Reporterre a publié un excellent article qui retrace l’histoire de la grève et des grévistes en soulignant l’importance de l’autonomie matérielle et surtout alimentaire pour pouvoir tenir la grève longtemps :
Faire durer les grèves : les leçons de l’histoire - La grève contre le projet de réforme des retraites marque le pas après plus de quarante jours. La faute à l’étranglement financier des militants, malgré les caisses de grève. Longtemps pourtant, dans l’histoire du mouvement ouvrier, l’autonomie alimentaire a permis d’arracher de grandes victoires sociales.
Extraits de l’article :
À l’allégresse des premiers jours succède la fatigue. Lundi 20 janvier, la grève a été suspendue à la RATP sur une majorité de lignes de métro. À la SNCF, le taux de grévistes n’a jamais été aussi bas depuis plusieurs semaines. L’absence de débouchés, les violences policières et l’obstination du gouvernement à imposer sa réforme sont autant de raisons qui poussent au fléchissement du mouvement. Après plus de quarante jours de grève, la précarité ronge aussi les esprits. Elle bouche l’horizon. Dans les cortèges et sur les piquets de grève, une question taraude : comment subvenir aux besoins élémentaires et continuer à se nourrir, à se chauffer et se loger sans salaire ? Comment payer les factures ?
Si la grève actuelle a entraîné un sursaut de solidarité, avec la multiplication des caisses de soutien, elle a également révélé notre dépendance vis-à-vis du salariat, dans une société de plus en plus urbaine et marchande. Coupé du monde rural et enchaîné au crédit, il est devenu très difficile de se libérer du travail et de s’émanciper. « Sans salaire à la fin du mois, nous n’avons plus rien. Nous sommes dépossédés de nos moyens de subsistance et avons perdu toute forme d’autonomie matérielle », dit à Reporterre, le chercheur François Jarrige.
Dans un entretien avec Libération, l’historien Gérard Noiriel le reconnaît aussi : « Aujourd’hui, nous ne pouvons plus nous permettre d’organiser des grèves longues. » Les crédits à la consommation et l’accès à la propriété nous ont enfermés dans un modèle où nous vivons « sous perfusion ». Le mouvement social en est fragilisé et l’expérience d’une vie, hors du rythme saccadé de l’usine ou de l’entreprise, est rendue plus complexe.
Pour le chercheur, « les ouvriers en grève vivaient à l’époque une forme de sobriété volontaire. Ils faisaient perdurer la grève grâce à un réseau de solidarité et d’entraide » qui rendait cette « parenthèse de pauvreté » moins pesante.
Ces histoires font directement écho à ce qui se vit aujourd’hui à proximité de certains territoires en lutte comme Notre-Dame-des-Landes. Des opposants à l’aéroport utilisent désormais les terres de la Zad pour fournir en légumes les piquets de grève et alimenter les combats en ville. À Rennes,des réseaux de ravitaillement ont également vu le jour. Partout en France, des agriculteurs de la Confédération paysanne ont distribué, en décembre 2019, des paniers aux grévistes. Une manière de faire revivre ces longues traditions de lutte.
« L’autonomie peut nous paraître lointaine et inaccessible mais il faut imaginer que c’était le quotidien de milliers d’hommes et de femmes au début du XXe siècle, dit François Jarrige. Certains de nos acquis sociaux sont directement liés à l’endurance des grévistes. « Le fait que ces batailles aient déjà existé doit nous inspirer », estime-t-il. Il ne tient qu’à nous de faire réapparaître ces pratiques et de renouer avec l’autonomie. Nous devons reconnecter le mouvement social au milieu qui le nourrit. C’est, à mon sens, le défi de l’écologie politique. »
Article complet : Faire durer les grèves : les leçons de l’histoire
- Les gouvernements et le capitalisme veulent rendre la grève impossible ou inoffensive, la perte d’autonomie alimentaire rend la grève difficile
- Auparavant, les ouvriers avaient encore des liens à la terre, aux paysans, leur autonomie leur permet de tenir grève longtemps
Les gouvernements et le capitalisme veulent rendre la grève impossible ou inoffensive
Voici ce que j’écrivais dans des articles en décembre :
Malgré la précarité, les pertes de salaires, les risques de licenciements ou de sanctions, il faudrait qu’un max de monde soit en grève.
