Voici plusieurs articles intéressants qui parlent des conséquences psycho-sociales des brutalités policières et de la politique ultra-répressive sur nos vies personnelles et sociales, sur notre santé mentale et physique. Pour penser à soi, aux autres, au collectif.
Il s’agit de parler de ce qui nous arrive, de ne pas être seul.e, de comprendre, et aussi de chercher à contester et agir autrement. Des réflexions qu’on ne voit pas assez souvent.
- Des blessures qu’on ne saurait nommer - Une manifestation n’est pas que la démonstration d’un rapport de forces, ou une grande festivité. Pour beaucoup d’entre nous, elle est synonyme d’une angoisse indicible.
- Blessures invisibles, les impensées de la répression - D’innombrables arrestations, des milliers de blessés, et des centaines de personnes traumatisées parmi les manifestants : la violence de la répression policière affecte les corps et les esprits. Ceux qui ne sont pas atteints dans leur chair souffrent aussi, tétanisés par la peur, et voient leur existence bouleversée par les cauchemars ou la paranoïa.
- Ils nous détruisent, détruisons-les - Pour prolonger la réflexion sur les traumatismes que nous subissons, comment sommes-nous arrivé·es dans cette situation ? Comment en tirer une force ?
- Réflexions sur les traumatismes liés à la répression policière et étatique
Extraits de ces articles, suivis de quelques remarques persos :
Reprendre son K-way, enfiler son cache-cou, mettre un jean, parce que ça brûle moins, le jean. Le masque à gaz est arrimé à ma poitrine dans l’espoir qu’on ne le sentira pas pendant les fouilles, les articles de loi qui donnent un cadre légal aux fouilles, arrimées à ma tête – ne laisse jamais les policiers mâles te toucher, ils n’en ont pas le droit, mais ils essaieront. Il faut des chaussures de marche, bien entendu, toujours se tenir prête à courir. Et puis, qu’elles soient grosses, des fois que quelque chose de fumant tombe dessus. Des fois que je ne perde pas mon pied. C’est bizarre de raisonner en ces termes, répertorier ses membres, ses organes, au cas où il finirait par manquer quelque chose, mais bon, on finit par s’habituer. J’ai mis mon sérum physiologique dans mes chaussettes comme d’autres planquent leur shit.
C’est sournois, un traumatisme. On a beau partager un socle commun d’expériences avec nos pairs traumatisés, ça va toujours se manifester de manière à ce que l’on soit captifs, à l’intérieur d’un crâne en furie. Ce qui marche pour l’un ne fonctionne pas nécessairement pour l’autre, et encore faut-il savoir prendre la main qu’on nous tend.
C’est encore plus sournois avec un traumatisme lié au militantisme — les psys ne comprennent pas toujours, et peuvent révéler des ardeurs plus conservatrices que prévu. Il y a toujours les camarades, mais même entre nous on parle rarement de ce qu’on encaisse sur le plan mental. Peut-être parce que si on reconnaissait l’existence de nos maux, il faudrait leur chercher un remède plus actif qu’une pauvre pinte à l’issue de la marche. Et puis l’imagerie guerrière a la peau dure, et elle ne laisse pas de place pour l’expression des émotions. Derrière le masque, rien ne doit paraître.
« La peur, quand on la perçoit, c’est fini. C’est la boîte de Pandore », résume Valk, photographe à Nantes. Depuis environ 1 an, cette habituée des luttes, toujours prompte à sortir l’appareil photo, ne peut plus s’y rendre. Elle a d’abord ressenti la peur, lancinante, encore un peu floue, « à la façon que j’avais de me harnacher ». Une seconde fois, elle s’est rappelée à elle de manière frontale. Une panique au milieu d’un épais brouillard de gaz lacrymogènes, l’impossibilité de bouger. « J’étais tétanisée. Un militant, habillé tout en noir, m’a mis la main sur l’épaule. Il m’a juste dit « ça va ? ». Ça m’a fait revenir à la réalité. Ce simple geste, précautionneux et aidant, m’a sortie de ma torpeur ».
