Voici quatre témoignages sur la manifestation gilets jaunes du 18 janvier 2020 à Paris. Ces témoins sont drômois et leurs textes ont été recueillis par Ricochets.
Si vous aussi vous êtes drômois et que vous étiez à Paris ce 18 janvier, vous pouvez ajouter votre témoignage en commentaire.
Témoignage 1 : détermination
C’est dans la nuit de vendredi 17/01 à samedi 18/01 que nous sommes arrivés, mes camarades Gilets jaunes et moi, à la capitale. Fatigués, certes de ce long voyage de nuit (6 heures de route) avec peu ou pas de temps de sommeil, mais motivés pour participer à ce grand rassemblement. Après quelques errances dans les rues de Paris, en attente d’informations nouvelles, nous décidons de rejoindre le cortège à Trinité.
Ce dernier, monumental, nous englouti dès son arrivée. Nous nous laissons porter par la ferveur des manifestants en hurlant des chants et slogans que nous connaissons tous très bien puisque cela fait bientôt plus d’un an que nous les pratiquons... L’ambiance est « bonne enfant », tranquille mais déterminée.
Nous nous interrogeons sur l’encadrement très serré des forces de l’ordre de chaque côté du cortège, nous comprimant les uns sur les autres sur la route et dégageant les trottoirs. Nous nous sentons oppressés et en danger. Le moindre mouvement de foule peut alors déclencher un piétinement des manifestants. C’est ce qui arrive, d’ailleurs, à plusieurs reprises lors de charges policières. Panique à bord et tensions qui augmentent.
- manifestation gilets jaunes Paris 18 janvier 2020, foule compacte
Nous nous interrogeons également sur les arrêts fréquents du cortège, blocage des FO sur l’avant. Quel est l’intérêt de bloquer, à part faire monter la tension chez des manifestants qui ne comprennent pas ce type d’action ? Pour quelles raisons le cortège est empêché d’avancer sur le parcours déclaré ?
Arrivée à la gare de Lyon et après un parcours marqué par des tensions, nous sommes nassés par les forces de l’ordre. Les tensions et violences recommencent de plus belles. Nous sommes dans les gaz, sous les pavés qui volent et tirs de grenades diverses... Nous trouvons alors un échappatoire dans le hall d’une porte cochère ou nous nous réfugions avec quelques manifestants gazés et paniqués.
- Paris 18 janvier 2020 acte 62 gare de lyon : insurrection permanente, latente, mais profonde
- Gare de Lyon - Crédit : Bastien Louvet / SIPA
Après quelques soins prodigués et une tentative vaine de retourner dans la rue, des personnes viennent à nous et nous demandent de partir rapidement car une voiture en feu menace d’exploser devant notre refuge. Nous partons tous en catastrophe , nous tenant les uns les autres dans le chaos ambiant, afin de ne pas se perdre dans la foule paniquée.
Nous voulons et demandons à sortir de cette scène de guerre à des FO qui barrent le passage d’une rue. Ils ne veulent pas nous laisser sortir. Nous sommes comprimés contre eux, certains poussent derrière. Paniqués et en danger, nous finissons par pousser nous aussi. Nous n’avons pas de protections et les pavés pleuvent ainsi que les explosions diverses.
J’interpelle l’un d’entre eux, en lui demandant un peu d’humanité, en le regardant droit dans les yeux, appelant à sa compassion. Rien n’y fait. « Nous voulons sortir de cet enfer, pourquoi refusez vous ? Nous ne pouvons pas nous protéger...pas d’armure ni de casque comme vous, nous risquons nos vie ! »...La seule réponse que j’ai : « Vous n’aviez qu’à sortir avant, maintenant c’est trop tard ! ».
