Une analyse critique de "la Gauche", des syndicats dominants, de la gauche radicale, etc. qui semble dure, mais qu’on est bien obligé de partager en très grande partie.
Des constats sont là, et la lutte pour les retraites en 2023 a enfoncé le clou.
Qu’on soit d’accord ou pas avec ces deux articles, ils ont le mérite de (re)mettre les pieds dans le plat de certaines questions cruciales.
Comment se sortir de l’ornière ?
Conflit de classes inversé, l’épine dans le pied des luttes sociales
Conflit de classes inversé, l’épine dans le pied des luttes sociales - Hiver 2023, mouvement social contre la réforme des retraites. Fonctionnaires, salarié·e·s d’entreprises publiques, étudiant·e·s sont en grève et dans la rue. Caissier·ères, ouvrier·ères du bâtiment, femmes de ménage, livreurs deliveroo et autres salarié·e·s de la « deuxième ligne » sont au taf. Les classes moyennes peuvent-elles faire seules la révolution ?
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Il faut dire que si les milieux populaires se détournent aujourd’hui des organisations politiques de la gauche électoraliste (comme le montre le vote ouvrier), ils ont de bonnes raisons : lorsqu’en 1981, le Parti socialiste de François Mitterrand, allié au Parti communiste, est arrivé au pouvoir en France grâce, comme indiqué plus haut, aux votes des ouvrier·ère·s et des employé·e·s, ces derniers étaient remplis d’espoir. L’annonce des résultats a entraîné des scènes de liesse populaire dans les rues de tout le pays. Mais ils ont vite déchanté.
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Puisque le changement de société promis par la gauche révolutionnaire avait débouché sur une dictature et que les promesses réformistes de la gauche de gouvernement n’étaient qu’un leurre, les classes populaires se sont rabattues sur leurs chances limitées de réussite individuelle, c’est-à-dire de parvenir à un minimum de bien-être matériel.
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Arrivé au pouvoir, François Hollande apportera sa pierre à l’édifice avec la « loi travail », qui détricote le code du travail au détriment des plus vulnérables.
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Une autre cheville ouvrière de la gauche, les syndicats, souffrent eux aussi d’un désamour qui a été croissant au cours de la deuxième moitié du siècle dernier : la confédération générale du travail (CGT) comptait 5 millions d’adhérents à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, elle n’en compte plus que 650 000 à l’heure actuelle. Mais surtout, sa base ouvrière s’est effilochée avec le temps, et c’est dans le public que la cégète reste majoritaire. Si les renoncements des centrales syndicales et l’abus de pouvoir de certains potentats syndicaux ont pu participer à discréditer les syndicats, le rouleau compresseur de la propagande de droite est probablement le principal responsable de cette désertion
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La prise de pouvoir par des partis et la grève n’ont pas toujours été les seules perspectives de progrès social de la gauche. Historiquement, les valeurs du camp anticapitaliste se sont aussi incarnées dans le mouvement coopératif et autogestionnaire. Celui-ci était à l’origine fortement implanté dans la classe ouvrière. Il permettait aux prolétaires d’envisager un meilleur sort que celui que leur réservait le travail dans les usines des grands industriels.
Mais au XXe siècle, certaines coopératives grandiront au point de devenir des mastodontes économiques de mieux en mieux accordés au grand concert du capitalisme (cf Lactalis, bien sûr), et de plus en plus éloignés des principes du socialisme utopique.
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Si la gauche de gouvernement, les syndicats et le mouvement coopératif ont pris leurs distances avec les classes populaires de manière plus ou moins assumée, qu’en est-il des mouvements de la gauche radicale et anti-autoritaire, qui continuent de se réclamer de la lutte contre le classisme ? Force est de constater qu’il est loin, le temps des « établis », qui se faisaient embaucher dans les usines pour y pousser les ouvriers à se révolter. Aujourd’hui, les milieux révolutionnaires et anarchistes sont composés de personnes très majoritairement issues de la classe moyenne supérieure, et qui y appartiennent pour ainsi dire toutes. Leurs liens avec les milieux prolétaires sont devenus ténus, et souvent compliqués. Depuis les années 60 et 70, les militant·e·s radicaux, peu ou pas concerné·e·s par les problèmes sociaux, la précarité, le manque d’instruction, les emplois pénibles et la pauvreté, se sont tourné·e·s vers des questions qui les touchent davantage, et qui présentent aussi de plus importantes perspectives de victoires
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Ce divorce n’est pas sans conséquences sur la capacité de la « gauche » à amener un changement social, sans parler de révolution. Le fait que, comme ça a été évoqué plus haut, les personnes engagées à gauche aujourd’hui appartiennent à des catégories de la population avantagées socialement a une conséquence : quoi que nous pensions du système socio-économique, quelle que soit l’indignation qu’il soulève en nous et notre conviction qu’il est néfaste, il ne nous atteint pas physiquement. Si nous sommes donc prêt·e·s à nous engager dans la lutte contre ce système, et parfois à prendre certains risques, nous sommes tout de même rarement prêt·e·s à perdre notre situation financière, matérielle et sociale, ou encore notre liberté. Si bien que nos actions restent logiquement le plus souvent symboliques.