Sans ça le rouleau compresseur étatique et capitaliste pourra continuer et nous écraser durablement, car ensuite il sera encore plus difficile de se révolter du fait de la précarité accrue et du renforcement du contrôle et de la répression policière.
Mais l’Etat et le capitalisme jouent sur du velour, ils le savent, car l’individualisme, la perte d’habitude de lutter et la précarité (Note : et donc aussi la perte d’autonomie comme Reporterre le rappelle avec pertinence) tendent à empêcher de se mettre en grève, surtout dans le privé qui n’a pas la garantie de l’emploi. La grève devient de fait un droit fictif, théorique, que peu arrivent à exercer vraiment et durablement, donc c’est une arnaque, un « faux droit », tout comme le droit de vote (enchassé dans la non démocratie représentative contrôlée par le capitalisme et son fric, ses merdias...) ou le droit à la libre expression (vous avez déjà vu un anarchiste invité au journal de 20H ?).
Le système veut privatiser les services publics et détruire les statuts de fonctionnaire ou plus « protégés » aussi pour rendre très difficiles les grèves solides et dures. Le statut des cheminots est par exemple en voie d’être détruit au profit de statut privé plus précaire via plein de sociétés anonymes et sous-traitants.
C’est la volonté du régime et/ou la loi du capitalisme d’aggraver la précarité et de rendre de plus en plus difficile la résistance par la grève.
Dans le privé, les menaces de sanctions, de placardisations et de licenciements freinent les ardeurs grévistes.
Donc soit les salariés font grève quand même de manière massive en comptant sur la solidarité et diverses actions pour tenir et se débrouiller malgré tout, soit c’est la résignation, soit les contestataires devront assumer et soutenir des moyens d’action supplémentaires (blocages, sabotages, émeutes).
D’ailleurs, la stratégie du régime semble claire :
- passer en force ses mesures anti-sociales, pour écraser et accabler les moins combatifs, qui se retrouvent impuissants et de plus en plus précaires
- ignorer grèves, manifs et doléances, et augmenter la répression, afin de pousser les plus combatifs à user de moyens toujours plus illégaux.
Ensuite, le régime mettra en avant l’illégalité des actions pour justifier une répression sans limite des personnes et secteurs combatifs. Il espère que la contestation ne sera pas trop forte et compte sur ses flics serviles (et qui eux obtiennent à chaque fois des droits avantageux) pour éradiquer durablement (par mutilations, morts, prison, sursis, menaces, amendes...) toute résistance réelle.
Au final, comme Thatcher, le régime veut éliminer les plus combatifs et soumettre tous les autres en leur ôtant tout moyen de contestation efficace.
A nous d’avoir les bonnes stratégies, et des résistances suffisamment fortes, solidaires et larges pour déjouer ce sinistre projet.
Pour renverser la donne, il faudra aller bien plus loin que le retrait de cette contre réforme.
Article complet : Etendre la grève et les objectifs au lieu de s’enliser dans les manifs ? - Approfondir la grève générale et les blocages : la cible c’est l’économie avant tout
Voir aussi :
- On fait la grève générale de leur monde de mort, on arrête tout, on bloque tout, c’est simple ! - Il n’y aura pas de retour à la normale ; car la normalité était le problème
- L’incendie révolutionnaire contre la carbonisation de la planète (sur la deuxième vague mondiale des soulèvements et ce qu’elle combat) - Dans la deuxième partie de l’année 2019 a commencé un soulèvement qui s’est étendu de Hong Kong à Barcelon et Valparaiso, de Paris à Beyrouth et Bagdad et cent autres villes. Le volcan est en train d’exploser partout, maintenant les coulées de lave doivent converger dans une commune imagintion stratégique. (…) Hétérogène dans ses formes, le soulèvement a une origine commune : le refus de l’appauvrissement provoqué par des décennies d’absolutisme néo-libéral, le refus de subir la violence financière, et de vivre dans des conditions d’humiliation. (..)Les glaciers fondent, les océans montent et les forêts brûlent : cette fois, nous ne pouvons pas nous rendre. Si le soulèvement doit être étouffé par la violence du système financier uni à la résurgence du fascisme, alors il ne restera plus qu’à se résigner à l’extinction.
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