Bure, À propos de la réoccupation du bois Lejuc en juillet 2019

jeudi 19 septembre 2019, par janek.

Deux mois se sont écoulés depuis que la nouvelle de la réoccupation de la forêt a été relayée par les médias. L’évacuation violente a immédiatement suivi et a duré deux jours. Cette action aurait-elle échouée ? Nous ne le pensons pas ! L’attention médiatique a été aussi grande que sa disparition fut rapide, d’autant plus qu’aucun autre signe de vie sous forme de déclarations ou d’actions n’a suivi de la part de celleux à l‘origine de cette réoccupation. Nous regrettons vivement qu’après coup, il n‘y ait eu aucune publication par les personnes concernées. Nous pensons que cela aurait été important pour permettre d‘ouvrir la discussion sur ce qui s’est passé et pour en tirer des conclusions sur les perspectives de lutte. Il nous semble inutile de spéculer sur les motifs de ce silence, il a ses raisons. Cependant, en tant que personnes vivant et combattant ici, sur « Zone » (note 1), nous voulons profiter de l’occasion pour partager quelques réflexions personnelles sur le sujet aux personnes impliquées dans cette action et à celles investies dans cette lutte. Une analyse de ce qui a été fait ou non sur le terrain à ce moment-là n’est pas possible.

Ce que nous voulons d‘abord dire, c’est que cette brève (re)flambée de résistance nous a redonné de l‘espoir ! Depuis plus de deux ans, nous vivons ici sous occupation policière. La provocation permanente et le harcèlement étatique sont notre quotidien dans cette région qui est administrée de manière mafieuse. Des copaines sont en prison, en fuite ou sont partis. En vivant dans ces conditions nous comprenons très vite que cette lutte ne peut être gagnée « militairement ». Et pourtant il peut être juste et nécessaire de choisir l’attaque ! La résignation qui s’était répandue sur Bure et les villages environnants depuis l’évacuation en février 2018 a été rompue pour un court instant. Et même s’il n’a pas été possible de remporter une victoire sur les vassaux du nucléaire, nous avons vaincu la peur qui a trop longtemps marqué nos vies quotidiennes.

Les hiboux sont de retour ! Au moins ici, sur « Zone », le message est passé malgré le peu d‘informations qui ont été disséminées. Nous le voyons dans le sourire complice de nos voisin.es quand nous fuyons les patrouilles de gendarmerie dans les villages. Mais aussi dans leurs regards jubilatoires lorsque celles-ci passent devant leurs maisons. Nous le lisons dans les visages sinistres des partisan.es du projet qui semblaient s’être habitués à la pacification mortifère. Nous le lisons aussi sur les réquisitions pleurnichardes des flics lors des fouilles de véhicules qui témoignent du fait que deux mois plus tard, ils n’ont pas digéré les jets de cocktails molotovs et de pierres. Nous ne savons pas si les personnes directement concernées partagent notre optimisme. Du moins, il semble difficile d’imaginer que des personnes trouveraient l’énergie de se lancer dans ce type de confrontation sans espoir d’obtenir un succès tangible à la fin. Il nous semble d’autant plus important d’affirmer aux personnes qui ont repris le combat pour le bois Lejuc en juillet qu’iels n’ont pas échoué et que les feux qu’iels ont allumés continuent à brûler dans nos cœurs !

D‘un point de vue technique, l‘assurance avec laquelle s‘est faite cette réoccupation se voit très bien : d‘après ce que nous avons entendu, nous supposons que les flics ont été pris par surprise. Il n’y avait ni patrouilles renforcées dans et autour de la forêt, ni équipe de grimpeurs (ils ont du venir de Paris). 300 gendarmes sont disponibles en permanence pour garder cette forêt de 200 hectares. Au lieu de cela, ils préfèrent passer leur temps à harceler les habitant.es et à effectuer des contrôles abusifs. Les commandants ont sans doute du s‘expliquer sur comment une cinquantaine de militant.es ont réussi à pénétrer dans la forêt sans se faire remarquer, à y construire des cabanes dans les arbres, à y ériger des barricades, puis à attaquer et chasser les flics qui gardaient le bois. Ils ont donc préféré prétexter une attaque venant de l’extérieur qui selon eux a été contenue. Le simple fait qu’au moment où l’occupation a été révélée, 4 cabanes dans les arbres avaient déjà été construites prouve que cette affirmation est de la propagande mensongère et bon marché. Bien qu’ils ne semblaient pas s’attendre au moment et à l’intensité de l’attaque, cela ne signifie pas qu’ils n’étaient pas préparés ! Nous avons l‘impression qu’au moment de la publication du communiqué de l‘occupation, ils avaient déjà un scénario d‘intervention planifié et rôdé depuis longtemps et disponible à tout moment grâce à la présence permanente de la gendarmerie. Il semble intéressant de discuter de ce que cela signifie en vue de futures stratégies d’action sur « zone ».

