Violences policières : des drames devenus inéluctables

21 juillet 2019 Par Michaël Hajdenberg

mardi 23 juillet 2019, par janek.

Depuis plusieurs mois, le pouvoir exécutif n’a eu de cesse de nier l’existence de violences policières en dépit des centaines de blessés et de la mort de Zineb Redouane. En légitimant les exactions et en faisant disparaître les interdits, il a rendu possible l’effroyable question : « Où est Steve ? »

Il n’y a pas de hasard. Pas d’accident. Pas de concours de circonstances. Une mort, une disparition : tel est, en quelques mois seulement, le funeste bilan du maintien de l’ordre voulu par l’exécutif et son ministre de l’intérieur, Christophe Castaner.

Cela fait maintenant un mois que nul ne sait où est Steve. Et c’est un drame en soi : si personne n’ose croire à une issue heureuse à cette quête, c’est parce que tout le monde a compris où avait pu mener la folie policière ce soir-là, cette folie des derniers mois.

Steve et Zineb. Deux disparitions qui font suite à deux actes policiers incompréhensibles. Deux personnes qui ne portaient pas de gilet jaune. Deux êtres qui ne menaçaient rien ni personne. Deux victimes collatérales d’une stratégie de la terreur : une octogénaire qui fermait ses volets lors d’une manifestation contre l’habitat indigne ; un jeune homme de 24 ans qui fêtait la musique au bord de la Loire.

Dans les deux cas, le gouvernement et la police ne peuvent même pas faire valoir leur habituelle rhétorique sur la violence et la légitime défense. Ni même une présence injustifiée lors d’une manifestation, puisque tel fut le reproche fait par Emmanuel Macron à la Niçoise Geneviève Legay : elle aurait dû rester chez elle.

Ce n’est pas grave : la police n’a jamais tort dans ce pays. Jamais. Les violences policières n’existent pas. Ce qui autorise le ministre de l’intérieur à remettre des médailles aux policiers suspectés des pires sévices sur des manifestants.

On connaissait la maxime économique libérale du « Laissez faire, laissez passer ». On découvre la doctrine sécuritaire : « Laissez faire, laissez tirer. »

Car pour Zineb Redouane comme pour Steve Caniço, même en cherchant bien, même avec toute la mauvaise foi du monde, il n’y a pas d’argument qui puisse justifier de telles tragédies.

Les circonstances et le profil des disparus n’auront pourtant pas suffi à susciter un mot de compassion de la part du président de la République (il s’est simplement dit « préoccupé » samedi 20 juillet), une visite d’un ministre à une famille, un regret d’un quelconque porte-parole.

Le tout dans la lignée du silence et du déni absolu qui accompagnent depuis des mois les 24 gilets jaunes éborgnés, les 315 blessés à la tête, les 5 mains arrachées (selon le décompte de David Dufresne).

Tous ces manifestants, parfois simples passants, n’ont certes pas perdu la vie. Mais nombre d’entre eux en ont perdu le sens et le goût.

Chaque année, il y a des morts en France à la suite d’interventions policières – 15 en 2018, selon le rapport annuel de l’IGPN paru la semaine dernière. Mais en matière de maintien de l’ordre, quand il s’agissait de répondre à des mouvements sociaux ou à des mobilisations organisées, la doctrine était claire depuis des années : éviter à tout prix qu’il y ait la moindre victime.

Quelques mois auront donc suffi à la rendre caduque. Après la disparition de Steve Caniço, le ministère de l’intérieur a bien annoncé l’ouverture d’une enquête par l’IGPN (Inspection générale de la police nationale). Mais depuis des mois, l’IGPN ouvre des enquêtes, comme d’autres créent des commissions. Pour mieux enterrer les problèmes.

L’IGPN ne se donne d’ailleurs même pas la peine de faire semblant. Pour sa cheffe, Brigitte Jullien, qui « réfute le terme de violences policières », s’il n’y a pas de policier suspendu à ce jour, c’est « parce qu’aucune enquête n’a permis de conclure que la responsabilité d’un policier était engagée à titre individuel ».

