Voici un article de Cerveaux non Disponibles, avec ensuite des extraits de l’article "Ce qu’il pourra rester du mouvement des Gilets Jaunes ?, puis quelques remarques persos pour terminer.
Jaunes, vertes, noires et rouges : les graines de la révolution sont plantées
L’histoire n’est jamais écrite à l’avance. Ceux qui tentent de convaincre du contraire sont ceux qui ont le plus à perdre dans l’idée d’un horizon différent et rempli de changements, voire de révolutions. Sept mois après le début du mouvement des Gilets Jaunes, le pouvoir et les médias dominants s’en donnent à cœur joie pour parler de cette révolte inédite au passé, pour faire comme si tout ce qui concerne les GJ se trouve uniquement derrière nous… Et pourtant ! On n’arrête pas une forêt en piétinant sa végétation, en l’enterrant. Car il y a les graines. Et les graines, cela pousse.
En sept mois, on peut raisonnablement estimer qu’entre 300 000 et 500 000 personnes ont participé au moins à une action Gilets Jaunes. C’est énorme et c’est potentiellement autant de graines révolutionnaires. Car la quasi-totalité de ces personnes reste convaincue que le pouvoir actuel ne sert que les plus riches et les plus puissants. Si elles ne viennent plus aux manifs, ce n’est pas parce que Macron les a convaincues. C’est plutôt parce qu’elles pensent que ces rassemblements ne peuvent aboutir réellement à un changement radical. Mais cela fait des décennies que l’envie de révolution n’a pas été aussi présente dans la population française !
Plus de 10 000 personnes ont été arrêtées au cours de ce mouvement historique. Plus de 800 peines de prison ferme prononcées. Des milliers de personnes blessées, dont plusieurs centaines très grièvement. On peut légitimement chiffrer à plus de 15 000 le nombre de personnes frappées par la répression policière et/ou judiciaire. Un chiffre vertigineux, qui prouve que le mouvement n’est pas un simple “mouvement social” mais qu’il porte en lui un ADN insurrectionnel, voire révolutionnaire. Le pouvoir ne tient que par la force, la menace et la peur. Peur d’être condamné à de la prison pour simple présence à des rassemblements non déclarés, peur de perdre un œil ou une main… voire pire.
Pourtant, malgré ces 15 000 victimes de la répression, malgré ces menaces, des milliers de personnes continuent de manifester, de bloquer, d’organiser des actions et des concertations. Cela tient presque de l’irrationnel quand on voit le mutisme du pouvoir qui ne sait répondre que par la violence et le mépris. Surtout, même parmi ceux qui ne manifestent plus, les mentalités ont évolué, notamment le regard face à la légitimité du pouvoir et de son bras armé.
Si Macron a réussi à maintenir l’ordre économique et politique en place, il l’a fait en dévoilant son vrai visage : autoritaire et ultra-violent. Le vernis démocratique, égalitaire et républicain de notre société a totalement volé en éclat face à la contestation. Notre société n’est démocratique que lorsqu’on ne la remet pas en cause. Drôle de démocratie…
Le résultat ? Des milliers de manifestants ont changé de regard sur la police, sur la légitimité du pouvoir mais aussi sur la légitimité d’actions de désobéissance et de résistance, y compris physique. Les médias ont parlé d’ultra jaunes ou d’infiltration des extrêmes pour analyser ce phénomène. Malheureusement pour eux, le phénomène est bien plus complexe et profond qu’une simple “infiltration”. De plus en plus de personnes comprennent qu’un changement profond du système ne pourra avoir lieu sans déjouer les règles de ce système. Puisque les règles ont été faite pour le maintenir en place, ce système.
La question n’est même pas de savoir s’il faut ou non de la violence dans un mouvement. Il s’agit simplement de comprendre, et d’accepter que le système qui nous a été présenté depuis notre enfance comme ce qui se faisait de plus juste et d’égalitaire n’est désormais qu’une façade pour servir les plus puissants qui se gavent sur le dos des plus pauvres et de la planète.
