Lundi 10 février, 18h. La salle des fêtes de St-Nazaire en Royans est plus que comble : plus de 300 personnes, la moitié debout par manque de sièges. L’enjeu est de taille, c’est la première (et seule ?) « réunion publique d’information et d’échange » organisée sur le projet d’ouverture d’une nouvelle carrière de roche massive sur le flanc de montagne surplombant le village, un coteau joliment nommé « Vanille ». Il s’agit d’ouvrir sur 30 ans une carrière d’extraction de pierre à bâtir, enrochements (30%) et autres granulats (70%), destinés principalement au bassin romanais, en faisant un trou de 4 hectares dans ce coteau. Le front de taille domine l’Isère et serait visible de très loin vers le nord-ouest, et certaines maisons ne sont situées qu’à 40m du projet.
A droite de la tribune : Benoît Gauthier, porteur du projet et directeur d’une entreprise de BTP qui gère, entre autres, un gros dépôt de pierre à Chatuzange-le-Goubet et des unités de concassage mobile ; Jean Corduant, qui dirige l’enquête publique et a convoqué la réunion ; Mme Müller, du bureau d’études « ATDx » qui a produit l’étude d’impact. A gauche, deux autres experts, sans doute géologues, mais nous ne saurons jamais ni leurs noms ni leurs métiers.
Le commissaire-enquêteur n’a pas l’air d’avoir l’habitude de ce genre de réunions, ou alors peut-être avec un public moins hostile ? Car il fait tout, dès le départ, pour énerver une salle bouillante de colère et débordant de questions : ne pas se présenter ni les gens à la tribune, adopter une posture autoritaire et bougonne tout en jurant sa parfaite indépendance, sous-entendre qu’il n’était « pas assez payé » pour son boulot. Et surtout, refuser qu’ait lieu une présentation de diaporama préparée par un des opposants, à coups de phrases comme : « c’est M. Gauthier le patron de la réunion », « ce n’est pas une réunion contradictoire ce soir », « si vous voulez voir des oiseaux allez sur Wikipedia » et enfin un surréaliste : « vous êtes assis s’il vous plaît ! » qui provoque immédiatement huées et lever de toute la salle. Pour détendre l’atmosphère, on fait mieux.
Ce que Corduant n’a visiblement pas compris, c’est qu’avec en face de lui 300 personnes énervées dont certaines ayant énormément travaillé leurs arguments et leur connaissance du terrain, la réunion ne se passera de toute façon pas comme il l’avait prévu. Personne n’est résigné à écouter sagement la présentation du carrier, pour se contenter de 30 petites minutes de questions à la fin. D’ailleurs c’est un des opposants qui finit par donner le feu vert à Gauthier pour « 20 minutes de présentation puis un vrai débat, car de toute façon on le connaît par coeur votre projet ». Ce soir ce ne sera pas Gauthier « le patron ».
Alors Gauthier et Müller démarrent leur présentation, constamment interrompus par la salle avec des arguments plus ou moins pertinents, mais qui montrent une énorme inquiétude générale, notamment concernant les vibrations induites par les tirs d’explosifs - qui pourraient fissurer les maisons du vieux village tout proche ou faire bouger le fameux canal d’irrigation de la Bourne. Et ce n’est pas la promesse de « placer des sismographes au niveau des maisons lors des tirs d’essai » qui rassure grand-monde, bien au contraire. Face à cette hostilité, Gauthier s’agace et répond de manière de plus en plus insolente : « Ecoutez c’est le plus petit arrêté d’ouverture de carrière de toute la Drôme, à vous entendre on dirait qu’on va ouvrir une cimenterie ! ». Du public fusent des cris du coeur : « On parle pas de mesures, mais d’humains, là ! » ; « Combien d’entre vous habitent ici ? Aucun ! » ; « Vous avez une famille ? Vous voudriez une installation industrielle à 40m de votre jardin ? » ou autres « Y’a une solution plus simple : pas de tirs, pas de vibrations ! » et « Ouais ben la montagne elle pollue moins que vous ».
A 18h45, un micro est finalement donné pour les interventions venant de la salle. Le message est clair : cela arrache les oreilles à Corduant d’écouter ce que les habitant.e.s ont à dire. Pour justifier que le projet n’a été révélé que dans les derniers mois (voire semaines..) alors qu’il était dans les cartons depuis des années, Corduant s’empêtre : « La plupart des ICPE n’arrivent qu’en dernière minute, car les industriels ne peuvent pas se permettre de révéler les gros projets qu’ils ont à leurs concurrents. ». Et la soi-disant « indépendance » de Corduant par rapport à Gauthier, elle est passée où ?
Suivent des prises de parole plus longues et plus construites du public (avec un micro c’est plus facile), portant sur le caractère d’ « intérêt général » de cette carrière, et comment justifier son inscription dans une transition écologique soi-disant voulue par nos dirigeants. Ici dans le Vercors, on a du bois et les compétences pour construire avec, cela créerait beaucoup plus d’emplois localement (le projet en créera seulement 6 à 7 à terme) sans détruire l’environnement ni menacer les nombreux emplois touristiques de la zone. Et même si l’ambition de la carrière est de fournir localement, cela reste extrêmement gourmand en gazole d’extraire, concasser et transporter le plus lourd matériau qui existe : la pierre… N’est pas évoquée l’artificialisation des sols à laquelle va fatalement servir tous ces granulats, utilisés notamment sous le bitume, pour gravillonner les centre-ville ou faire des gabions : voir tract ci-joint, diffusé en début de réunion.
Un opposant (qui dirige par ailleurs les sites touristiques locaux de la grotte de Choranche, de Thaïs et le bateau à Roue) démarre une longue démonstration sur l’existence du chemin rural dit « de Vanille », chemin nié par Gauthier et pour cause : la carrière et ses pistes d’accès vont le détruire.
C’est décidément trop de démocratie pour le commissaire-enquêteur Corduant, qui déclare soudain au milieu de l’intervention : « Je vais mettre fin à cette réunion ».
Stupeur du public, huées, applaudissements lorsque des opposants brandissent les photos montrant à quoi va ressembler la carrière au milieu du coteau. Il est 19h35, même pas la fin de l’horaire officiel ! Devant moi quelqu’un rigole : « Courage, fuyons ! ».
Les discussions informelles se poursuivent donc dans la salle sans « le patron » Gauthier, son valais Corduant et sa brochette d’experts. Et pour tout le monde une chose est claire : du côté des institutions les choses sont déjà ficelées, Corduant donnera un avis favorable, c’est même plus la peine d’aller lui donner son avis en mairie. Plutôt organiser et mener la lutte contre la carrière.
Car comme l’a dit quelqu’un ce soir :
« Quand on veut protéger l’environnement, on n’y touche pas ! ».
Genette Jaune
11 février 2020
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