Comme beaucoup trop de monde, j’ai un chat à la maison, enfin, disons plutôt qu’un chat apprivoisé a élu domicile à temps partiel dans mon logis.
Il s’y plaît bien, gavé qu’il est de nourriture industrielle et de calins natures, mais il adore aussi sortir, vagabonder, se renifler ou se bastonner avec ses collègues félins.
Alors il va et vient, sort à tout heure suivant la météo et les saisons. Et, souvent, surtout l’été, il adore sortir la nuit.
« Mon » chat fait fi des couvre-feux à ralonge décrétés par le grand chef du gouvernement de la république démocratique de France, des restrictions de déplacements à 01, 10 ou 30km, des auto-attestations de sortie pour motif futile ou impérieux, des attestations de domicile...
Il n’a même pas besoin de se farcir les courses avec ou sans masque, il croque parfois des souris et j’achète les croquettes au supermarché à sa place. Il ne fait jamais la cuisine ni la vaisselle bien sûr, et encore moins le ménage.
« Mon » chat se contrefout aussi de la flicaillerie et de l’administration, il n’est jamais obligé de justifier ses revenus, son travail ou son non-travail, d’ailleurs il est au chômage perpétuel, il médite, il glande, il nous observe attentivement, il se dore la pilule au soleil, il chasse les mouches, il s’en tape de toutes nos obligations bureaucratiques et professionnelles qui servent trop souvent à fabriquer de la quincaillerie jetable, à engraisser davantage les riches tout en flinguant ce qui reste de planète potable.
Il lui suffit de savoir éviter les voitures et les psychopathes, et tout baigne.
- Mon chat sort jour et nuit, lui, sans restrictions ni masque ni attestation, à plus de 10 km si ça se trouve
- « Mon chat » franchit les murs des propriétés
La nuit, « mon » chat flane sous les étoiles, il se terre dans les coins sombres, saute d’un toit à l’autre, marque de ses mignonnes petites papattes garnies de griffes acérées les toits des voitures en stationnement, explore une nouvelle rue odorante, somnole dans une cave avec chaudière.
« Mon » chat se gausse des caméras et des patrouilles militaires, il est furtif comme le vent et rapide comme l’éclair.
« Mon » chat n’a aucune obligation, il est à peu près libre, il s’incruste, il va il vient, il fout le camp si on l’emmerde, il reste au chaud quand il fait froid.
Parfois, sous certains angles, surtout en ces temps de re-re-confinement autoritaire et sécuritaire, je l’envie pas mal ce chat là.
J’aimerais même être à sa place, ne prendre du mode de vie des humains que ce qui me plaît, me servir d’eux abondamment en échange d’un peu de chaleur corporel l’hiver et de ronronnements craquants, profiter des douces mains chaudes de ma maîtresse, glander, ronfler, observer et méditer sans angoisse de la fin du mois ou de la fin du monde vivant, marcher nu sous la lune, grimper aux arbres parmi les oiseaux si tentants.
En cas de besoin, défense ou attaque, je sortirais par surprise mes griffes et mes crocs pointus, tout en souplesse et en détente.
Et puis aussi sautiller furtivement dans les rues désertes la nuit, y commettre quelques méfaits mal vus des gens comme il faut, brûler mes papiers d’identité inutiles avec des billets de banque et des cartes bancaires, jouer avec une bande de chats errants, visiter des endroits interdits, parcourir la ville en ignorant les murs et les propriétés privées...
Oui, ce serait bon d’être un chat libre, avec peut-être un côté un peu plus grégaire.
- Mon chat sort jour et nuit, lui, sans restrictions ni masque ni attestation, à plus de 10 km si ça se trouve
- La nuit d’encre ne gêne pas les radars des furtives ailées
Sinon, en version aérienne pure, il y a aussi les chauve souris qui me font rêver, en plus elles sont plus grégaires que les chats. Elles sortent la nuit discrètement, on entend à peine un bruit d’aile quand elles vous frôlent. Elles volètent sans entraves au dessus des rues et autour des immeubles, elles explorent au radar le moindre détail. Le jour elles se tiennent ensemble dans un coin tranquille, elles squattent, pas de taxes ni de redevances télé. Rebelles et écologistes, elles n’ont pas de brevet de pilote ou de permis de vol, pas besoin de pistes d’atterissage étalées sur des terres agricoles ni de kérosène qui pue la mort pour planer.
Si j’étais une chauve-souris, peut-être que je jouerai un peu à Batman revisité, histoire d’apporter un peu de justice dans ce « Gotham City » géant.
- Mon chat sort jour et nuit, lui, sans restrictions ni masque ni attestation, à plus de 10 km si ça se trouve
- Une gracile chauve-souris nous environne sans tour de contrôle ni plan de vol
Il n’y a guère que les chiens et les animaux d’élevage à être pucés, badgés, à être munis de papiers d’identité, à bénéficier de traçages et de parcours obligés dans les clous, à devoir bosser ou servir de chair à pâtés (dont les résidus régalent les chats...).
Nous les humains civilisés, on dirait bien qu’on a raté un truc à un moment donné.
On voulait soi-disant s’émanciper, vivre liiiiiiiibres, se détacher des contraintes naturelles, être en sécurité, remplacer la pénibilité par des robots, et on se retrouve pire que les chiens ou les cochons d’élevage, écrasés sous des contraintes, pollués, esclavagisés, dominés par toute une hiérarchie, dressés à coup de matraque et de lacrymos, perdus dans une machinerie urbaine et technologique kafkaïenne, assujettis à un système qui dévore à grand pas le substrat du vivant et les autres animaux, pendus au téléphone, colonisés par des machins numériques de plus en plus intrusifs, possédés par des objets, hallucinés par le paraître et la consommation, fichés et filmés par tous les bouts, bientôt pucés nous aussi, parqués dans des murs de béton industriel, enfermés partout derrière des serrures trois points, contraints par des tas de normes sociales et de rouages économiques qui nous empêchent de nous épanouir, dirigés par des sociopathes, menacés de toute part...
On voulait soi-disant vivre mieux, et on meurt mal comme de simples bêtes de somme, sans liberté ni sécurité, sans amour ni fantaisie.
Alors on rêve aux chats, aux chauve-souris, aux bouquetins, aux vers de terre, aux grenouilles tant qu’il en reste, on s’émerveille béatement devant n’importe quelle bestiole sauvage ou semi-sauvage.
C’est peut-être d’ailleurs une des raisons pour lesquelles la civilisation s’acharne à détruire ce qui reste du monde naturel et des êtres qui le peuple, pour effacer les preuves flagrantes de son échec et de sa folie furieuse, pour faire payer aux êtres libres et simples nos vies d’esclaves prisonniers d’un goulag dévastateur et sans avenir qui se prétend moderne et se croît être une société évoluée.
Armand, félin en devenir - 1er avril 2021 - 19h00
- Mon chat sort jour et nuit, lui, sans restrictions ni masque ni attestation, à plus de 10 km si ça se trouve
- Bientôt l’envol irrésistible ?