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C’est très vraisemblablement en grande partie la raison pour laquelle la Macronie a eu beaucoup plus peur du mouvement des Gilets jaunes que, par exemple, des manifs sauvages contre la réforme des retraites. Les GJ étaient, pour beaucoup, des galérien·ne·s, des gens qui n’avaient pas grand-chose à perdre, et ne luttaient pas avant tout par désaccord idéologique, mais parce que leur vie était rendue invivable par la politique de favoritisme classiste du pouvoir. Ils n’avaient rien à perdre, et étaient donc plus imprévisibles que nous. De plus, ils et elles étaient aussi potentiellement plus sympathiques aux yeux d’une part importante de la population.
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Nous ne vivons pas une période révolutionnaire. Ou si on est, comme certain·e·s le pensent, dans une période pré-insurrectionnelle, ce sont plutôt les nervis fascistes qui menacent de se soulever.
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De toute évidence, l’ensemble de la « gauche » a fait fausse route ces 40 ou 50 dernières années en s’éloignant de sa base historique, les milieux ouvriers, et en les laissant basculer à la droite de la droite. Au point qu’aujourd’hui, le conflit de classes s’est en quelque sorte inversé : tandis qu’une majorité de celles et ceux qui se trouvent au bas de l’échelle sociale adhèrent aux idées de droite favorables aux classes supérieures, ce sont des personnes plutôt bien placées dans la hiérarchie sociale qui constituent les forces vives de la gauche égalitariste. Avec pour corollaire le fait que, comble des combles pour les secondes, elles sont souvent assimilées par les premiers au camp macroniste, c’est-à-dire à des « bobos » éduqués, aisés financièrement, cultivés, qui ne connaissent ni leurs modes de vie ni leurs problèmes, et les méprisent.
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S’il est vrai, comme les statuts de l’AIT rédigés par Karl Marx l’affirmaient, que « l’émancipation de la classe ouvrière doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes », alors la gauche de classe moyenne supérieure du XXIe siècle n’a aucune chance de vaincre le capitalisme, et le monde se dirige inexorablement vers une nouvelle période d’autoritarisme, de repli sur soi xénophobe et de guerres mondialisées, qui pourrait aller plus loin encore dans l’horreur que les précédentes du fait des moyens financiers et technologiques inédits dont disposent les puissants.
Cette évolution est-elle inéluctable ? Quelle que soit la force des grandes tendances qui traversent une société, rien n’est jamais joué à l’avance. On peut se mettre un peu de baume au cœur en se rappelant que l’Internationale n’était pas elle-même constituée que de prolétaires : elle comptait de nombreux intellectuels dans ses rangs (dont Marx, qui était fils d’avocat, et Bakounine, issu d’une famille aristocratique). Or, si ces différences d’origine sociale ont parfois provoqué des conflits, elles ne l’ont pas empêchée d’être à l’origine d’un mouvement révolutionnaire qui a, dans la première moitié du XXe siècle, renversé les tsars et fait vaciller la bourgeoisie à plusieurs reprises en différents points du globe.
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Pour inverser la tendance actuelle et pouvoir espérer un avenir à la hauteur de ce passé, la « gauche » d’aujourd’hui n’a pas d’autre choix que de faire son autocritique et de s’atteler au plus vite à combler le fossé qui la sépare des classes populaires. Ce qui suppose de questionner nos modes d’organisation relevant d’habitus ou de codes sociaux excluants (omniprésence de l’écrit, réunionnite, etc.) ainsi que notre idéalisme et notre dogmatisme, qui sont des postures intellectuelles marquées socialement, pour renouer avec le pragmatisme dans les luttes (les plus précaires ont besoin de manger et de se loger, très concrètement) et porter en actes une critique du capitalisme susceptible d’emporter l’adhésion de ses laissés pour compte. Le défi est considérable, mais il constitue peut-être notre seul espoir.
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article en entier : https://rebellyon.info/Conflit-de-classes-inverse-l-epine-dans-25893
- Echecs, impasses et renoncements de « la gauche » : (re)trouver une voie révolutionnaire
Conspirer et surgir
Conspirer et surgir - Adresse aux révolutionnaires de France
La révolution est une affaire de rupture.
