La résilience sert d’idéologie du consentement et de co-gestion du désastre

Non pas résister contre le désastre — social et écologique — en cours mais juste nous y adapter

dimanche 21 mars 2021, par Les Indiens du Futur.

LASILIENCE COMME TECHNOLOGIE DU CONSENTEMENT ET NOUVEAU NOM DE LA SOUMISSION

Je viens de finir ce livre de Thierry Ribault récemment paru chez L’Échappée. Malgré une prose pas toujours à mon goût, il s’agit d’un très bon livre, exposant nettement en quoi l’usage désormais très répandu du mot et de l’idée de « résilience » sert de « technologie » ou « d’idéologie du consentement » à la continuation du désastre. En effet, la résilience nous encourage non pas à résister contre le désastre — social et écologique — en cours mais à nous y adapter. Ainsi, la résilience est aussi une adaptologie, un discours de promotion de l’adaptation coûte que coûte, une invitation à la « cogestion du désastre » sans fin que prolongent inexorablement les forces de l’État, du capitalisme et de la technologie (toutes reposant sur le patriarcat), toujours sous couvert de « progrès », novlangue oblige.

Et la résilience est partout, désormais, de « l’opération résilience » déclenchée par Macron contre le covid19 à la « loi climat et résilience », en passant par le « City Resilience Framework » et l’ONG « 100 resilient cities » créés par la Fondation Rockefeller, jusqu’aux discours effondrologistes.

La résilience sert d’idéologie du consentement et de co-gestion du désastre

Dans leur livre Comment tout peut s’effondrer : manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, par exemple, Raphaël Stevens et Pablo Servigne, fameux thuriféraires de la résilience, s’inquiètent de « la capacité des populations à s’adapter et survivre aux conséquences du réchauffement climatique ». Face à ce défi, et à d’autres à venir, ils soulignent les tares du « réseau homogène et hautement connecté », lequel « montrera dans un premier temps une résistance au changement, car les pertes locales sont absorbées grâce à la connectivité entre les éléments » mais « ensuite, si les perturbations se prolongent, […] sera soumis à des effets en cascade et donc à des changements catastrophiques », révélant ainsi « une fragilité croissante ». En contraste, ils font l’éloge du « réseau hétérogène et modulaire (faiblement connecté, avec des parties indépendantes) », lequel « encaissera les chocs en s’adaptant » et « se dégradera progressivement ». Une dégradation progressive, quelle belle promesse. Dans la conclusion, les deux compères affirment : « En fait, il n’y a même pas de “solutions” à chercher à notre situation inextricable (predicament), il y a juste des chemins à emprunter pour s’adapter à notre nouvelle réalité. »

Dans leur livre Une autre fin du monde est possible, les mêmes plus Gauthier Chapelle nous encouragent, en guise de préparation à de futurs chaos socio-écologiques, à « voyager sans objets matériels, sans argent » afin « d’expérimenter notre résilience, nos capacités d’adaptation, et d’acquérir des compétences, voire des habitudes ».
Dans L’Entraide, l’autre loi de la jungle, les mêmes moins Raphaël Stevens nous expliquent qu’il « s’agit […] de s’unir et de se coordonner pour mieux s’adapter à la menace : résister, combattre, innover, etc. »

Dans Contre la résilience, Thierry Ribault rappelle que s’adapter (« Mettre en accord, approprier à quelque chose ou à quelqu’un d’autre, considéré comme prépondérant ou du moins comme incontestablement réel, de manière à obtenir un ensemble cohérent ou harmonieux ») et résister (« Faire obstacle à une action ou à une force ») sont deux idées antinomiques. L’assimilation des deux par les effondrologues reflète l’incohérence générale de leurs propos, dans lesquels on trouve tout, à boire et à manger (oui, ils n’encouragent pas qu’une adaptation, ils encouragent tout et son contraire, la belle affaire).

Quoi qu’il en soit, la résilience, en tant qu’acceptation et préparation à de futurs désastres, nous encourage à fournir toujours plus de sacrifices, à endurer toujours plus au nom d’un intérêt général illusoire, dont il devrait être évident qu’il correspond bien plutôt à un intérêt particulier, très particulier, celui des possédants, des dominants, celui du mal nommé « progrès », c’est-à-dire celui du système social et technologique dans son ensemble. Au passage, Thierry Ribault souligne le rôle du scientôlatre et laudateur du Progrès de service :

« L’exhortation au sacrifice personnel des autres pour le progrès altruiste de soi apparait on ne peut plus clairement et de manière totalement décomplexée dans une contribution au site de The Conversation, datée du 3 décembre 2015, d’Étienne Klein, directeur de recherche au CEA, organisme “membre adhérent du même support” : “L’idée de progrès, clame-t-il solennellement, est consolante par le fait qu’elle donne un sens aux sacrifices qu’elle impose : au nom d’une certaine idée de l’avenir, le genre humain est sommé de travailler à un progrès dont l’individu ne fera pas lui-même l’expérience puisqu’il n’est qu’un infime maillon de l’interminable lignée des générations, mais dont ses descendants pourront profiter. En somme, croire au progrès, c’est accepter de sacrifier du présent personnel au nom d’un futur collectif qui est à la fois crédible et désirable.” »

