Le député La France insoumise Ugo Bernalicis accuse le gouvernement de vouloir restreindre la liberté de manifester. Il a déposé une plainte contre le ministre de l’intérieur, qui a averti « ceux qui viennent manifester dans des villes où il y a de la casse d’annoncée, qu’ils seront complices de ces manifestations-là ».
- Castaner ment et dit que la police n’attaque pas les gilets jaunes !
Le 11 janvier, lors d’une interview donnée au site Brut, le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, mettait en garde « ceux qui appellent aux manifestations [et qui] savent qu’il y aura de la violence » : « Ceux qui viennent manifester dans des villes où il y a de la casse d’annoncée, savent qu’ils seront complices de ces manifestations-là. »
Ce mardi 15 janvier, le député La France insoumise Ugo Bernalicis a porté plainte contre Christophe Castaner devant la Cour de justice de la République : « Les propos du ministre de l’Intérieur sont une menace et une intimidation sur ma personne, dont l’objectif était clairement de me dissuader de participer aux manifestations dites “des gilets jaunes” […]. Je tiens à rappeler que la “complicité de manifestation violente” ou de “violence en manifestation” n’existe pas et ne peut exister en notre droit et M. Castaner le sait. Ceci semble être donc constitutif d’une infraction au titre de l’article 431-1 du code pénal. »
Il rappelle que le fait d’entraver, « d’une manière concertée et à l’aide de menaces », la liberté de manifestation est puni d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
Le député du Nord a enjoint, sur une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, aux citoyens de faire de même et de déposer plainte (en cliquant ici) auprès de François Molins, procureur général de la Cour de cassation.
Mediapart : Vous avez déposé aujourd’hui une plainte contre le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, devant la Cour de justice de la République à la suite des propos qu’il a tenus via le média Brut. Pourquoi ?
Ugo Bernalicis : Cela part du choc que j’ai eu en regardant la vidéo du premier ministre sur Brut. Je me suis dit qu’il ne fallait pas laisser passer ce qu’il disait. Avec mes collaborateurs, nous avons donc été chercher si ce qu’il disait était légal, et quelle était la juridiction compétente, qui se trouve être la Cour de justice de la République. Les propos d’un ministre de l’intérieur ont des conséquences sur le réel, ils ne doivent pas rester impunis. C’est d’autant plus honteux que la majorité La République en marche se dit garante de l’État de droit et du pacte républicain. Or le gouvernement est le premier à contourner l’État de droit, au profit d’une dérive que l’on peut qualifier très clairement d’autoritaire.
Votre démarche a néanmoins peu de chances d’aboutir…
Ce n’est pas parce que peu de plaintes aboutissent qu’il ne faut pas tenter ! L’article 431-1 du code pénal dit que l’on peut considérer les menaces comme des entraves à la liberté d’organiser des manifestations. Par ailleurs, le 2e alinéa de cet article mentionne comme circonstance aggravante le fait d’entraver la liberté par des actions violentes. Or en tant que ministre de l’intérieur, Christophe Castaner fait usage de la violence de l’État. Donc s’il fait un usage disproportionné de la force, c’est un délit qui doit être puni devant la Cour de justice de la République. Nous sommes dans un État de droit : le maintien de l’ordre dans les manifestations ne peut être réduit au bon vouloir d’un homme place Beauvau.
Par ailleurs, nous envisageons une deuxième étape dans ce processus : nous souhaitons recueillir et centraliser tous les témoignages d’avocats ayant eu à défendre des gens qui se sont vu entraver dans leur liberté de manifestation. Je pense notamment à des gens qui ont pu se faire interpeller le 8 décembre, lorsque les chars ont débarqué sur les Champs-Élysées, et qu’il y a eu des interpellations « préventives », consistant à extraire pendant quatre heures, pour un contrôle d’identité, les gens qui avaient du sérum physiologique sur eux. Même des journalistes. Si ce n’est pas une volonté d’entraver la liberté des manifestants, qu’est-ce que c’est ?
Qu’attendez-vous de François Molins ?