Faut-il faire gagner le mouvement social ? Non. Les forces se reconnaissant comme révolutionnaires doivent cesser de se comporter comme les sous-traitants de la Gauche en matière de stratégie. Elles n’ont pas à penser les modalités d’un combat dont elles ne partagent ni l’éthique, ni les moyens, ni la fin. Nihil ex nihilo : si aucun nous effectif n’émerge de la Gauche, c’est qu’aucune existence collective révolutionnaire n’est possible dans son désert. Elle est une force conservatrice par nature. Son progressisme n’est qu’une facette de l’évolution de la domination politique. Les révolutionnaires n’aspirent pas à la modernisation de l’état actuel des choses, mais à son abolition. Quiconque prétend devoir et pouvoir gérer la misère totale qui règne sur nos vies avant de lui en venir à bout est un ennemi mortel ne demandant qu’à se découvrir ou à être découvert. À commencer par le florissant personnel politique et syndical, toujours prêt à prolonger d’un millénaire le calvaire de l’exploité à la seule fin de lui conserver un défenseur.
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Le surgissement des Gilets Jaunes a matérialisé la possibilité d’une existence et d’une pratique politiques autonomes. L’intervention tardive de la Gauche au sein du mouvement, sa volonté d’abord de le structurer puis de lui offrir une direction, s’est avérée mortifère puis nécrophage
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Nous avons eu tort d’attendre des syndicats un appel à la grève générale reconductible. Ils n’en ont ni l’ambition ni les moyens. Leurs tentatives de récupération manquent systématiquement de panache. Le seul objectif à la hauteur de leur acéphalie tient dans la reproduction des rituels d’invocation de leur Échec, et du marasme métaphysique qui fait office de constitution mentale aux exploités de la civilisation métropolitaine. Le second mouvement contre la réforme des retraites n’y échappe pas : l’œcuménisme affiché par les directions réunies en intersyndicale n’aspirait à aucune victoire, mais répondait directement à cette nécessité de reprise en main de la contestation
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Nous détestons la gauche et la démocratie. Nous conspirons contre elles. Nous réfutons l’idée selon laquelle la voie révolutionnaire devrait croiser la voie réformiste. L’hypothèse selon laquelle la possibilité d’une révolution dépendrait de notre capacité à combiner une stratégie insurrectionnelle et une stratégie légaliste est une ineptie sans nom. Représentativité, monopole institutionnel de la politique et de la violence, soumission de l’activité humaine à une logique productive, réduction des rapports sociaux à des actes de consommation, légitimité exclusive de l’appareil d’État à se porter garant de notre survie : les bonnes intentions de la Gauche cachent mal l’enfer qu’elle nous pave.
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Révolution politique ou révolution sociale ? Plus nous permettons la modernisation de l’État, plus il est difficile de s’extraire de ses filets. Nous répétons, comme d’autres avant nous, que l’État moderne n’a pas toujours existé. Nous lui survivrons. Nous avons tout à construire, donc nous devons tout ruiner ; faire table rase et mettre l’État au musée des antiquités, à côté du rouet et des députés de gauche.
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Il est temps de rompre avec les conceptions de la victoire héritées de la Gauche. Il est temps de penser par et pour nous-mêmes. La restauration de l’État-Providence n’est pas une victoire. Pas plus que l’évolution de la forme politique vers une République représentative davantage proportionnelle, disposant de plus d’outils référendaires, donnant plus de pouvoir aux régions et nationalisant les secteurs « stratégiques » de l’économie, n’est une révolution. N’en déplaise aux fétichistes de l’organisation, la révolution n’est pas une campagne d’alphabétisation. Elle ne nous rendra pas dépendant de l’État pour subvenir à nos besoins, nous loger, nous déplacer, nous retrouver. La révolution ne se contentera pas du plus petit dénominateur commun. Elle ne bradera pas l’autonomie contre la sécurité.
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La majorité des révolutionnaires ont observé une stratégie que l’on pourrait qualifier d’accompagnement du mouvement social, cherchant à déborder de ses cadres pour le rendre plus incisif, dans l’espoir que le gouvernement renonce à sa réforme des retraites et que la population soit gonflée à bloc pour partir à l’offensive. Dès le départ, l’offensive était remise à plus tard. Cette attitude mouvementiste cache mal une impuissance collective dont la première conséquence est la subordination des révolutionnaires au personnel politique et syndical de la Gauche. Elle reconnaît leur hégémonie. En consacrant les formes défaites du syndicalisme et de la démonstration politique, on devient malgré soi un rouage du dialogue social. En s’attelant presque exclusivement à renforcer l’existant, on échoue à élaborer l’inédit. Nous refusons d’errer de piquet en manifestation, car nous refusons de devenir les pièces rapportées de la Gauche. Nous ne nions pas qu’on puisse y ressentir et s’y rencontrer. Nous disons simplement que s’en satisfaire, c’est se résigner. Nous sommes en guerre. Tout le monde le sait. Plus que des lieutenants, il faut des armes. Des nouvelles, des chouettes, des brillantes. Nous les forgerons en nous dotant de lieux et de temps de discussion et de délibération, en apprenant à décider par nous-mêmes et à réaliser nos volontés directement, sans intermédiaires. Nous devons devenir une force consciente d’elle-même.
article en entier : https://paris-luttes.info/conspirer-et-surgir-17277?lang=fr