La ville de Crest, au cœur de l’insurrection de décembre 1851 contre le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, point de ralliement de trois vagues insurrectionnelles et lieu de combats meurtriers, symbole de la répression des semaines suivantes avec sa « tour » moyenâgeuse débordante de prisonniers attendant un pseudo-jugement, était aussi un haut lieu du souvenir par le monument « à l’Insurgé » élevé en 1910, sur les lieux mêmes du principal affrontement, à l’initiative d’un cercle républicain et financé par souscription. Un monument qui, selon le conseil municipal unanime, « rappellera à l’avenir la mémoire des hommes de cœur qui se sont soulevés pour défendre le droit violé par l’homme néfaste qui devait conduire plus tard la France au démembrement de la Patrie et à la perte de deux provinces ». L’œuvre du sculpteur Maurice Bouval est « une statue en bronze, un jeune homme qui représente la résistance, adossé à un pylône de pierre au sommet duquel claironne fièrement un coq en bronze doré. »
La Seconde Guerre mondiale verra la disparition de la statue. Le mardi 20 janvier 1942, quelques hommes requis par les autorités soumises à l’occupant, peut-être plus soucieuses d’éliminer un symbole trop parlant que de récupérer 600 kg de bronze, déboulonnent « l’Insurgé » de son socle et l’emportent dans une camionnette venue de Romans. Les hommes chargés de ce travail appartenaient à la maison Champagne de Bourg-lès-Valence, mandatée par les établissements Jullien et Girard, de Grenoble, agissant pour le GIRM (Groupe d’importation et de récupération des métaux non ferreux). Mais, même amputé, l’édifice garde toute sa symbolique pour ceux qui, dans les années noires, luttent clandestinement contre l’oppresseur nazi. Narguant l’ennemi, le 14 juillet 1942, M. Hérold, bijoutier, et M. Schlokow, un réfugié lorrain habitant Aouste, à la tête d’un groupe de résistants où figurent entre autres Pons et sa femme, se proclamant héritiers des résistants de 1851 et, se reconnaissant dans ce symbole, déposent une gerbe de roses rouges au pied du monument et observent une minute de silence. Les gendarmes, discrètement installés à l’arrière, se mettent au garde-à-vous et saluent.
Robert Serre
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