Devant tant de froideur et d’inhumanité, je fonds en larmes, submergée par l’émotion du moment. Comment en est-on arrivé là ? Humain contre humain. Je supplie à nouveau, essaie de convaincre...Je suis en pleurs... Il me semble voir une certaine déstabilisation
Mes camarades me somment d’abandonner mais je ne peux pas me soumettre à l’idée qu’il n’y a plus rien d’humain chez ces personnes et convaincue qu’ils peuvent encore l’être... Peut-être que je me trompe... Enfin, une brèche s’ouvre... Les gens s’y engouffrent...moi j’avance en pleurant ne comprenant toujours pas ce nouveau monde... Je croise alors le regard d’un CRS qui m’assène un sourire...
R.
- Paris 18 janvier 2020 acte 62 : insurrection permanente, latente, mais profonde
- Crédit : Camille
Témoignage 2 : Samedi à paris mais pas pour les soldes
En bonne provinciale, c’est toujours un petit peu stressant de monter à Paris. Faut rien oublier : masque en papier , dosettes de sérum phi, lingettes, lunettes de piscine, basquettes en prévision des kilomètres, double bonnet, double veste et collant sous le pantalon contre le froid. Et bien sûre mon gilet jaune, celui là même que je porte depuis mes débuts. C’est sûre, équipée ainsi, je pars pas faire les soldes à la capitale.
Mais ce vendredi soir, c’est l’enthousiasme qui domine une fois les copains retrouvés. Et lorsque l’on apprend une fois sur la route, en ce 17 janvier, que le président aurait été exfiltré du théâtre où il s’était rendu, peu importe les détails, c’est l’excitation qui prend le dessus.
Les messages des copains restés dans la Drôme arrivent, les petits mots de soutien, les invitations à être prudents aussi. On sent que ceux restés sont derrière nous. On est partis.
La fatigue est grande au matin lorsqu’on entre dans Paris, de nuit, un peu comme des voleurs, avec toujours un peu la frousse de se faire contrôler et d’aller directement à la case commissariat, sans passer par la case manif, comme c’était arrivé lors des premiers actes pour certains camarades.
Ca y est on est dans Paris. Ce jour là pas facile de trouver les infos. Il y a bien un départ d’une porte près du périphérique, alors on se dit qu’on prendra bien ce cortège en chemin si un petit groupe ne se forme pas d’ici là. 12H30, on rejoint donc ce cortège. Déjà des milliers de participants. Les flics nous encadrent de très près. De chaque côté de la manif, devant et derrière, ils forment des cordons qui avancent ou s’arrêtent, et nous fait avancer ou nous arrêter à leur gré. Comme on est pas devant, on voit pas tout ce qui se passe mais on se doute bien, c’est maintenant une habitude. Devant ils se font frapper à l’aveugle par les flics qui s’enfoncent dans la foule.
- Paris 18 janvier 2020 acte 62 : insurrection permanente, latente, mais profonde
- La manif grossie au fur et à mesure du parcours - Crédit : https://ricochets.cc
On avance donc petit à petit. On nous fait descendre des trottoirs juste pour le principe. Un long boulevard. Un monsieur qui d’une fenêtre lance des paquets de bonbons. Une femme âgée qui a sa fenêtre nous encourage le point levé. Une autre fière qui semble regarder sans nous voir.
- manifestation gilets jaunes Paris 18 janvier 2020, policiers voltigeurs bloquent manif sauvage
Arrivés près d’une gare, la manifestation tente une échappée. Certains arrivent à suivre.
On s’engouffre dans une rue. Ils nous gazent. On se réfugie dans un café qui ne nous ferme pas ses portes. Les flics se déploient devant le café. Ils s’équipent, visent la foule avec leurs armes puis repartent en moto, en camion. On ressort de là en remerciant le patron. C’est reparti et ainsi pendant plusieurs heures et sur des kilomètres (36 km dans la journée).
A Bastille à nouveau cela se tend. Ils ont nassés, frappent, gazent puis poussent peu à peu le gros du cortège dans le sens du parcours qu’ils veulent qu’elle prenne, direction gare de Lyon. On s’approche de la gare et l’on voit une femme en train de se faire soigner alors qu’un homme, peut être son compagnon, excédé hurle aux policiers pour leur faire réaliser leur manque d’humanité.