Ce serait donc un hasard si le 21 juin, à Nantes, une dizaine de grenades de désencerclement, une trentaine de grenades lacrymogènes et une dizaine de balles de LBD ont été tirées en pleine nuit sur des jeunes qui avaient eu le tort de danser une demi-heure de trop. La faute à pas de chance si quatorze fêtards sont tombés à l’eau.

Chose rare, même un syndicat de police, SGP-FO, a pourtant dénoncé « une faute grave de discernement, un ordre aberrant, mettant d’abord nos collègues en danger, et les usagers ».

Un mois plus tard, le commissaire n’a pourtant pas été suspendu, ni aucun de ses hommes. Aucune enquête n’a été confiée à l’Inspection générale de l’administration, laissant le préfet des Pays de la Loire hors d’atteinte.

Comme si cette folie policière ne pouvait pas être condamnée, ni même soupçonnée. Comme si l’escalade dans l’usage des armes ne pouvait être interrogée.

Zineb Redouane, elle, est morte, le 2 décembre 2018. Après plus de six mois d’enquête, le policier qui a tiré la grenade lacrymogène n’a toujours pas été identifié. Les CRS à l’origine des tirs ne se souviennent de rien. Confrontés aux images de vidéosurveillance, ils ne reconnaissent pas le tireur, arguant de la mauvaise qualité de l’image. Quant au capitaine de la compagnie de CRS présent sur place le jour du drame, il a refusé de fournir à l’IGPN pour examen balistique, les cinq lanceurs de grenades lacrymogène.

Que dit la justice ?

Le procureur de Marseille a commencé par insister sur les antécédents médicaux de Zineb Redouane plutôt que sur le traumatisme causé par le tir. Au lendemain de sa mort, il était allé jusqu’à déclarer que le « choc facial n’était pas la cause du décès ». Ribes, le procureur chargé du début de l’enquête sur la mort de Redouane, était même aux côtés des forces de l’ordre lors du drame. Mais n’avait pas jugé utile d’en avertir ni les enquêteurs ni la juge d’instruction marseillaise.

De même, alors que partout en France, des manifestants sont condamnés à toute vitesse à des peines sévères pour des motifs insensés, à Nice, dans l’affaire Legay, le procureur a tout fait pour protéger le commissaire Souchi, responsable de la charge disproportionnée.

Il n’y a plus de règles, plus de limites. Plusieurs dizaines de manifestants écologistes et pacifistes ont ainsi été gazés à bout portant et violemment évacués par des CRS pont de Sully, à Paris. L’usage de gaz a été si massif que même le commandant des CRS a perdu connaissance.

Mais pourquoi se gêner quand l’exemple vient d’en haut ? Emmanuel Macron, prenant le relais de Christophe Castaner, a lui-même imploré : « Ne parlez pas de “répression” ou de “violences policières”, ces mots sont inacceptables dans un État de droit. »

Qu’est-ce qui est inacceptable dans un État de droit ?

Bien sûr, ces violences et ces drames existent dans des quartiers populaires depuis des années. Mais si certains médias tentent de le documenter, la plupart du temps, ces sévices et ces brutalités se font à l’abri des regards indiscrets.

Or depuis quelques mois, grâce à d’innombrables vidéos, l’injustice se matérialise aux yeux de tous : il faut être aveugle pour avoir raté ces manifestants visés en pleine tête alors qu’ils sont de dos ou les mains en l’air, tandis que d’autres sont matraqués et massacrés sans raison.

Alors, quand des procureurs, des ministres, et même le président de la République cautionnent l’ensemble des exactions commises par les policiers. Quand même l’homicide d’une personne âgée devient une violence légitimée. Quand les plus hautes autorités choisissent de continuer à armer les policiers avec des LBD en dépit des condamnations de l’ONU. Et quand – il faut bien le dire – tout cela se fait sans engendrer de grandes vagues de protestations. Alors, le drame devient inéluctable. Zineb et Steve risquent de n’être que les premiers.

Voir en ligne : https://www.mediapart.fr/journal/fr...


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