Un nouveau débarquement d’arbres fruitiers à Crest a eu lieu ce dimanche 3 décembre, en grandes pompes puisque pas moins de huit arbres ont atterris le long de l’allée gazonnée qui longe le parc du Bosquet : pruniers, pêchers, abricotiers, pommiers, poiriers et cerisiers occupent désormais la place !
- 03 décembre 2017 : plantation de 8 arbres fruitiers à Crest
Les débarquements précédents : 2016
Le premier débarquement fruitier de Crest avait été planifié discrètement le 11 Novembre 2016, tandis que l’on fêtait par ailleurs tristement l’Armistice devant un parterre de fleurs coupées, comme si on assistait à un enterrement...
Le 25 Novembre suivant, - puisqu’à la Sainte Catherine, tout prend racine-, les premiers arbres ont débarqué, secondés par leurs alliés humains armés de pelles, de pioches et même d’une barre à mine, tant l’atterrissage sur le remblais des communes dénaturées est difficile…
Un noisetier lança les opérations, en toute discrétion, sur une plate-bande dans la montée piétonne de l’ancien hôpital. Pendant ce temps, d’autres arbres débarquèrent près de la rivière, sur le chemin qui la longe à partir de la déchetterie.
Suivit un fier pommier qui atterrit, lui, en grandes pompes devant le panneau d’affichage du cinéma Eden : non content de siéger avec les stars du grand écran, il posa même pour le journal du Dauphiné ! Mais cette symbolique de l’arbre nourricier offrant ses services et ses bienfaits au tout venant, entre 2 arbres d’ornement aux port altier mais au sourire coincé entre le bitume et le trottoir, échappa fort malencontreusement au journaliste du Dauphiné, pas libéré de toute évidence, de sa lorgnette juridico-culturelle du 18 ème siècle…
- Crest, novembre 2016, plantation d’arbres fruitiers dans l’espace public
En effet, il s’attacha à relancer l’opposition sociologiquement dépassée entre ruraux du cru et néoruraux, en affublant les compagnons d’arme humains des arbres de « doux rêveurs rurbains ». Quand on sait que dans nos contrées, le solde migratoire rural est positif grâce à la venue d’humains fuyant les élevages intensifs urbains, peut-on parler de « rêveurs » et opposer aux humains leurs caractéristiques communément naturelles ? Enfin, en sortant de son chapeau de magicien de foire un décret ancien pénalisant la « dégradation de bien public », notre journaliste commis d’office se fit juge et partie, tels les seigneurs ruraux qui bien que possédant l’entièreté d’un territoire commun, rechignaient à appliquer les pratiques sociales des communaux : droits d’affouage, de glanage, tout en abusant de leur droit de cuissage…
Non, décidément, dans notre cher domaine crestois (prononcer le « s »), l’esprit seigneurial n’a pas disparu, malgré l’advenue de la révolution française et l’Etat Nation. Néanmoins, pourquoi les arbres devraient-ils demander l’autorisation de s’implanter sur les plates-bandes et dans les parcs publics ? Ne devraient-ils pas échapper aux codes de l’idéologie moderne de la « propriété privée » ?
En outre, en bon seigneur soucieux du bien-être de ses habitants, Monseigneur de la Tour (dénommé aussi « chérif de Crest-city ») ne devrait-il pas justement laisser à disposition de ses ouailles de bons fruits à croquer ?
Bref, vous l’aurez compris, la bataille engagée par ces arbres fruitiers et leurs planteurs humains dépasse de loin la pichenette (petit coup avec le doigt) donnée effrontément par les bobos ou les rurbains de nos vieux quartiers.
Vous n’aurez d’ailleurs qu’à rejoindre le réseau Autonomie-Crest ou encore les Incroyables Comestibles du val de Drôme pour vous rendre compte de la biodiversité des biographies individuelles de leurs membres.
Car dans cette histoire de débarquement fruité, il en est en effet tout simplement de l’indispensable biodiversité qui définit les conditions de vie durable sur notre planète. Pour vous en convaincre localement, voyez donc nos platanes qui périclitent et tombent sur nos enfants, parce qu’ils sont plantés en monoculture dans nos places et nos écoles (voir l’école Royannez), se retrouvant à la merci de champignons ou insectes xylophages qui n’ont qu’à sauter d’un individu à un autre, tel Tarzan de lianes en lianes ! Alors on les coupe et on plante une même espèce d’arbres choisie sur les seuls critères de croissance rapide (et oui un mandat électoral de 6 ans, c’est court !), et non sur leur participation à la protection des écosystèmes (mellifères pour les abeilles, fructifères pour les oiseaux, pourtant tous en voie de disparition).