« Dès que j’entends parler de Steve, ou de violences policières, j’ai la boule au ventre et la larme à l’œil ». Jérémy n’a plus aucune confiance en la police. « Les flics, je les hais maintenant. Clairement. J’ai peur aussi. Peur quand je les croise. Même si j’ai fait le choix de ne pas cacher ce qui m’est arrivé ». Le jeune homme ne comprend pas comment on en a pu en arriver là. Une famille brisée et le trauma tenace de dizaines de jeunes. Il évoque un futur tatouage en hommage à Steve. Avec la date. Pour ne pas oublier ? « On ne peut pas oublier de toute façon. C’est ancré ».
« Chez Thelma, c’était une première sur un contre-sommet. Il est encore difficile que ces espaces existent. L’imaginaire de la lutte, c’est un milieu viril, guerrier. Comment dire alors qu’on a besoin d’espace pour se reposer, se ressourcer ? Quand on milite, on se confronte volontairement à la violence. On se surexpose même, sans être préparés aux conséquences », explique la militante. Au G7, de nombreuses personnes ont fait un saut Chez Thelma. Pour se reposer, ou après une crise d’angoisse. Les retours ont été positifs. « Il faut faire exister cette parole en assemblée pour pouvoir parler à tous des risques traumatiques. Commencer par être attentif aux autres. La peur doit être entendable ! On doit prendre cette question en charge collectivement ».
Si la question du trauma était latente chez les militants de longue date, elle a en revanche brutalement fait irruption dans la vie de Gilets Jaunes qui connaissaient peu le terrain des manifestations. Julia, 31 ans, n’avait pas manifesté avant d’enfiler le gilet fluo. La jeune femme est ressortie « choquée » de ses premiers samedis. « On était face à des gens en armure qui nous bloquaient chaque rue. Je vois une femme palpée devant tout le monde, qui pleurait. C’était humiliant. Je me suis dit : "ces gens n’ont aucune pitié" ». Elle a vécu une nasse qui l’a durablement marquée, et se souvient avoir hurlé. La nasse, technique anglo-saxonne appelée kettling (comprenez « bouilloire »), peut être particulièrement traumatisante.
« Dans les traumatismes, le facteur aggravant est l’intentionnalité de la violence. Or les Gilets Jaunes ont d’abord vu le policier comme quelqu’un du même corps social, qui pouvait potentiellement les rejoindre. Avant qu’il ne devienne un ennemi, un oppresseur légitimé par le discours de l’État ».
- Charge policière
Le choc psychologique s’apparente à cet épisode raconté plus haut par la photographe Valk. « Il s’agit d’une sidération psychique. Tout s’arrête. La personne n’aura plus de sensation, elle est tétanisée ». Il faut alors espérer que quelqu’un vous extirpe de cette immobilité émotionnelle avant un drame potentiel. « La communauté, l’entourage, peut faire « re-rentrer » la personne dans le groupe ». Pour Valk, ce fut ce militant qui lui posa la main sur l’épaule. Pour Lola, street medic de 23 ans, c’est un symbole de secouriste qui lui a fait recouvrer ses esprits alors qu’elle était comme glacée. « Une fois, j’ai déconnecté. Je me suis retrouvée collée au mur d’un immeuble, sous les gaz, je calculais plus rien. Je ne pouvais plus bouger malgré ma détresse respiratoire, parce que je n’avais pas eu le temps de mettre mon masque ».
De la violence verbale, « qui laisse aussi des marques ». De la sienne, quand elle a hurlé à un gendarme : « Vous allez attendre qu’il y ait combien de morts ? ». La jeune soignante soulève un autre problème, qui tend à occuper l’esprit des militants : l’impact sur la vie privée et l’entourage. La peur de la perquisition, de la filature, la perte de son anonymat auprès d’une partie des forces de l’ordre. Une situation qui peut jouer sur le moral. « On perd son innocence. Ta vie devient beaucoup moins simple. Je ne suis plus la même. Tout ça me touche de plein fouet et il faut apprendre à le gérer. Ça change une vie ».
