Pharmacopées animales et ayurvédiques

Santé et démocratie

samedi 1er mai 2021, par Etienne.

Toutes les espèces animales possèdent quelque forme de pharmacopée, d’héritage immémorial, transmises d’espèces en espèces. Ainsi les Chimpanzés recourent-ils à diverses plantes dont ils se servent comme vermifuge, fébrifuges, antiviraux, cicatrisants. Les éthologues ont remarqué que tous les groupes de singe n’utilisaient pas exactement la même trousse à pharmacie, remarqué également que les pongidés variaient les lieux de récolte. Avant d’utiliser le remède, le singe ne raffine pas, ne distille pas, ne purifie pas. Il utilise la plante telle quelle, à peine parfois écrasée. Utilisé brut, le remède possède donc la complexité, mais aussi la variabilité propres au vivant. Il est composite comme sont les médicaments ayurvédiques, traditionnellement utilisés en Inde depuis des millénaires. Leur formulation ne peut que surprendre le pharmacien de nos contrées : entrent dans le remède plusieurs dizaines, voire centaine d’ingrédients, eux-mêmes souvent bruts, de sorte que le millier d’espèces moléculaires est aisément atteint.

Pourquoi les singes varient-ils leurs lieux de cueillette ? Même voisines et d’une espèce identique, deux plantes ne sont pas exactement semblables : éclairement, ventilation, qualité chimique ou biologique des sols varient de lieu en lieu. L’hypothèse a été émise qu’en diversifiant les points de récolte, les singes tiraient profit de la variabilité biologique végétale évitant ainsi l’érosion de l’efficacité curative du remède. Car par une forme de mithridatisation un médicament peut perdre son efficacité à mesure que les cibles qu’il est censé détruire s’accoutument à son action.

Erosion de l’efficacité médicamenteuse
L’érosion de l’efficacité médicamenteuse est un problème aigu. Ainsi, après des décennies d’utilisation massive des antibiotiques, en médecine humaine comme en alimentation animale – viande, lait, œufs sont susceptibles d’en contenir - nombre de pathogènes y sont devenus résistants. Or, à certaines affections qu’elles soignent, il n’existe pas de cures alternatives. Est ainsi ouverte la porte à l’irruption de pathologies inédites et irrémédiables. A l’opposé du réductionnisme cartésien, les singes, comme les Indiens ou les Chinois, ont choisi des pharmacopées aux compositions complexes, autorisant l’hétérogénéité. A l’inverse, la pharmacopée occidentale recherche la molécule purifiée, le principe actif, à la composition stable et précisément connue. Est-ce là une démarche scientifique ou l’effet d’un a priori d’ordre métaphysique dans le cadre limité et relatif de laquelle se développe la démarche positive ?

Positivité toute relative car la pureté du principe actif, sa composition constante et normée, sont toutes caractéristiques étrangères au vivant. Pureté et monotonie qui justement rendraient compte de l’érosion pharmacologique du remède. Pour le pharmacien moderne et occidental, nombre des composants du remède ayurvédique relève de la magie ou du placebo. Mais qu’en savent-ils exactement ? Car vérification faite auprès de quelques officines locales, aucun des praticiens n’avait même entendu parler de pharmacopée ayurvédique. L’ignorance est aussi médicamenteuse. Au surplus, le placebo possède une valeur curative reconnue : il est présent dans nombre de médicaments que nous utilisons. En outre, la magie, le chamanisme - ou quelque étiquette dont on labellise ces pratiques - possèdent elles aussi de réelles qualités curatives comme le montre l’ethnopsychiatrie, ou encore Levi Strauss qui dans la « Pensée sauvage » procède à une analyse méticuleuse d’une cure chamanique.

La médecine ayurvédique soigne des maux résistant aux traitements occidentaux, ceux notamment affectant le microbiote. Loin de n’être que mixture de sorcière, la longue liste des ingrédients du remède ayurvédique reflète une prise de position sur la nature complexe du vivant, complexité que le remède mime et dont probablement il tire son efficace. Le même constat doit se tirer de la pharmacopée occidentale, mais dans la direction diamétralement opposée : la médecine occidentale prolonge la vision réductionniste de la science occidentale. Elle estime que le complexe n’est que le produit trouble et confus du simple. Il faut donc raffiner le complexe, en tirer la quintessence, de la même manière qu’il faut isoler de la matière les radicaux atomiques, et de la sphère cognitive extraire les axiomes.

Principes actifs
En quoi est-il rationnel de fonder une pharmacopée ou encore sur l’extraction de principes actifs purs, supposés plus aptes à guérir ? Quelle justification dès lors au « principe actif » ? Plutôt que résultat d’une démarche critique et positive, il est bien plutôt l’expression d’une raison a priori. Reflet plutôt d’une architectonique symbolique implicite toute empreinte de mécanisme et réductionnisme. Si donc la légitimité du remède ne provient pas d’abord de l’efficacité du principe actif, d’où provient-elle donc ? Plutôt que thérapeutique, sa justification ne serait-elle pas plutôt industrielle, économique, juridique ? Car s’il est aisé de breveter une espèce chimique précisément identifiée, il l’est beaucoup moins de protéger un complexe à la composition variable.