- Crest : entretien de fruitiers le 30/09/17 - abricotier
Allons plus loin que l’Agenda 21 et développons des "communs" participatifs et solidaires
Et bien, nous, planteurs du dimanche habitants de Crest et alentours, nous mettons en œuvre l’Agenda 21, maigre outil opérationnel des Cop 21, qui décrète en dernière page (bien après le rôle contestable de l’économie dans la lutte contre le réchauffement climatique) que la commune s’engage à planter d’avantage d’arbres dans l’espace public.
Alors non contents d’appliquer l’Agenda 21, nous faisons même du zèle en choisissant des arbres variés, rustiques (plus autonomes et moins dépendants des produits phytosanitaires), mellifères et fructifères !
Et puisqu’en plus ils remettent à la mode les anciens communaux sous la forme bien plus participative et solidaire des « communs » (ressources naturelle ou culturelle accessibles à tous les membres d’une communauté de vie), allons-y : plantons, semons, et partageons les récoltes !
En outre, par les temps qui courent, entre le droit privé d’exploiter des ressources collectives, le CETA, le TAFTA, et les centers parcs sur des terrains publics à haute importance écologique, qui remettent en question des communs aussi cruciaux que l’air, l’eau ou la terre, notre devoir de citoyens n’est-il pas justement de les protéger ? Et comme nous ne pouvons vivre seulement d’amour du prochain et d’eau fraîche, ne devons-nous pas revendiquer le bien commun vital qu’est la nourriture ? L’économiste et philosophe Karl Polanyi analysait la crise de 1929 et la guerre mondiale qui suivit comme les résultats de la marchandisation de l’homme, du travail et de la terre par le capitalisme : ne devons-nous pas em-pêcher, par exemple à coups de pêches dégustées avec nos voisins, que l’histoire ne se répète ?...
Nos seigneurs les arbres
Mais, me direz-vous, les arbres ont-ils choisis de débarquer ici en héros manipulés par des idéaux politiques typiquement humains ? Et bien non, car dans le monde des arbres, tel est pris qui croyait prendre, si l’on en croit les recherches biologiques, notamment celles de Francis Hallé (https://www.youtube.com/watch?v=CYsf4SDpg6o ). Car les arbres, par essence statiques, ont besoin de jardiniers pour s’implanter et se reproduire : champignons mychoriziens sur leurs racines pour aller chercher leur nourriture, insectes pollinisateurs attirés par leurs magnifiques et délicieux attributs sexuels que sont leurs fleurs, et … humains gourmands et idéalistes pour les planter et les entretenir !
Vous aurez donc compris que ces « doux rêveurs rurbains » que sont les planteurs sauvages des arbres fruitiers à Crest sont en fait les marionnettes de nos seigneurs les arbres !
Participez aux prochains débarquements de fruitiers !
D’ailleurs, si vous voulez avoir les bonnes grâces de ses seigneurs intemporels et apolitiques, ou vous rendre utile auprès de la communauté des habitants de Crest, vous pouvez participer au prochain débarquement de ce printemps, faire un don pour acheter un arbre, ou même en adopter un : pas souvent qu’on adopte un seigneur, non ?!
Décidément, avec les arbres comme seigneurs de nos rues, nous entrons dans un nouveau monde, un nouveau paradigme de pensée : celui de la nature qui nous rappelle les règles de la vie sur Terre !
Alors rendons humblement à César ce qui est à César : une place majeure dans nos rues et nos vies. D’autant que contrairement à César ou à Monseigneur de la Tour, ils nous le rendent au centuple : plaisir des sens, couleurs des fleurs, sauvetage des abeilles, plaisir de croquer dans leurs fruits sans vérifier au fond de nos poches si on est en droit de se nourrir !
Alors, comme le dit le ministère de la santé pour ses concitoyens les plus aisés : « mangeons 5 fruits et légumes » ; d’ici 3 ans, quelque soit notre pouvoir d’achat et donc notre « pouvoir de se nourrir », partageons entre passants quelques fruits accompagnés des derniers potins crestois…
Et n’oublions pas que d’ici-là, ce sera même la mairie, ce bien commun culturel, que nous pourrons partager !...
Hélène Camille, du Groupe "Plantations & Jardins"
- 03 décembre 2017 : plantation de 8 arbres fruitiers à Crest