Luttes contre la réforme des retraites, grève et actions : analyses d’une cheminote et gilet jaune

« Quand est-ce qu’on marche vers les lieux de pouvoir tous ensemble ? »

samedi 8 février 2020, par Camille Pierrette.

Voici un entretien intéressant : « Quand est-ce qu’on marche vers les lieux de pouvoir tous ensemble ? » - Après un premier entretien mi-décembre, nous avons de nouveau rencontré Torya, cheminote et gilet jaune, pour faire le point sur la lutte en cours contre la réforme des retraites portée par le gouvernement Macron. Comment poursuivre le mouvement alors que les travailleurs de la RATP et de la SNCF ont été contraints de cesser leur grève reconductible entamée le 5 décembre ? Comment expliquer le décalage entre la radicalité grandissante des actions ponctuelles de type coup de poing et la pacification des manifs de rue ? Alors que de nombreux autres secteurs rejoignent le combat (les lycéens, les étudiants, mais aussi les éboueurs), quelles perspectives peut-on formuler pour la séquence à venir ?
Voilà quelques-unes des questions auxquelles nous avons voulu, avec Torya, apporter des éléments de réponse.

Lutte contre la réforme des retraites, grève et actions : analyses d’une cheminote et gilet jaune

Extraits de cet entretien, suivis de quelques remarques persos

Les GJ qu’on le veuille ou non ont apporté la radicalité, l’insoumission aux déclarations de parcours bidons Bastille/Nation, ils ont mis dans la rue les manifestants au même plan : tu ne vois pas de GJ rangés derrière un camion jaune doré puis d’autres derrière un camion jaune fluo, etc. Il n’y a pas de camions, et on peut me dire que je suis obsédée par cette histoire de ballons et de camions mais ce qui m’importe, c’est ce que ça reflète : la non-cohésion entre les grévistes et les manifestants. On va préférer défendre son camion plutôt que son collègue de boulot qui a juste une autre étiquette. Pour la cohérence et l’image que cela renvoie, c’est un tue-manif. Comme à la dernière manifestation, où on est tous partis ensemble dans le métro et, arrivés à place d’Italie, les gens se sont séparés et ont bien sagement regagné leur ballon.

les manifestations syndicales, même si le cortège de tête est animé et fournit plein de banderoles super jolies, ça reste du folklore. Je reste convaincue que les manifestations doivent traduire la colère des manifestants. Et c’est ce qui s’est vu avec les pompiers, tout le monde était surpris de voir une telle radicalité, de les voir arracher les barrières anti-émeutes et monter sur le canon à eau. Cela traduit une extrême colère totalement justifiée puisque cela fait 6 mois qu’ils sont gentiment en grève et sont totalement méprisés. En 1995, 1986 et lors d’autres grèves victorieuses, les manifestations étaient un des éléments de la contestation, il y avait des sabotages, des blocages, et des piquets de grève massifs. C’est donc complètement utopique de penser qu’on y arrivera juste en étant nombreux.

On n’est plus dans la même configuration sociétale, l’uberisation du travail dans le secteur privé rend difficile toute tentative de grève. Ça, les GJ l’ont compris, mais les éternels professionnels de la lutte toujours pas. Tout comme les ronds-points, qui ne sont ni plus ni moins que la traduction contemporaine des piquets de grève. Cet aspect et ce qu’il a apporté au mouvement n’a pas été compris. La grève gagnante, c’est le résultat d’une somme de différents facteurs, maîtrisables ou pas, mais à ne pas occulter. On va revenir au slogan, mais “Grève+Blocage+Manif Sauvage=Macron Dégage”.

Il y a une espèce d’attentisme qui s’est installé depuis plusieurs années, où on attend de voir ce que ça donne avant de voir si on se bouge ou pas, sans compter ceux qui disent : “On vous soutient, ne lâchez rien”. C’est hyper touchant mais la grève par procuration n’a jamais fonctionné. Et pour le peu de cas où elle fonctionne, cela se transforme en négociations sectorielles.

On ne manque pas de créativité chez les grévistes. Mais on est toujours face à ces même barrières sectorielles et/ou rangés derrière son ballon dans les manifs. Quand est-ce qu’on va prendre d’assaut le périph et marcher vers les lieux de pouvoir tous ensemble ? Grévistes, pas grévistes, GJ, pas GJ, syndiqués ou pas mais unis, comme ce qui s’est fait à Barcelone ou au Chili.

Les grévistes de la RATP ont pour beaucoup fait leur première expérience d’une grève dure, ils n’ont donc pas l’expérience de tout ce marasme du monde militant. De leur côté, les cheminots avaient fait l’expérience de l’Intergare, cet organe ayant émergé en 2018, qui n’a pas su être réactivé pour cette grève. La question est de savoir pourquoi ? Si on avait réellement fusionné l’Intergare et la Coordination, cela aurait sûrement été une autre histoire.