- Paris 18 janvier 2020 acte 62 gare de Lyon : insurrection permanente, latente, mais profonde
- La police a nassé puis gazé les manifestant.e.s après l’arrivée - Crédit : https://ricochets.cc
Gare de Lyon, c’est le piège. Ils nassent tous ceux qui sont arrivés. Aucune sortie possible. Nulle part. La nuit est tombée. Et c’est parti. Les gaz partout. Une femme âgée qui sortait d’un immeuble nous a permis de nous y réfugier au plus gros des attaques. Nous sommes une vingtaine de tous les âges à essayer de reprendre nos esprits dans ce hall, à soigner ceux qui pleurent et n’en peuvent plus des gaz.
Après un première tentative, nous re-rentrons dans le hall. Trop dure au dehors, là au moins on peut respirer, même si les gaz passent un peu sous la porte. On met les gilets pour faire barrage.
Au bout d’un moment il est temps de sortir. Une poubelle, des trottinettes sont en feu au milieu de la route. A travers une foule très dense, au milieu des cris, des gaz, des détonations, nous nous approchons d’un cordon de flics en leur demandant de nous laisser sortir. Ils ne veulent pas. Nous insistons, certains hurlent, la foule s’amasse contre eux, toujours aucune réaction de leur part. J’insiste. L’un avance violemment son bouclier contre moi. Je comprends comment en une seconde les situations dégénèrent. Un peu plus loin, notre camarade tente de leur parler, de toucher leur coeur, de leur faire réaliser l’absurdité et l’inhumanité de la situation. Elle en pleure. Elle enrage. Elle ne veut pas partir. Elle veut continuer de leur parler, d’essayer. On doit insister et la prendre physiquement avec nous pour qu’elle nous suive.
La scène est surréaliste. Ça hurle partout. Un peu plus loin ça continue de péter, de bruler. La rue derrière le cordon de flics est vide, quelques mètre pour que tout cela s’arrête. Ils ne le veulent pas, on se doute bien que les ordres sont ‘faire monter la pression’ et ‘punir ceux qui sont là’. Une femme âgée ne peut plus ouvrir les yeux. Nous lui faisons passer du produit pour que cela arrête de la bruler.
Une jeune fille arrivée là par hasard et nassée comme nous est en pleur. Elle ne lâche pas son vieux vélo. On la rassure. Il y a des grilles contre lesquels certains commencent à être écrasés dessus, alors on aide des filles à les enjamber. Tout cela sous le nez du cordon de flics, impassibles. Au bout d’un moment un chef décide qu’ils vont ouvrir la nasse. Ils en font sortir 10. Puis de nouveaux l’attente. Ils nous disent qu’on sortira petit à petit. Mais sans les gilets.
La jeune fille au vélo, dans sa panique trouve le temps de nous remercier nous, nous tous, pour ce que l’on fait. Pour la résistance que l’on apporte à cette barbarie. Elle a vue de quel côté est le mal. Je lui dit alors qu’elle sort de la nasse : ‘maintenant témoigne’.
Nous sortons de là. Presque immédiatement je remet mon gilet. Dans le quartier, tout le monde tourne autour de la scène. On se pose dans les bars. Certains chantent dans les rues.
Pour nous après cela, la manifestations sera terminée. Il fait nuit depuis longtemps déjà. En remontant un boulevard, sans destination précise on suit un groupe de manifestants passés là quelques minutes avant. Ils ont retournés deux voiture et mis le feux à encore quelques poubelles. Et c’est tout. Autour de la gare, nous repassons là où nous nous étions abrités. Quelques feux, une vitrine d’un monoprix cassé, mais c’est tout. Les anciens cafés indépendants qui font face à la gare sont intactes. Des gens sont à l’intérieur et mangent comme si de rien était alors que les manifestants se baladent au dehors, que les pompiers éteignent les derniers feux, que les camions de flics passent à toute vitesse et que des voyageurs rejoignent la gare en tirant leur valise.
