L’article paru dans ces colonnes sur la militarisation cynégétique de la réserve des Ramières (entre Crest et Valence) a suscité de nombreuses réactions, toute fermement opposées à l’idée de croiser des volées de plomb durant la ballade familiale, toutes goûtant peu le massacre de la biodiversité.
C’est l’occasion de rappeler un article relatant l’agonie d’une biche à la sortie de Crest. Elle fut brutalement frappée alors qu’elle agonisait par un individu se présentant lui-même comme appartenant à la fédération de chasse. Depuis, l’énergumène s’est illustré en novembre 2018 au rond-point de Gilets jaunes (Croix de Romans). Avec son véhicule – un 4x4, cela va de soi – il fonça dans un groupe de manifestants, ce qui lui valut d’être emmené à la gendarmerie.
La Nature est une fiction
L’occasion également de citer un articulet paru en mai 2009 dans la Revue nationale de la chasse (mai 2009, p.12), titré « L’Europe zoolâtre » sous la plume de Philippe Jaeger, qui se termine par ces lignes : « « …les chasseurs devront donc massivement aux élections du mois de juin pour ne pas être complices d’une épidémie de peste verte (c’est moi qui souligne) qui menace le Vieux continent ». Peste verte ? Mazette !
Qu’on ne se méprenne pas. Sur la chasse, l’auteur n’a pas de religion définie. Beaucoup croient qu’il existe une chose nommée Nature. C’est une fiction. Les belles forêts que nous voyons dans le Diois n’existaient pour la plupart pas au XIXe siècle. L’époque était celle du plein démographique des campagnes françaises : tout avait été coupé car il fallait du bois pour construire ou se chauffer. Les pédologues (spécialistes des sols), les palynologues (étude des pollens) que dès que sont introduits quelque part des animaux de pâture, l’ensemble de l’écosystème s’en trouve profondément modifié, qui plus est à longue distance.
De plus, aucun retour à la situation ante n’est possible. Aucune trajectoire, dans un système complexe, ne peut être retracée (l’un des résultats de la théorie du chaos). La Nature, si on la voit comme un état stable, fixe, défini, est un mythe. Tout bouge toujours. Et d’autant plus vite et violemment qu’on s’est éloigné de l’état d’équilibre relatif (que le jargon de la théorie du chaos nomme attracteur étrange, vortex, ou encore bassin d’attraction ).
Dit en termes du quotidien, cela signifie qu’un équilibre, dès qu’il est rompu, est impossible a regagner dans les termes antérieurs. Et qu’il se peut au contraire qu’on s’en éloigne de plus en plus, accompagné d’oscillations d’ampleur croissante.
Sympathique pyrales du buis
Qui aura vu l’explosion la pyrale du buis aura probablement perdu toute sympathie pour ces petits papillons. Qui aura vu chez lui une explosion de souris trouvera moins charmant le souriceau en baguenaude dans le placard. Qui a attrapé une grippe nourrit peu de sympathie pour le virus. Or, du point de vue du virus, le vaccin est une arme de destruction massive. Des cadavres de virus par dizaines de millions. De leur point de vue, un véritable génocide. Mais c’était eux ou vous. Il est peu probable que vous ressentiez de la compassion envers les bestioles. Elles ont pourtant elles aussi le droit de vivre, et probablement aussi leur utilité.
Qui se promène ou dort en forêt sait que le sanglier pullule. Dans la Sainte-Baume, près Marseille, sous les ginestes, pas un cm2 qui ne soit retourné par les suidés. Mais il est vrai que la vie contemporaine ne donne plus guère l’occasion de mesurer les contraintes et nécessités de la vie des campagnes. Difficile d’être au bois et devant l’écran.
L’introduction du loup avait, en première intention, de rétablir un équilibre perdu. Las, l’animal n’est pas con : pourquoi aller chasser quand on peut aller au restaurant. Plutôt que le sanglier, l’isard, le chamois ou la chevrette, le chien sauvage préfère la brebis.
Chasse et démocratie
Impossible de revenir à l’équilibre ante : il faudrait que les pommes tombent vers le haut. Une forme de régulation est nécessaire. L’auteur a eu l’occasion de déjeuner avec le secrétaire de la fédération régionale de la chasse. L’homme a marqué un point, expliquant en substance, que dès lors qu’est nécessaire un forme de régulation, à qui la confier ? A des lieutenants de louvèterie, fonctionnaires statutaires de l’Etat ? Encore un peu plus d’Etat ? Ou à des citoyens, dont c’est au surplus là une forme de patrimoine ?
Sur ces points, il paraît possible de transiger. Pas de chasse aux Ramières, pas de chasse le canon appuyé à la voiture (vu dans le Gard), parce qu’on a le ventre trop lourd et la flemme de marcher. Pas de chasse tous les week-ends ni le mercredi. Pas de mélange entre chasseurs et possibles promeneurs. Personne n’aime recevoir une plus de plomb, comme cela m’est arrivé en promenant mes jeunes enfants, qui plus est à proximité d’habitations.
Là où le responsable de la fédération de chasse perdit des points, c’est en me confiant la revue de la fédération. Une prose constellée d’injures envers tout ce qui de près ou de lui portait du vert, comme l’illustre l’article de P. Jaeger dans la Revue nationale de la chasse.
Or, à lire les 78 réactions qu’a suscité l’article sur la chasse potentiellement autorisée dans la réserve des Ramières, pas une seule injure venant du parti de la « peste verte ».
Si les chasseurs veulent faire entendre leur point de vue – pas nécessairement infondé en toutes ses parties – la moindre des choses serait de changer d’abord le style de leur communication pour adopter des comportements plus civils.
Plus fondamentalement, le lobby de la chasse interroge la réalité de notre démocratie. Comment notre structure politique peut-elle permettre qu’un groupe restreint (chaque année un peu plus) détourne les institutions collectives, censées servir l’intérêt de la république (étymologiquement ; la chose publique) au profit d’intérêts corporatistes ?
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