celui du pouvoir, des riches et des patrons. Qui masque sa réalité de classe derrière la nation, la patrie, les « valeurs » de la République.
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Sur la question des retraites, pour l’instant, Macron, Borne et Darmanin, n’ont pas réussi à prendre la majorité d’entre nous pour des « on ». Pour l’instant. Il n’est pas sûr que ce soit le cas sur la question de l’immigration.
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- Gagner uniquement le retrait de la réforme retraites serait une forme de défaite
- Picorer les miettes rances ou se révolter pour dire stop et bâtir autre chose ?
A force, il y a des victoires qui ressemblent à des défaites
Obtenir des augmentations de salaires pour suivre l’inflation ou faire annuler cette « réforme » retraites sans rien changer au rapport social capitaliste, sans rien changer à notre privation de pouvoir politique et économique, sans remettre en cause le système du travail imposé par l’Etat-Capitalisme, sans s’interroger sur la valeur-travail, est une forme de défaite, pas une victoire.
C’est une défaite parce qu’on ne change rien au système qui défonce la planète et nous avec, on s’y fait juste, temporairement, une place un peu moins inconfortable.
Ces « victoires » sont la défaite de tout changement réel, ces « victoires » sont l’acceptation tacite ou revendiquée de l’allégeance au système industriel et à l’Etat-capitalisme.
Pourvu que les miettes ne sont pas trop petites, et on acceptera sans trop broncher notre sort d’esclave voué à subir le réchauffement climatique, la catastrophe quotidienne qu’est le système industriel, les ravages écologiques, la précarité et la détresse, l’impuissance et la soumission.
Pourvu que les miettes ne sont pas trop petites, et on ne cherche pas à imaginer de toutes autres sociétés, qui soient soutenables et vivables pour toustes ?
Bien sûr, on pourrait dire qu’à défaut de révolution, faut bien que les gens survivent pas trop mal comme ils peuvent, que la galère des fins de mois est une réalité. Mais le défaut de révolutions (de changements radicaux positifs) détruit les conditions d’une planète habitable, et donc empêchera même ici toute forme de survie et de bien vivre.
Un peu comme une guerre, mais qui dure et avec des effets encore plus profondément destructeurs.
Est-ce que s’adapter à une guerre, s’y résigner, est une victoire ?
La Mégamachine mène une guerre sans merci aux humains et aux mondes vivants, ne pas attaquer ses bases idéologiques et matérielles est une défaite.