Après avoir récupéré notre véhicule, nous nous rendons au tribunal porte de Clichy pour soutenir Taha Bouhafs en garde à vue depuis la veille et l’épisode du théâtre.
Devant le tribunal, un froid polaire et une soixantaine de personnes réunies et encadrées par un inutile (si ce n’est pour le symbole) cordon de flics, à force on s’habitue malheureusement. Rassemblement calme où les gens semblent se connaitre, à l’image des rassemblement de soutien que nous organisons nous aussi devant les commissariats ou le tribunal de la Drôme pour nos camarades réprimés. Quelques figures connues, qu’en bon provinciaux nous sommes heureux de voir ailleurs que sur nos écrans : Youcef Brakni, Olivier Besancenot (NPA) ou Eric Coquerel (député France Insoumise). La présence de militants des quartiers, de gilets jaunes et de militants de partis de gauche (dont certains sont les trois à la fois) donne espoir pour la lutte en cours et à venir.
Quelques minutes avant la sortie du tribunal de Taha Bouhafs, des personnes entonnent la fameuse chanson « On est là ». Nous continuons sur le même air avec la variante sur Benalla. Chanson fort à propos si l’on considère que l’affaire Benalla est la raison pour laquelle le journaliste est dans le collimateur du pouvoir, puisque Taha Bouhafs est à l’origine de cette vidéo qui a fait vaciller l’Elysée. Pour moi cette affaire est aussi l’un des éléments déclencheurs quelques mois plus tard des Gilets Jaunes. Pas tant par les faits commis, que par la désinvolture avec laquelle le président l’a traité, et par l’impunité qui s’en est suivie. La proximité avec cette première affaire augmente notre le sentiment d’assister au début d’une nouvelle affaire d’état lorsque le journaliste est enfin libéré et que lui et son avocat s’expriment.
Après avoir salué le journaliste et échangé quelques mots, nous repartons en direction de la Drôme avec le sentiment que nous avons contribué ce 18 janvier à la pose d’une nouvelle pierre à l’édifice de notre révolution. Les gaz sont déjà derrière nous. Ils veulent nous dissuader, mais ils renforcent notre détermination.
Témoignage 3 : La manif du 18 janvier 2020 à Paris
pour moi c’est une corvée je préfère les petites manif de par ici. mais de temps en temps pour faire masse il faut monter à Paris montrer que tout le pays est déterminé. alors cette fois là malgré la fatigue que ça va provoquer malgré la peur de la violence des manifestations parisiennes j’y vais. Pas du tout par gaieté de cœur mais par devoir.
de ce point de vue-là je n’ai pas été du tout déçu : les forces de l’ordre sont de plus en plus violentes et utilisent des tactiques de plus en plus guerrières pour soi-disant maîtriser et contrôler les manifestations…. tout en faisant le contraire. le cortège que nous avons rejoint était immense.
j’ai été surpris de voir la débauche de forces militaires pour nous encadrer. Pourtant, nous savons tous que s’ils n’étaient pas là (les flics et militaires), le cortège serait Bon enfant et la manifestation se déroulerait avec beaucoup moins d’ anicroches. mais les forces de l’ordre ne se contentent pas simplement d’encadrer la manifestation. Elles attisent l’excitation et la violence des manifestants en les contraignant, les brimant, en lançant des charges insensées à travers la foule, gazant, frappant au hasard.
C’est ainsi que le cortège a avancé plusieurs heures, sans pouvoir monter sur les trottoirs pour des raisons que je comprends mal, sinon pour nous brimer et nous exciter. le cortège était souvent immobilisé par les forces de l’ordre pendant une quinzaine de minutes à la fin des quelles - à chaque fois- une charge était lancée dans la foule. une façon incomparable de mettre de l’huile sur le feu.
Pourtant il faisait beau l’ambiance était sympathique et je suis certain qu’il n’y aurait pas eu d’incident si les forces de l’ordre n’avaient pas attisé la colère et l’excitation des manifestants.