Mais ce n’est pas seulement la police qui a semblé surprise par la réoccupation inopinée : le manque de mobilisation dans la période préparatoire, la faible communication pendant l’action et par la suite ont rendu difficile la compréhension politique des événements pour de nombreuses personnes de la lutte contre cigéo. Plus tard, nous avons souvent entendu la critique selon laquelle les informations manquantes donnaient l’image d’un événement porté par un groupe fermé dans lequel beaucoup de gens ne pouvaient se retrouver. C’est peut-être l’une des raisons (outre la courte durée) pour laquelle le soutien à l’occupation de l’extérieur – qui aurait probablement été nécessaire pour une occupation plus longue – ne s’est que peu concrétisé. Nous avons l’impression que beaucoup plus de monde auraient pu participer ou manifester leur solidarité si l’action avait été communiquée plus ouvertement. La participation du mouvement s’est donc limitée à quelques photos et textes de solidarité et à une voiture d‘ENEDIS incendiée à Ivry-sur-Seine.

Pour autant que nous le sachions, il n’y a pas eu de blessés et les conséquences en terme répression auraient pu être pires : au cours de l’évacuation, il y a eu plusieurs cas de vérifications d‘identité et de gardes à vue. Il n’est pas du tout clair pour les flics si ces personnes prenaient part à l’occupation ou si elles se trouvaient juste dans les environs. Toutes les personnes arrêtées ont été libérées peu de temps après. Le même jour, une autre arrestation a eu lieu à Bure, mais sans lien direct avec l’occupation : une personne a été arrêtée pour non-respect de son contrôle judiciaire (interdiction de territoire) et condamnée à au moins 4 mois de détention préventive (note 2). La personne se trouve depuis à la prison de Nancy/Maxeville. Il n’y a pas eu (jusqu’à présent) de réaction majeure de l’État suite à cette réoccupation.

Après tout ce que nous avons appris plus tard sur le caractère de l’action menée, il n‘est pas possible de parler d‘une action d‘un commando homogène. Même si le secret bien gardé de la planification a de fait exclu beaucoup de gens, la réoccupation montre une réelle diversité de tactiques, dans laquelle différentes formes d’action ont coexistées de façon égale. Nous considérons toujours cette hétérogénéité comme une clé centrale du succès de notre résistance ! Par conséquent, nous ne voulons pas considérer la réoccupation de la forêt comme un acte isolé. Derrière cela, se cache un été mouvementé au cours duquel la résistance contre le projet de poubelle nucléaire s‘est affirmée à bien des égards. Les événements portés par diverses composantes ont montré que la lutte contre cigéo se poursuit à tous les niveaux. Avec entre autres les 33 conférences qui ont répondu au débat public sur la gestion des déchets nucléaires, les rencontres inter-comités qui ont eu lieu début août à Dijon et qui auront de nouveau lieu en novembre vers Valence, le Festival des Bure‘lesques qui a réuni plus de 1000 personnes à Hévillers, l’inauguration de l’exposition permanente « Trainstopping » à la gare de Luméville, le rassemblement féministe-antinucléaire qui va avoir lieu à Montiers ce week-end, la semaine de chantiers qui aura lieu à la maison de la Résistance à Bure fin octobre.

La terreur quotidienne de l’État autoritaire commence à s’estomper. Il n’y a presque rien qu’ils puissent nous faire qu’ils ne nous aient pas déjà fait. Et pourtant notre lutte continue ! Moins spectaculaire qu‘auparavant, mais avec plus de soin et de conscience des conséquences. La répression a engendré de la peur, de la division et de la méfiance. Il faudra probablement un certain temps pour rétablir la confiance perdue en nous-mêmes et les un.es envers les autres. Mais nous sommes convaincu.es que si nous continuons sur cette voie, nous serons en mesure de baser les futures confrontations sur des bases plus solides qui résisteront à la répression. Nous continuerons avec les moyens à notre disposition à faire obstacle à ce projet coûteux, inutile et dangereux qu’est cigéo. Nous espérons une large participation à la manifestation « vent de Bure » le 28 septembre à Nancy. Mettons notre colère dans la rue ensemble !

Quelques personnes sur « zone », 14 septembre 2019

Notes :

1. Par „zone“, nous voulons dire les villages environnants le projet cigéo

2. Plus d‘informations pour soutenir Kevin sur bureburebure.info/soutien-a-kevin/


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