Les guerres d’égos, le sectarisme, l’entre-soi, ce sont des poisons pour les mobilisations. Même constat pour les AG interpro d’un autre courant du NPA. On ne gagnera jamais à s’opposer et à vouloir sortir le plus fort et les pecs plus gonflés, à qui fera le plus beau cortège… Mais qui veut l’entendre ? Surtout quand on voit le peu de place laissée aux femmes, que ce soit dans les médias, dans ces AG ou dans les manifs. Des idées, des actions et des stratégies, il y en a partout et chez tout le monde, encore faut-il garder une once d’humilité.

Les attaques sont nombreuses et dans tous les secteurs. Cela dit, étant donné l’amateurisme du gouvernement et la position du Conseil d’État sur la réforme des retraites qui va dans notre sens, il y a encore de l’espoir. Et bien que le gouvernement veuille passer en force avec un 49.3, ça pourrait être une aubaine pour une éventuelle insurrection ou un soulèvement populaire.

Remarques persos

Je pense qu’il y a encore trop de personnes qui croient qu’on vit dans un système politique dit démocratique où les gouvernements serviraient et écouteraient les administrés via les médiations traditionnelles (manifs, pétitions, votes, débats, grèves ponctuelles...), et où la technologie et quelques grands chefs avisés trouveront une solution pour nous sauver des désastres écologico-climatiques en cours (désastres que la civilisation, que nous vénérons encore, a produit).

Il y a encore trop de respect et de soumissions aux élus et surtout envers les dogmes et les bases matérielles du capitalisme.
De ce fait, la plupart du temps, malgré les gilets jaunes et la radicalité qui monte, les contestations ne sortent pas assez du cadre, s’en prennent à certaines conséquences du système désastreux, mais pas aux causes profondes, aux fondements, aux institutions néfastes.

On s’est contenté majoritairement de ce réformisme tant que le système en place fournissait assez de conforts matériels via la Croissance, le pillage des ressources naturelles et le (néo)colonialisme.
Mais l’absurdité violente de cette pacification et de ce consentement achetés par la consommation et l’avoir au prix de la destruction du vivant et de l’exploitation mondialisée d’autres humains nous explose à présent à la figure.

Ca coince, ça ne marche plus, même en France les pauvres et les précaires, de plus en plus nombreux, n’en peuvent plus, même ceux qui travaillent galèrent, même des étudiant se suicident du fait de la précarité.
De nombreux exilé.e.s doivent fuir leur pays en quête d’une survie possible.
Les catastrophes climatiques et écologiques créées par la civilisation industrielle et son capitalisme protégé/encouragé par les Etats nous explosent à la figure.

Ce système n’a plus d’avenir vivable, ses perspectives sont la guerre, la destruction, l’autoritarisme, la précarité et les inégalités accrues, l’écocide et l’horreur généralisées, la surveillance et la répression brutale.
Ce système ne fera que piller les plus pauvres, piller les biens communs et les services publics pour garder le même niveau de profits pour les plus riches, tout ça via des lois légales couvertes et garanties par l’Etat, ses gouvernements et ses polices/milices.

En conséquence, à situation inédite (ou situation où le voile tombe), contestation inédite.
Si le système en place craque, si on n’en veut plus, on ne pourra pas améliorer nos sorts et celui des restes du vivant par les moyens validés et admis par le dit système.
On ne pourra pas non plus s’en sortir avec les objectifs, philosophies, politiques, pensées, infrastructures, méthodes du système actuel. Il faudra donc (ré)inventer autre chose, mais heureusement des idées et exemples passés ou présents intéressants existent.
Pour les luttes et la résistance, il faudra forcément aller plus « loin », utiliser d’autres moyens, c’est ce que certains appellent une révolution, une insurrection populaire, ou tout simplement un changement radical de direction.

P.-S.

- Voir aussi :


Forum de l’article

  • Luttes contre la réforme des retraites, grève et actions : analyses d’une cheminote et gilet jaune Le 11 février 2020 à 21:28, par alain harrison

    Bonjour.

    La contestation et développé des actions qui génèrent des avancés concrètes face au système économique financier.

    Les Gilets jaunes pourraient développer l’idée d’une Maison du Citoyen.

    Acheté une bâtisse (avec l’aide du collectivisme large).
    Cette Maison pourrait être multi fonctionnelle avec comme base le resto du citoyen pour rentabilité, d’abord pour payer la bâtisse,
    avec plusieurs salles selon des utilisations adéquates : des salles de réunion, le resto (salle du resto) pourrait servir pour les réunions importantes. Le resto pourraît être aussi une bibliothèque (à lire sur place), En tout cas il en est de l’imagination.

    Une idée comme une action possible pour se positionner sur le plan de l’économie.

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