- manifestation gilets jaunes Paris 18 janvier 2020, tag
après plusieurs heures de ce régime de provocations, quand le cortège est arrivé à Gare de Lyon, bien évidemment des incidents se sont produits. tout le monde était sous pression.
le droit de manifester est un droit fondamental de notre démocratie.. l’actuel gouvernement utilise tous les moyens des forces de l’ordre y compris de façon illégale pour nous dénier ce droit.
certains manifestants persistent à discuter avec les CRS, moi j’ai renoncé. pourtant ils me font peine les pauvres. quand la tension montait, au moment où ils ont mis leurs casques, un jeune CRS à côté de moi tremblait tellement de peur qu’il a mis un temps fou à s’équiper.
Moi aussi j’ai peur en voyant tout ça. mais je me dis qu’il ne faut pas céder il faut continuer à manifester sinon nous ne pourrons plus nous exprimer autrement que par la violence. pourtant je ne peux m’empêcher de me demander où et quand ça va péter et si par malheur je ne serai pas une des cibles prise au hasard par la violence gratuite du pouvoir ou si j’aurai la chance de passer à travers.
- Paris 18 janvier 2020 acte 62 : insurrection permanente, latente, mais profonde
- Tag « plus de social, moins de capital » près gare de Lyon - Crédit : https://ricochets.cc
Plus le cortège avançait et plus la tension montait. Je me demandais comment tout ça allait finir.
fort heureusement, il y a le côté sympa des manifs. la petite équipe que nous avions formé pour covoiturer s’entendait à merveille et entre deux slogan hurlés dans la manifestation les conversations politiques mêlées aux plaisanteries Permettent de prendre un peu de bon temps. bien sûr comme c’est d’usage dans les manifs les conversations se partagent rapidement avec les voisins et nous partageons des expériences et des débats. une occasion de plus de se rendre compte que le feu de la Révolution s’est allumé dans tout le pays, nous ne sommes pas seuls dans la vallée de la Drôme et à Valence en avoir vraiment marre de ce gouvernement. nous étions tout heureux de constater que partout dans le pays les cérémonies de vœux et autres petits pince fesses organisés par les représentants d’en marche sont régulièrement les cibles de petites manifestations, impossible pour eux de se montrer sans que nous ne fassions un peu de tapage. Et partout les gilet jaune et les syndicats qui s’unissent contre ce gouvernement scélérat. ça fait plaisir d’entendre ça parce que les grands médias n’en laissent absolument rien filtrer. alors quand on entend concrètement des gens des quatre coins du pays qui nous disent que chez eux ça se passe exactement comme chez nous ça nous renforce.
- Paris 18 janvier 2020 acte 62 : insurrection permanente, latente, mais profonde
- Suite perturbation de la séance théâtre de Macron le 17 janvier aux Bouffes du Nord, avec exfiltration du tyran sous les huées, une affiche est apparue lors de la manif : « Alors macron, tu as fait une trace sur ton siège hier ? »
il y a aussi comme à Valence et comme à Crest les habitants le long du parcours qui nous font très majoritairement des signes d’encouragement.
bien évidemment en arrivant à la gare de Lyon les forces de l’ordre nous avaient préparé un mauvais coup. toutes les issues ont été bloquées et nous nous sommes retrouvés coincés dans une nasse. le déluge des lacrymo n’a pas tardé. alors bien évidemment, petit mouvement de panique dans la foule des “mous” (dont je suis). pendant ces moments somme toute assez courts, ceux que l’on appelle les Black Blocs en profitent pour brûler des poubelles et des scooters au milieu des rues. ils sont sacrément efficaces car en quelques instants, la rue est sens dessus dessous. les journalistes s’empressent de venir photographier la voiture ou le scooter qui a brûlé pour montrer combien la manifestation était violente. c’est réglé comme du papier à musique. Une voiture qui brûle dans une manif sera vue des dizaines de fois sous tous les angles par tous les Français : ça doit être super important. tandis qu’un paysan qui se suicide ça personne ne le sait : ça ne doit surement pas être important puisqu’ on en parle pas.