J’espère que François Molins recevra plusieurs milliers de plaintes, ce qui montrerait au passage le caractère dissuasif, menaçant et intimidant de la démarche de Castaner. J’espère qu’il pourra faire preuve de son indépendance vis-à-vis de l’exécutif. Il n’est pas tenu de répondre aux courriers, mais il est de bon aloi pour un procureur d’informer les plaignants des suites qui ont été données à l’instruction. Aujourd’hui, j’ai envoyé une lettre recommandée avec accusé de réception à la Cour de cassation. Si François Molins ne me répond pas, j’en prendrai acte.
Dans quelle mesure jugez-vous le gouvernement responsable des violences policières qui ont lieu lors des manifestations ?
Christophe Castaner sait pertinemment qu’il n’y a pas, lors de manifestations de gilets jaunes, de respect du cadre déontologique. Comment le sait-il ? Parce que c’est lui le donneur d’ordres. J’ai toujours en tête ce témoignage du CRS qui, à visage masqué, témoigne à France Info que les ordres, c’était « allez-y ! ».
J’ai discuté avec les policiers de la BAC à Lille, lors de la dernière manifestation, ils m’ont dit que c’était parce que Laurent Nuñez était passé deux jours avant et qu’il voulait mettre « le paquet » : résultat, un filtrage des manifestants a été mis en place alors que rien ne le justifiait. Aujourd’hui, les coups de menton se traduisent dans la réalité.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de gestes individuels, mais l’ambiance générale est souhaitée, favorisée et mise en œuvre par les injonctions et les décisions qui viennent d’en haut, de Christophe Castaner. Le Défenseur des droits a raison d’ouvrir une information sur l’arrestation d’Éric Drouet. En ces temps turbulents, la dérive autoritaire du régime est patente.
Un projet de loi dit « anticasseurs » sera présenté dans les mois qui viennent. Beaucoup à gauche, mais aussi dans les milieux associatifs, se sont émus de ce projet de loi restreignant la liberté de manifester. Que pouvez-vous faire en tant que député ?
C’est vrai, on sent beaucoup d’inquiétude à gauche, et nous sommes unanimes pour dénoncer cette future loi. Même au sein de LREM, ils ne sont pas à l’aise car eux aussi voient les mêmes images de forces de l’ordre taper sur les manifestants. Ce que nous pourrons faire si cette loi est votée ? Il faudra saisir le Conseil constitutionnel.
Quand bien même il s’agissait d’un coup de com’ – mais je pense que le gouvernement va aller au bout du processus législatif –, on ne joue pas avec la loi pour faire de la communication politique. La liberté de manifester, ce n’est pas une petite chose dans un pays comme la France !
Quelle est votre doctrine sur le maintien de l’ordre à LFI ?
Oui, nous avons une doctrine. Nous voulons d’abord interdire le flashball et les grenades lacrymogènes avec détonation. Ensuite, il faut aller voir comment font, par exemple, nos homologues allemands ou belges, qui font face eux aussi à des manifestations extrêmement dures, mais qui ont un dispositif policier beaucoup plus en retrait, qui va très peu au contact. Et ça se passe beaucoup mieux qu’en France.
Il faudrait aussi davantage utiliser les renseignements au lieu de « taper dans le tas » comme on le fait aujourd’hui. Le changement de doctrine de Castaner, qui a demandé (surtout à Paris) aux forces de l’ordre de travailler en dispositifs plus légers et moins statiques, conduit à créer de petits groupes isolés de CRS au milieu de manifestants. Résultat, après avoir excité tout le monde, ils finissent par se faire lyncher. La doctrine actuelle met aussi davantage en danger les policiers et les gendarmes.
Avez-vous un écho dans ces secteurs professionnels ?
Pour l’instant, ils sont le nez dans le guidon, et la violence des attaques contre LFI, qui font courir le bruit qu’on appelle à « casser du flic » – ce qui est totalement faux –, les influence. J’ai personnellement reçu l’UNPI (Union nationale des policiers indépendants) dans mon bureau récemment. Mais les têtes de réseau syndicales sont sur des postures politiciennes, donc pour l’instant le dialogue est impossible. On ne désespère pas pour autant d’engager le dialogue avec les policiers eux-mêmes, ou les directions locales.
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