- Fresque en hommage à Steve, tué par la police à Nantes en 2019
La jeune militante doit mettre les mains sur le mur. « Il m’a palpé. Les cuisses, tout. À ce moment là je me dis : « C’est illégal, c’est pas un homme qui doit faire ça ». J’ai pas pu lui dire ». Swann se rappelle « s’être dissociée. J’ai eu l’impression de voir la scène de l’extérieur, de ne pas être dans mon corps ». Elle portera plainte pour agression sexuelle. Depuis, elle se repasse la scène en boucle, angoisse qu’on vienne la chercher à son travail, craint d’être suivie par la BAC. « Je ne dormais plus, je faisais des cauchemars. Quand je rentre dans un bar, je vérifie qu’il y a une sortie de secours ». Elle s’est rendue à un groupe de parole, animé par une psychologue « qui ne jugeait pas ». Mais elle ne peut plus se mouvoir dans un cortège : les angoisses sont trop fortes. « Ce qu’ils [les policiers] font, ça ne change rien au niveau des luttes. Les gens sont au contraire encore plus révoltés ».
Cette étude traduit cependant une réalité effrayante : les violences policières - dont l’exposition au LBD - « semblent augmenter de deux tiers le risque de syndrome post-traumatique et quasiment tripler (184%) le risque de dépression chez les personnes blessées ». Pour aller plus loin et prouver la causalité, il faudrait « effectuer des études observationnelles plus poussées », en suivant des Gilets Jaunes sur le long terme. « Mais nous n’avons actuellement pas les moyens de mener une telle étude », concède Jais Adam-Troïan. En attendant, cette enquête serait pourtant la première à s’intéresser aux conséquences psychopathologiques de l’exposition à la violence policière.
Depuis, je ne peux plus voir passer quelque chose dans le ciel du coin de l’œil sans immédiatement relever la tête pour vérifier si ce n’est pas une grenade. Depuis, à la moindre détonation, tout mon corps se tend, anticipant les mouvements de foule, préparant les gestes à adopter.
Surtout, depuis, je ne suis plus serein entouré de flics. Le mois dernier, à deux manifestations, j’ai fait une crise d’angoisse.
- Les bandes armées de la BAC
Faut-il admettre que les manifestations ne sont plus des espaces de lutte mais ont uniquement un but performatif, faire de belles images ? Faut-il alors laisser tomber les grands rassemblements syndicaux, qu’ils ne redeviennent qu’un moyen pour les centrales de se compter ? La question se pose, surtout au regard de ce qu’ils ont obtenu ces derniers temps : malgré une participation exceptionnelle, absolument rien. Parce qu’ils ont perdu toute conflictualité, ils n’obtiendront plus jamais rien. On le voit, seuls les secteurs disposant de moyens de pression conséquents ou équipés pour la conflictualité voient leurs luttes aboutir.
Nous sommes nombreux·ses à avoir fait ce constat, et à ne pas vouloir s’y résoudre. Mais nous-mêmes sommes atomisés en groupes, ne dépassant parfois pas une ou deux personnes, et se retrouvant physiquement ensemble à la faveur d’un événement publié sur Démosphère ou PLI. Moi-même, n’ayant pas grandi à Paris et ayant tardivement développé une conscience politique, sans parler de mon appréhension sociale, n’ai que très peu de contacts militants.
Malgré tout, nous devons nous nourrir de nos échecs collectifs récents et de nos traumatismes individuels pour imaginer des modes d’actions plus efficaces : nous ne pouvons pas faire semblant d’attendre le grand soir pour être des centaines de milliers de déters et mettre à bas ce système oppressant. Au contraire, nous devons profiter de notre éparpillement, de notre décentralisation pour nourrir des actions plus ciblées, ayant un réel but politique, et aussi étrange que cela puisse paraître, qui nous mettront moins en danger : si nous surgissons quand ils ne nous attendent pas, et que nous disparaissons sans les attendre, ils ne nous attraperont pas.
Et surtout, soyons bienveillant·es entre nous : on a tous des envies de modes d’action différentes, mais au lieu de nous battre pour savoir qui a raison, soutenons-nous, et coordonnons-nous ! Notre union dans l’objectif et nos différences dans les actions ne peuvent que nous renforcer.
