Bon, j avoue, je suis parfois têtu jusqu’à la bêtise et je ne voulais pas croire qu’un pays enclavé ( avec fenêtre donnant sur la mer), comme l’est la Gambie dans le Sénégal, pouvait exiger un visa de la part d’un routard attardé de mon genre. D’habitude , je sais palabrer, et traiter des ancêtres et de leur honneur ; la gentillesse des douaniers et peut-être la pitié faisaient d’ordinaire aboutir mon entêtement. C’était la 4 ème frontière que je passais ainsi, on va dire un peu vice-versa ! No problem , man ! No problem Bro !
Là, ça n’a pas marché… Bon. Le flic a réquisitionné les malheureux centimes que j’avais en poche , les a refilé à un taxi-brousse pour qu’il me ramène au diable , en me menaçant de me punir s’il me trouvait dans BATHURST, la capitale . Le chauffeur n’était pas ravi , mais il n’a pas osé contrarier l’autorité galonnée et m’a pris en tas, avec les autres.
Et au premier virage, environ 400 mètres , le voilà qu’il s’arrête. Descend un grand homme avec un grand sac, le chauffeur en profite pour m’expulser de son véhicule en me faisant comprendre par signe de suivre son passager déserteur. Ah , bon ! Chiche, je récupère mes sous et nous voilà partis. Enfin partis , c’est beaucoup dire , en route, à peine à 100 mètres à vol d ‘oiseau du « poste frontière » ! On y va, le compagnon, n’était pas très bavard , d’autant qu’il ne parlait pas ma langue , ni moi la sienne , ça facilitait les choses !
On se retrouve vite dans un bois un peu pelé, le gars ça devait être une sorte d’export- import mais pas à la légale , il devait être prudent , se méfier de la capture, quoi ; en le suivant, je le voyais inquiet et prendre des détours inattendus , inutiles ou improbables , moi , je le suis, en silence, pas à pas , c’est pas moi le guide ; allez , tiens encore un drôle de détour . Ne s’étonner de rien , confiance dans le dieu des voyageurs Hermès, ( je sais pas comment ça se dit en Ouolof ou Sarakolé). Pas grave, un marabout qui m’avait pris en sympathie m’avait pourvu d’un gris-gris – un sachet de cuir dans lequel était enfermé un verset- si tu t’adaptes pas , t’es pas voyageur . Tour , contours et détours, inquiétude grandissante du compagnon de route , je sais que je risque moins que lui, enfin , moi je ne porte rien de prohibé, comme je suppose qu’il le fait.
Pause inattendue, une sorte de prière qu’effectue mon désormais copain , une poignée de terre , jetée derrière l’épaule , je reste impassible, et nous revoilà repartis,.
Moi, j’essayais de reconnaître les arbres maigres, les traces de passages et l’atmosphère si particulière de ce bois clair obscur. Finalement , nous n’avions fait que couper le virage et nous avons retrouvé la route à un endroit d’où on pouvait voir ,presque, la barrière des douaniers. Pas de panique et fissa !
Définitivement hors de vue des gardiens de l’intégrité territoriale, nous nous arrêtons dans une sorte d’estancot dont le patron parlait un peu anglais , à la gambienne . Lui m’explique à la fois l’implantation du poste frontière et la peur diffuse de copain en me racontant que la forêt que nous venions de parcourir était le territoire des ancêtres.
Le bois que nous venions de traverser était , en fait , sacré. Là où j’essayais de déchiffrer un système écologique, le compagnon, traversait une population d’esprits et de génies plus ou moins bienveillants !
Nous avions fait route ensemble , mais chacun dans son univers. Nous n’avions pas cheminé dans le même monde.
Le temps et l’espace sont subjectifs…
J’ai continué la route. C’était moi l’immigré....