Car la “radicalisation” comme voudrait l’appeler les médias dominants ne touche pas que les Gilets Jaunes. Les différentes mobilisations écologistes ont également connu ce phénomène. Car les mobilisations massives des derniers mois n’ont strictement rien changé à l’attitude des dirigeants politiques face à l’urgence climatique. Et si la répression a été moins violente, c’est uniquement parce que la mobilisation était moins gênante pour le pouvoir (si massive soit-elle). Dès que des militants écolos ont tenté des actions hors du cadre légal, même de façon totalement pacifique, le pouvoir a réprimé sans la moindre hésitation, à l’image de l’action récente d’Extinction Rébellion sur le Pont Sully.
Des graines vertes en plus des graines jaunes donc. Auxquelles nous pouvons rajouter des graines noires. Celles de Gilets Noirs, ces travailleurs sans papiers qui luttent avec courage et détermination depuis plusieurs mois pour des conditions de travail dignes et la liberté de circulation et d’installation. Des graines rouges également avec tous ces travailleurs syndiqués (ou non) qui ont décidé de se battre et de ne rien lâcher, malgré les trahisons des principales directions syndicales. A l’image des postiers du 92 ou des salariés et intérimaires de Géodis. Le monde de l’éducation mais aussi celui de la santé ont également compris que la lutte ne se gagnerait que de façon globale et radicale.
Si l’on prend un peu de recul, le mouvement contre la loi Travail de 2016 est lui aussi porteur de cette dynamique hautement subversive, avec l’apparition de cortèges de tête solidaires des black blocs, avec des pratiques de plus en plus offensives et alternatives. L’occupation de place pour échanger et réfléchir à une nouvelle société était également présente dans l’esprit de Nuit Debout. En trois ans, la société française a ainsi connu plusieurs mouvements sociaux aux visées clairement révolutionnaires et menés de façon totalement décentralisés et horizontales. Prendre conscience de cette situation, malgré les échecs à court terme de chacune des mobilisations, c’est cerner la puissance et le potentiel insurrectionnel de la société actuelle.
Ce mouvement de fond qui pousse des militants (ou simples citoyens) à penser la lutte de façon globale et radicale, le pouvoir n’a pas réussi à l’endiguer. Bien au contraire. Et si la fameuse “convergence des luttes” n’est aujourd’hui que parcellaire et ponctuelle, il y a une vraie convergence d’état d’esprit et de détermination. Une idée de l’urgence climatique et sociale. Une volonté de justice et d’égalité. De vivre dans la dignité et de ne plus survivre.
Personne ne peut prédire l’avenir. Mais nous savons que ceux qui nous présentent un avenir où la contestation radicale du système n’a plus lieu d’être sont uniquement ceux qui craignent cette contestation. Et nous savons que semaines après semaines, mois après mois, le rang des résistants et des effrontés grossit. Avec ou sans gilets jaunes. Avec ou sans Kway noirs.
Plusieurs centaines de milliers de graines jaunes, rouges, noires et vertes sont en train de germer et de grandir sous le sol. Personne ne sait quand et comment elles sortiront de terre mais cela arrivera, n’en déplaise aux adeptes du conservatisme.
- source Lundi.am
Ce qu’il pourra rester du mouvement des Gilets Jaunes ?
Relire Il n’y a pas de révolution malheureuse de Marcello Tarì, à partir du mouvement des GJs.
Extraits :
Tarì identifie comme « insurrection destituante » la nouvelle dimension des luttes au niveau international, apparue pour la première fois en Argentine en 2001 sous la forme de la révolte des piqueteros et nommée ainsi à l’époque par les militants argentins du « Colectivo Situaciones ». La notion « insurrection destituante » met en forme théorique le slogan de ce mouvement : « Que se vayan todos, que no quede ninguno », repris depuis maintes fois dans le monde entier. Elle est bien plus précise que l’étiquette réductrice péjorative « dégagisme » qu’on essaye de coller aux tendances anti-institutionnelles de ces révoltes populaires.
C’est justement une telle brèche que les Gilets Jaunes ont ouverte et qu’ils empêchent de se renfermer jusqu’à maintenant. Ils persistent dans le refus de rentrer dans les cadres institués. C’est ce qu’ils ont montré lors des élections européennes. Ils n’ont peut-être pas donné cette « branlée » à Macron dans de dimensions que quelques-uns auraient espéré, selon Temps Critiques. Mais ils ont donné une « branlée » à toute la farce électoraliste : par la persévérance dans l’abstention massive habituelle depuis longtemps, en maintenant à distance un Rassemblement National racoleur, en montrant leur mépris pour les formations d’une Gauche en décomposition et en ignorant les auto-proclamées « listes jaunes ».