Cessons de jouer selon leurs règles, ou nous serons toujours perdant·es.
voir aussi, ces analyses :
LES GILETS JAUNES ET LA CRISE DE LÉGITIMITÉ DE L’ÉTAT - « Pourquoi les Gilets jaunes ont été si durement touchés par la répression policière et cela, globalement dans l’indifférence ? » [par Temps Critiques]
Après plus d’un an d’actions et de manifestations, on peut se demander pourquoi les Gilets jaunes ont été si durement touchés par la répression policière et cela, globalement dans l’indifférence. Au point d’arriver à une banalisation de cette répression dont le niveau d’intensité interroge tous les « observateurs », tant elle a été disproportionnée par rapport à un soulèvement dépourvu de tout matériel offensif et même défensif et ne cherchant à faire valoir que sa détermination à imposer ses exigences sociales et politiques.
Une répression que les Gilets jaunes finirent par « médiatiser » eux-mêmes (faute de soutien extérieur et donc en désespoir de cause) lors de manifestations contre les violences policières et de manière paradoxale en en déclarant certaines à la préfecture alors qu’il s’agissait pourtant de contester la légitimité de la violence de l’État ! Et d’ailleurs on peut s’interroger sur la pertinence d’étaler les blessures sur des groupes Facebook comme moyen de « motivation » à venir en manifestation.
L’ambiance victimaire qui règne aujourd’hui dans la société capitalisée est à double tranchant ; elle porte à la lamentation récurrente, mais sur la base de l’individu atomisé souffrant. Or le manifestant ne relève pas vraiment de cette catégorie, puisqu’il est inclus dans le collectif d’un groupe en fusion potentiellement violent, et cela le ministre de l’Intérieur le met assez en avant. Il ne peut donc être victime, sauf dans le cas de bavures flagrantes. Il faut qu’il assume sa situation et son engagement, mais le Gilet jaune étant pris par les pouvoirs politiques et médiatiques pour un gueux, c’est une raison supplémentaire pour les « gens de bien » de réduire au silence les « gens de rien ». De quoi se mêlaient-ils, ces « gens de rien » ? De représentativité ? De République ? De démocratie ? Insupportable. Qu’ils en restent à leur prix du diesel.
Comme dans tout soulèvement, ce qui fait peur ce n’est pas la revendication, c’est le désintéressement, « le côté sublime » de la révolution comme disait Michelet. Pourtant, il n’était pas inimaginable que la crise de la forme État-nation avec la globalisation/mondialisation et sa restructuration en réseaux produise, en dehors des impérities et scandales afférents à la condition d’élus/représentants, une crise de la souveraineté ranimant le vieux débat constitutionnel entre souveraineté nationale et souveraineté populaire.
Les Gilets jaunes ont avec courage et détermination exécuté leurs actes d’insubordination y compris ceux considérés comme les plus violents par le pouvoir, les médias et certaines composantes de « l’opinion » même si évidemment ce ne sont pas eux qui ont décidé de ce niveau de violence, mais bien l’appareil d’État. La justesse et la légitimité de leur soulèvement n’étaient pas problématiques à leurs yeux. L’immédiateté de chaque initiative prise dans la lutte contenait sa légitimité… en acte comme en puissance. Mais cela était en décalage avec le discours fondateur du caractère pacifique du mouvement. La disproportion entre violence effective des Gilets jaunes et violence d’État ne fut bientôt plus posée, à partir de fin décembre 2018, comme un élément du rapport de forces (« On va aller les chercher chez eux » et l’aspect prise de la Bastille les 1er et 8 décembre), mais comme le signe d’une violence particulière, une politique répressive illégitime face à laquelle ils n’étaient plus que de pauvres victimes (exposition des « gueules cassées »).
Commentaires personnels
Les nombreuses brutalités policières (et aussi ce qui va avec : les violences merdiatiques, les mépris et mensonges des oligarques, la "Justice" de classe, etc.) montrent que le décor “démocratique” sert à masquer la tyrannie et la démocrature au service du capitalisme totalitaire. Le voile de jolie communication et de propagande officielle est déchiré par les morts et les mutilés par la police aux ordres du régime. N’oublions pas que dans les quartiers populaires, ce voile est déchiré depuis longtemps...