C’est tellement le bazar dans ces moments-là que j’ai vu des cartouches de lacrymo tirées par les CRS d’en face tomber sur les pare-brise des voitures de police garées près de moi de l’autre coté de la rue (C’est vrai que les rues sont grandes à à Paris ils les appellent parfois des boulevards). mais tant qu’à faire des dégâts autant que ce soit un pare-brise de voiture plutôt que sur une tête de manifestant, en particulier la mienne.
c’est très désagréable, stressant, d’être pris dans une nasse, à la merci de la violence des CRS de leur gaz lacrymogène et des LBD. heureusement la petite équipe dont je faisais partie a pu se réfugier dans un hall d’immeuble . nous avons pu retrouver nos esprits et calmer la brûlure des gaz lacrymo avec un peu de sérum physiologique.
d’autres manifestants ont eu moins de chance que nous, il y a eu de nombreux blessés que j’évalue à plus d’ une centaine.
Je crois qu’ils ont enfin eu des consignes car je n’ai pas entendu parler de tir de LBD cette fois ci. par contre, saison oblige, il y avait des soldes sur les lacrymo. nous avons été copieusement servis.
Le répit dans le hall d’immeuble fut de courte durée, un feu de véhicule à proximité menaçant de se propager, nous avons dû évacuer le lieu. dans ces moments-là, pour certains le stress, dépasse les limites acceptables, pendant de longues minutes les CRS refusé d’ouvrir la nasse cependant que d’autres manifestants s’agglutinaient contre nous dans l’espoir de pouvoir fuir les gaz et la panique du cœur de l’action. dans ces moments-là certains trouvent quand même la force d’aider et de soutenir les autres. Et ça c’est vraiment la classe.
quand enfin les CRS reçu l’ordre d’ouvrir la nasse nous nous sommes retrouvés à errer dans les rues, passablement hébétés .
Je pense que tout ceux qui étaient là avaient le sentiment de vivre quelque chose d’historique. la puissance de cette manifestation nous a fait comprendre que la chute de ce gouvernement est proche. les conversations d’il y a un mois sur la manière de faire retirer le projet retraite et de faire chuter le gouvernement ont tout d’un coup cédé la place à la question “que ferons nous après ?” je me suis ainsi rendu compte qu’ au début des manifestations gilet jaune puis de la loi retraite, je ne croyais pas vraiment à l’aboutissement de ce que je revendiquais…. mais qu’aujourd’hui je le vois imminent.
Après avoir repris nos esprits nous sommes allés soutenir Taha Bouhafs, journaliste qui avait révélé le scandale Benalla et qui venait d’être arrêté le jour précédent pour avoir signalé par un tweet la présence de Macron dans un théâtre. malgré les pressions de l’Élysée un juge a décidé de le libérer. explosion de joie, il était minuit et demi.
Il ne restait plus qu’à parcourir le chemin du retour jusqu’à Valence.
- Manifestation gilets jaunes Paris 18 janvier 2020, près gare de Lyon
Témoignage 4 : le rêve ? qu’un jour brûlent tous les temples de la marchandise
J’ai hésité avant d’aller à cette manif parisienne du 18 janvier, pour deux raisons :
1. La peur des brutalités policières. Car on sait bien que les flics peuvent tuer ou mutiler n’importe qui, il suffit d’être au mauvais endroit au mauvais moment.
Je n’ai pas beaucoup d’expérience des manifs dangereuses donc ça angoisse davantage, mais comme il ne faut pas céder à la peur et rester solidaires, je suis quand même venu à Paris.
2. Depuis la loi Travail en 2016 et même avant, je constate que les gouvernements se moquent des manifestations, même massives. Ce qui fait reculer le régime en place ce sont les atteintes à l’économie. Or une manifestation gêne peu, sauf quand elle se change en émeute généralisée dans les quartiers bourgeois, mais ça n’arrive pas tous les jours.