Le droit – en toute cohérence, la culture formant un tout - est lui aussi réductionniste. D’où l’impuissance légale face à des atteintes au bien public ou personnel résultant de causes multivariées causant des maux diffus, des affections aux effets retardés, des affections sociales que le droit – tout centré sur la personne – ne sait pas traiter. Impuissance juridique si avantageuse à l’industrie : le juge, le juriste, le législateur, le propriétaire, le capitaine d’industrie, l’industriel de la pharmacie, appartiennent trop souvent aux mêmes cercles. Relative à ces problématiques, une question proprement politique se pose : quelle médecine les immenses sommes tirées des contributions sociales doivent-elles financer ? Quel contrôle démocratique sur leur emploi ? Car aujourd’hui, selon un mécanisme souvent remarqué, les dépenses sociales nourrissent les profits privés, hors tout contrôle effectif quant aux stratégies médicales ou prophylactiques de long terme.

La machine mécanique soigne la machine biologique
C’est ainsi par le petit bout de la lorgnette que l’industrie pharmaceutique conçoit l’homme et sa santé. La même myopie justifie une médecine de machines, de chromatographes, de séquençage digital, de résonance magnétique nucléaire, de télé-médecine, où une machine électromécanique en ausculte une autre, celle-là biologique. On sait prescrire et soigner le vivant, le sac de chair, hic et nunc. Mais sait-on soigner l’espèce ? Sait-on soigner la personne collective, non pas seulement son présent, ici et maintenant, mais son futur, à des siècles d’ici ? Sait-on soigner les affections psychiques collectives, les maladies de civilisation qui les emmènent au tombeau. Il faut plus que des machines ou des médicaments pour faire une bonne médecine, mais d’abord une théorie appropriée de l’homme et de l’univers. Que dire encore d’une médecine qui se soucie de soigner, mais pas de prévenir ? D’une médecine indifférente à l’empoisonnement du vivant, aux addictions tabagique, œnolique, chimique, radiative, endocrinienne, mais qui au contraire fait ses choux gras de la maladie. Pourquoi la traiterait-elle quand elle constitue son fonds de commerce ? Pourquoi, dès lors qu’il s’agit d’un business et non d’une science du bien vivre n’en utiliserait-elle pas les techniques : marketing agressif, segmentation, création du besoin. Ainsi les nosologies (nomenclatures) médicales s’enrichissent-elles périodiquement, non en fonction des maux dont pâtit la population, mais sous la pression des groupes pharmaceutiques.

Les simples ressemblent aux remèdes que s’administrent les gorilles. Pourquoi a-t-on écarté les herbes du codex, sinon pour la raison que les simples ne sont pas simples ? Au rebours, le simple, le principe actif, la molécule purifiée, sont-ils scientifiques, ou bien l’expression d’un dogme simplificateur ? Nulle surprise en tout cas qu’une culture faisant de la personne l’atome social et politique, la pharmacie se conçoive comme un jeu de principes actifs, et la médecine comme une collection d’actes sur l’individu. Quelle est la rationalité d’une médecine qui ne s’emploie pas à répudier le toxique et son monde, mais au contraire en émane et dont elle fait son beurre ?

La médecine est-elle rationnelle ?
Si la médecine était une discipline rationnelle, visant le bien-être et la santé, soigner l’humain consisterait d’abord à soigner un environnement délétère et une architecture symbolique pathologique. Soigner l’homme, reviendrait alors à soigner le Progrès, à soigner l’idée tératologique que l’homme se fait de sa relation à l’univers. Un tel progrès, ontologique, philosophique, métaphysique, passerait nécessairement par la remise en question de nos formes politiques, racine de nos maux. Que la médecine de prévention soit réduite à la portion congrue, telle la vaccination, témoigne de l’absence de démocratie parmi nos sociétés. Médecine-rustine qui se contente d’accompagner nos maux sans se soucier de les prévenir, de réparer le travailleur plutôt que soigner le travail. Pour mieux soigner le patient, ne faut-il pas d’abord soigner la médecine et son monde ?

P.-S.

Note : Il ne s’agit ici nullement d’un plaidoyer pour la médecine ayurvédique ou traditionnelle chinoise. Elles ne sont utilisées ici qu’à titre de contraste illustrant l’irrationalité fondamentale de la techno-médecine occidentale, centrée sur l’homme conçue comme monade technique, dédaigneuse de l’espèce, c’est à dire de la personne n’existant qu’au centre d’un faisceau de relation au noeud desquelles elle s’incarne.


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