Mais la brutalité de la répression ne laisse personne indemne.
Même quand on est « prévenu », qu’on ne se fait pas d’illusions sur le système en place, et qu’on n’a pas subit directement des brutalités policières, on est choqué, on peut être un peu sidéré, être pris part une angoisse sourde mêlée à de la rage et de la colère sans fin.
Attention, sur un plan médiatique comme tactique, à ne pas se faire piéger par le théâtre de la répression policière et des réactions qu’elle provoque.
La barbarie policière En Marche (ainsi que le jusqu’au boutisme extrémiste du régime) qui impose un niveau élevé de contestation en réponse ne sert pas seulement à faire peur, à dissuader de se révolter, à institutionnaliser un terrorisme d’Etat, elle sert aussi à occuper le champ médiatique et les imaginaires, afin que la révolte ne déborde pas vers d’autres objectifs, d’autres cadres, et d’autres méthodes d’action. D’autant que c’est le régime et ses milliardaires qui décident très largement de quel sera le focus merdiatique du moment.
Les gilets jaunes et autres dissidents se retrouvent alors très souvent réduits à chercher des fenêtres hors des nasses, à résister tant bien que mal aux assauts des flics et de leurs armes de guerre, à passer beaucoup de temps et d’énergie à panser et soutenir les blessés, les gardés à vue, les convoqués et emprisonnés.
Heureusement, l’inventivité arrive parfois à trouver des actions originales, des failles, mais il faudrait que les exceptions se généralisent.
La puissance des images et des émotions lors des manifestations réprimées férocement et/ou contraintes militairement (nasses fixes ou mobiles) risquent d’étouffer dans nos têtes aussi bien les objectifs de la lutte que la possibilité d’autres modes d’action.
La lutte pourrait alors se transformer en simple opération de survie en manif, en combats asymétriques contre les basses manoeuvres des flics en armures.
Les robots flics de la répression servent aussi d’obstacles, de leurres, de punchingball dérivatifs.
Ils servent ici à absorber les critiques et la rage (la plupart du temps sans risques réels pour eux d’ailleurs, étant donné leurs équipements, leur impunité et leur droit à réprimer). L’énergie de la révolte se retrouve piégée et étouffée dans des combats de rue perdus d’avance sur le terrain favori de l’ennemi. Un terrain architecturalement conçu depuis longtemps pour favoriser la police et où se déploie toutes les techniques anciennes et modernes de surveillance et de contrôle (matraque, barrage, grenade explosive, lacrymo, LBD, drone, hélicoptère, canon à eau, blindés, caméras en tous genre, fouilles, arrestations préventives...).
Même les petites victoires, les vrais débordements, une manif sauvage, une banque brûlée, un politicard ridiculisé sont éphémères et vite absorbés par la machine du Spectacle.
Si l’expérience partagée de la manif spontanée tournant plus ou moins à l’émeute est utile pour faire corps, pour s’aguerrir, pour bien comprendre la violence et la froideur sans limite de l’Etat, pour connaître notre force et symboliquement écorner la toute puissance de l’Etat et du Capital, ce ne peut être une fin en soi ni l’alpha et l’oméga d’une lutte de résistance.
De même, perturber un événement de l’oligarchie permet utilement de la démystifier à nos yeux, mais ne la fait pas plier ni disparaître. Leurs institutions et leur économie ne sont pas perturbées par ses intrusions.
On peut voir ça comme des étapes dans notre prise de conscience, dans la mise à nue de la brutalité perverse du système en place. Un système qui n’hésite pas à nous tuer et nous mutiler au nom de « la-démocratie » menacée si on ose se révolter pour, entre autre, justement essayer « pour de vrai » la démocratie.
Ridiculiser le pouvoir par des actions symboliques est utile pour montrer sa nullité, sa fragilité, pour détruire sa sacralité surplombante (grands élus, élites, experts, 1er de cordée, créateurs d’emplois...) , pour qu’on ne lui prête plus une quelconque légitimité, crédibilité ou allégeance.