Ce qui gêne davantage l’économie capitaliste, ce sont les blocages, la grève et les sabotages. Mais je suis quand même allé à Paris pour participer comme je peux à la révolte légitime, urgente et nécessaire, contre le régime et son monde.
Déambulation dans les rues marchandes avant de rejoindre le cortège
Auparavant, je n’aimais déjà pas tellement les boutiques remplies de marchandises qui pillent la planète et asservissent les humains. A Paris ce triste spectacle de la marchandisation destructrice généralisée est particulièrement insupportable. Maintenant, quand je croise des centres commerciaux, des banques et des magasins de luxes, je n’ai qu’un rêve, voir leur vitrines brisées, leurs étals dévastés et leurs locaux en flamme.
Qui sait si un jour je ne me changerai pas en ninja ou en Black Block ? ;-)
A défaut d’autres infos, j’ai rejoint avec d’autres la manif gilets jaunes partie de Champerret. Le cortège grossissait au fur et à mesure, cette détermination à revenir ici encore et encore et cet entêtement sont impressionnants.
Les flics encadraient en masse le cortège devant, derrière et sur les côtés. C’était une sorte de grande nasse mobile. Cette bétaillère géante permet aux fdo de tenter d’empêcher préventivement tout débordements, et surtout ce dispositif leur permet d’imposer leur propre rythme à la manif, afin que leurs forces aient le temps de se repositionner aux carrefours au fur et à mesure de l’avancée des manifestants traités ici comme des bestiaux.
Des flics mobiles à moto tournaient autour de nous comme des vautours prêts à fondre sur des proies.
Un drone policier nous survolait et des flics des côtés repéraient les personnes qu’elles considéraient comme dangereuses afin de les cibler sans doute ultérieurement.
C’est oppressant d’être dans une nasse sous surveillance, et c’est leur but pour nous paralyser, mais ça fait aussi monter la rage.
J’étais vers le milieu du cortège, et plusieurs fois des manifestantEs refluaient vers l’arrière, je supposais des charges policières dans le cortège de tête. C’est ce qu’on voit sur des vidéos, les flics chargent préventivement juste pour arracher des banderoles et attaquer les personnes les plus masquées.
Heureusement, souvent des chants faisaient un peu oublier l’oppression policière et donnaient du coeur : « on est là », « les gilets jaunes », « Anti-anti-capitaliste », « et on ira jusqu’au retrait ».
Je trouve hélas que dans les chants et slogans on ne s’en prend pas assez au système capitaliste qui tire les ficelles, et trop aux pantins politiciens qui sont les simples exécutants de la domination économique.
Il y avait aussi la présence remarquable de syndiqués cheminots et RATP. Et bien sûr l’énergie et les sourires complices des autres manifestantEs.
Des réflexions durant les pauses forcées :
Les flics agents de la répression sont des sortes de robots, les pantins obéissants du capitalisme et de l’Etat, aussi je n’arrive pas vraiment à les détester. Peut-on vraiment détester un robot, une machine, un instrument ? Les pires coupables sont plutôt ceux qui ont conçus leur programme, qui les commandent, qui les couvrent et qui leur ordonnent la répression sans merci depuis leurs bureaux, à commencer par le gouvernement et ses députés.
Ce qui est détestable, c’est la police, le système policier, l’Etat policier, la répression au service du capitalisme, l’oligarchie qui entretient et profite de tout ça.
Alors, au lieu de les traiter de bâtards, je préfère gueuler des trucs du genre : « police nationale, milice du capital », « valets de la dictature », « robots de la tyrannie », « tout le monde déteste la police »...
Bien sûr, parmi les robots flics de base, il y en a qui sont ravis de taper sur du gauchiste et du rebelle, qui jouissent de leur pouvoir, de leur impunité et de faire mal, qui adhèrent à l’extrême droite et adorent l’ordre autoritaire brutal, ceux là sont des ordures, et plutôt que les détester, ce qui leur ferait trop d’honneur, je préfère les mépriser.
Vous me direz que si j’avais subi plus de brutalités policières, en banlieue par exemple, je détesterais davantage les flics eux-mêmes, possible, je sais pas.