On a parlé d’une apparition d’une multitude de ZAD sous forme de ronds-points occupés. La dynamique du combat de la ZAD de NDDL trouvera aussi une expansion par sa transformation en profondeur. Comme dit Tarì, en citant l’anthropologue brésilien Eduardo Viveiros de Castro : « … il faut penser, plus qu’à une révolution dans le sens traditionnel du terme, à ‘un état d’insurrection permanente comme forme de résistance‘ adéquate de notre temps. »
Remarques persos
J’appuie également ce désir vers l’insurrection permanente.
En fait, si on souhaite une vie digne et même avoir une vie tout court, cet état d’insurrection permanente est essentiel, vital même, ce pour deux raisons :
- Le rouleau compresseur étatique et capitaliste ne s’arrêtera pas, il continuera de plus belle à tout broyer, surtout si on ne lui résiste pas. On le voit bien avec les annonces et les pratiques du gouvernement Macron : réprimer partout et accentuer/accélérer son programme ultra-capitaliste, totalitaire et autoritaire
- Les urgences sociales, climatiques et écologiques sont telles qu’on n’a encore moins qu’avant « le temps » de faire une pause.
Pour ces raisons, les mouvements de contestation globaux et radicaux ne peuvent plus se permettre de mourir et d’attendre le prochain, plusieurs mois ou années après.
Au lieu de mourir, de retourner de gré ou de force à la résignation mortelle et aliénante, les insurrections doivent plutôt muter en permanence, s’approfondir, partir dans diverses directions, s’hybrider, inventer, oser.
En 2016, Nuit Debout et les luttes contre la loi Travail se sont arrêtés après quelques mois, durant l’été, mais des liens se sont tissés, l’expérience a servi par la suite, des initiatives ont été lancées.
Le soulèvement des gilets jaunes a été plus puissant, plus large, davantage soutenu. Au lieu de le laisser mourir durant la chaleur de l’été et l’assommoir des mesures gouvernementales antisociales, on devrait plutôt approfondir les choses, muter, pour repartir de plus belle.
Les ingrédients sont là : on est encore plus révoltés qu’en novembre 2018, la nécessité et l’urgence nous pressent chaque jour davantage, des liens personnels sont tissés, l’expérience commune a grandit, les merdias, le gouvernement, les capitalistes et leurs alliés ont été mis à nu.
Il ne reste donc plus qu’à touiller et à compter sur l’énergie des personnes et des collectifs.
Exemples de choses possibles, variables suivant les contextes locaux :
- multiplier diverses formes de maisons du peuples, squattées ou pas
- faire vivre des "club gilets jaunes"
- (re)définir quelques points communs pouvant plaire large tout en étant exigeants, ce qui permettrait des alliances claires et motivantes, avec des objectifs partagés, laissant la place à diverses stratégies pour les atteindre
- améliorer les outils de communication internes et externes (médias libres, auto-médias, outils sécurisés...)
- Remporter par endroit des élections municipales (pour des listes de type « municipalisme libertaire », communalisme), ou/et peser et agir via des assemblées populaires locales
- Voire multiplier des assemblées : par rue, quartier, commune, réseaux affinitaires, secteurs d’activités, etc.
- Mettre en place ou développer divers outils d’autonomie (logement, transport, production, nourriture...) et de solidarité, et des zones d’autonomie
- Mettre en place ou développer des caisses d’anti-répression et d’auto-défense collective juridiques, etc.
- Et on pourra voir par moment des émeutes, blocages, manifs sauvages quand l’occasion s’y prêtera
- On voit aussi des écologistes et/ou anticapitalistes radicaux prôner diverses formes de sabotages clandestins des infrastructures économiques, des réseaux et flux dont l’économie capitaliste dépend
- etc. ...
- A Hong Kong, les rebelles en lutte contre la tyranie soutiennent les gilets jaunes
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