Mais le pouvoir n’est pas seulement symbolique, il est d’abord pleinement matériel, il est inscrit dans la propriété des usines, des terres et des brevets, dans les dispositifs techniques, dans la logistique, dans les flux d’information, dans les divers réseaux de surveillance (pas seulement policiers).
A l’avenir, les résistants et autres révolté.e.s devront forcément sortir des habitudes et de la sidération (deux choses qu’affectionnent le système et ses flics), poursuivre l’analyse critique et la désacralisation du système capitaliste et antidémocratique en place. C’est indispensable pour éviter l’écrasement et/ou la réduction aux formes institutionnelles et réformistes classiques qui ne mènent qu’au retour suicidaire à « la-normale ».
Il s’agit de préciser nos objectifs et désirs, de (re)découvrir des méthodes de résistance adaptées à un régime autoritaire inflexible et surarmé déterminé à asservir et piller.
La stratégie et les modes d’action sont liés à quelle vision critique on a du système, ainsi qu’aux objectifs visés. Ca va ensemble.
Exemple : si vous pensez vivre dans un pays démocratique où les élus sont réellement à l’écoute et où vous voyez le capitalisme comme indépassable/bénéfique malgré tout, alors vous allez pétitionner, manifester pacifiquement, voter aux élections et débattre avec les « élites », demander gentiment des adoucissements du libre marché, et éventuellement faire un happening festif ou deux.
Comme on a été domestiqué et individualisé par l’idéologie capitaliste et ses ramifications jusque dans nos neurones, par la consommation et la propagande commerciale et étatique, par la guerre permanente de la compétition partout, on est largement démuni face à un régime autoritaire cynique et extrémiste au service du capitalisme prédateur surpuissant, lui-même étant une conséquence de la culture de la Civilisation.
S’il est heureux que les rapports inter-humains se soient peut-être pacifiés (localement, et à quels prix...), il est dommageable d’être collectivement impuissants et démunis face aux oppressions institutionnelles et économiques maquillées par la fiction de « la-démocratie » et par l’injonction « TINA » (There is no alternative) répétée en boucle par tous les champions intéressés du capitalisme.
Résultat, on se retrouve généralement en train de lutter face à l’empire du Mordor du Seigneur des Anneaux avec les armes et les analyses des Walt Disney !
- Lutter contre l’armée du Mordor avec des happenings symboliques ?
- Les généraux du Mordor ne seront pas convaincus par des arguments rationnels ou la pureté morale des héros
La grève reconductible, si elle est suivie et comporte des secteurs clés de l’économie, reste très utile. Hélas, pour l’instant les syndiqués n’ont pas réussi à l’étendre suffisamment afin de déborder les directions syndicales et de transformer ça en grève insurrectionnelle dépassant très largement la question de la contre-réforme retraites. Malgré l’énergie et l’inventivité de certains, on a même globalement l’impression d’un retour au bercail et aux méthodes d’il y a 30 ans qui ne peuvent que perdre (manifs, grèves épisodiques, luttes et intérêts sectoriels, rester prisonnier du calendrier du régime, se limiter au non-recul et au rejet d’une réforme...).
Sinon, face à des « forteresses blindées » (le régime, ses flics, le capitalisme), l’histoire montre que les rebelles pratiquent des formes de harcèlements furtifs et passent par des voies indirectes au lieu de les attaquer frontalement.
Relisez l’histoire de toutes les résistances asymétriques ayant eu à lutter contre un ennemi puissant et surarmé. Elles ne se jettent pas en chantant sur les énormes dispositifs blindés garnis d’armes de guerre, elles pratiquent plutôt diverses formes de guérillas, d’attaques furtives et éclairs, elles s’en prennent surtout aux infrastructures et aux éléments matériels vitaux des oppresseurs, en s’appuyant sur des bases secrètes et des réseaux de soutien matériel, elles ne se jettent pas dans la gueule du loup, elles s’entraînent et se dérobent, elles visent des points faibles et accessibles.
Il n’y aura pas de retour à la normale, car la normalité était le problème