Bien sûr, les flics sont aussi des humains, des pauvres types avec un coeur sous cloche et des restes de cerveau disponibles, alors ils restent coupables de leur obéissance servile, de ne pas quitter le job ou de ne pas se faire porter malades.
Mais, comme les sociopathes telles que Macron et les « Bernard Arnault », la plupart des flics sont passés de l’autre côté de la force, ce sont des robots irrécupérables.
Au mieux, ils matraqueront avec un peu de retenue.
Le seul avantage des robots, c’est qu’ils sont plus prévisibles.
Retour à la manif
Malgré la nasse mobile, il y a eu au moins deux brefs départs en manif sauvage hors des rangés de robocops, ça faisait du bien un peu d’air, un peu de marche rapide, et de voir les flics en panique relative. « grève, blocage, manif sauvage ! »
Malheureusement, les flics mobiles arrivaient vite pour bloquer les manifestantEs furtifs.
- Paris 18 janvier 2020 acte 62 : place Bastille, l’armada impériale s’étale après le passage de la manif
- La place de la Bastille était remplie de bleus : robocops et leurs camions - Village des schtroumphs en vue ? - Crédit : https://ricochets.cc
A l’arrière, on pouvait voir des files interminables de véhicules bleus, ça faisait penser aux films de SF avec leurs cohortes de répliques clonées, l’Empire est bien installé, et c’est lui qui est extrémiste et nous coûte un fric de dingue, pas les gilets jaunes ou la CGT.
Arrivée Gare de Lyon.
Là je savais bien qu’après la nasse mobile ce serait la nasse fixe et les gaz à l’arrivée, mais j’ai suivi quand même, par solidarité et par curiosité.
Au bout d’un moment des groupes de manifestantEs se sont énervés et ont cassé/brûlé quelques trucs. On ne peut que les soutenir et les comprendre, un peu de débordements ça fait du bien. Il régnait une belle atmosphère insurrectionnelle.
Il y eut ensuite des charges policières avec gaz en masse et grenades explosives. J’admire celles et ceux qui sont en première ligne. N’étant pas très aguerri ni très équipé, je me suis replié à l’arrière.
Comme moi, d’autres étaient un peu en panique, sidérés, c’est stressant d’être prisonnier dans une nasse, à la merci des gaz et des flics qui avançaient pour nous comprimer et nous faire peur en lâchant leurs spray piquants. Une dame avait les yeux brûlés par ces gaz policiers. Les flics se foutent des risques d’écrasement dans la foule, leur objectif c’est d’en terroriser et dissuader le plus possible.
Un chef flic qui ne manquait pas d’humour, ou de sadisme, demandait à ce qu’on se disperse alors que ses troupes nous empêchaient de sortir de la nasse !
Au bout d’un moment j’ai pu sortir du dispositif, besoin d’une pause.
Je suis revenu ensuite vers la gare de Lyon, ça c’était calmé, les tags et les restes calcinés témoignaient : « 49.3 populaire », « LBD du peuple »...
Une manif sauvage était partie depuis un moment sur un boulevard, je l’ai remonté un peu, ravi de voir des saletés de pubs explosées, deux voitures retournées et quelques poubelles éparpillées.
- Paris 18 janvier 2020 acte 62 manif sauvage près de gare de lyon : insurrection permanente, latente, mais profonde
- Deux voitures renversées, feux, poubelles renversées, publicités et vitrines éclatées....
Epuisé, je suis ensuite rentré.
Même si les manifs ne pèsent pas assez sur l’économie, ça fait plaisir de sentir l’énergie de la révolte. L’expérience commune nous renforce et nous soude.
Attention pourtant à ne pas se laisser piéger par le calendrier et le cadre du régime, par le séduisant spectacle de la révolte et par l’image que les médias du pouvoir renvoient, continuons à inventer notre propre calendrier et à sortir du cadre.
Et notre objectif doit être la chute du régime et du capitalisme, pas juste le retrait d’une contre réforme.
XXX.
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