Braves gens, humains et non-humains, chers arbres, pins, chênes, poissons, vaches, poulets, porcs et pangolins, rassurez-vous ! Les sacrifices qui vous sont imposés au nom du progrès, de la résilience, la sommation à travailler que vous subissez, ne seront pas vains : « une certaine idée de l’avenir » en bénéficiera. Certes pas la meilleure, certes pas vraiment la vôtre, certes pas la nôtre, certes radioactive, polluée et peut-être dépourvue de la vie sur Terre telle qu’elle existait au début de la formidable aventure du Progrès, mais une idée tout de même, dont certains (bactéries ? robots ? cyborgs ?) « pourront profiter ».

Les Étienne Klein du monde, haut perchés dans les mystifications du Progrès, qui leur procure argent et notoriété, trouvent ça « crédible et désirable ».

Si la résilience, définie par Boris Cyrulnik (psychiatre de masse, bonimenteur professionnel) comme « la reprise d’un nouveau développement après un traumatisme », est désormais partout, c’est que l’on tente de nous préparer à de multiples traumatismes à venir, que l’on sait que le prétendu progrès garantit toujours plus de traumatismes divers et variés, mais que l’on ne souhaite pas l’arrêter, seulement nous y adapter. Comme on tente d’adapter les Japonais et tout particulièrement les habitants de la région de Fukushima à la radioactivité. Où l’on retrouve la dégradation progressive vantée par les effondrologues.

Post de Nicolas Casaux

- LIRE « Contre la résilience » : Un livre de Thierry Ribault, Editions l’Echappée

Ecologie et luttes sociales : faux-amis et vrais ennemis, une clarification vitale
Livre « Contre la résilience »

Résumé :
Funeste chimère promue au rang de technique thérapeutique face aux désastres en cours et à venir, la résilience érige leurs victimes en cogestionnaires de la dévastation. Ses prescripteurs en appellent même à une catastrophe dont les dégâts nourrissent notre aptitude à les dépasser. C’est pourquoi, désormais, dernier obstacle à l’accommodation intégrale, l’« élément humain » encombre. Tout concourt à le transformer en une matière malléable, capable de « rebondir » à chaque embûche, de faire de sa destruction une source de reconstruction et de son malheur l’origine de son bonheur, l’assujettissant ainsi à sa condition de survivant.

À la fois idéologie de l’adaptation et technologie du consentement à la réalité existante, aussi désastreuse soit-elle, la résilience constitue l’une des nombreuses impostures solutionnistes de notre époque. Cet essai, fruit d’un travail théorique et d’une enquête approfondie menés durant les dix années qui ont suivi l’accident nucléaire de Fukushima, entend prendre part à sa critique.

La résilience est despotique car elle contribue à la falsification du monde en se nourrissant d’une ignorance organisée. Elle prétend faire de la perte une voie vers de nouvelles formes de vie insufflées par la raison catastrophique. Elle relève d’un mode de gouvernement par la peur de la peur, exhortant à faire du malheur un mérite. Autant d’impasses et de dangers appelant à être, partout et toujours, intraitablement contre elle.

La résilience sert d’idéologie du consentement et de co-gestion du désastre
Grâce à la résilience, les naufragés de notre Titanic géant pourront nager plus longtemps dans l’eau glacée

La résilience, un substitut commode aux luttes collectives ?

Dans la Drôme comme partout, la résilience est à la mode.
Souvent il ne s’agit que de survivalisme individuel ou de petits collectifs, pas de large autonomie collective sur fond d’adaptation aux désastres qui hélas ne peuvent plus être évités.
La résilience, surtout dans la bouche des puissants et néo-capitalistes opportunistes, sert à effacer toute envie d’offensivité contre les causes des désastres, et remplace la ferme résistance collective par la soumission individuelle et la gestion administrative/policière des désastres par les personnes et les structures qui les ont causés.
Au lieu de démolir et remplacer collectivement le système techno-capitaliste-industriel cause des désastres, cette résilience là nous pousse individuellement à trouver, dans ce système inchangé, des moyens de survie dégradée.

Il ne s’agit surtout pas de mettre fin au nucléaire, aux pesticides, à la pollution de l’air, aux élevages industriels, à la Croissance, mais de faire des efforts individuels pour que votre corps s’adapte aux radiations, aux polluants, aux nouveau virus, et/ou pour que les plus fortunés ou les plus malins puissent s’acheter des propriétés dans des zones encore à peu près vierges des effets de la colonisation techno-industrielle.

Bien sûr, sur le moyen et long terme, ça ne marchera pas, les désastres rattraperont tout le monde, y compris les milliardaires et les starteupeurs sur leurs îles bunkérisées, mais cette propagande permet à court terme d’endormir les foules, de continuer les business juteux, de vendre en masse des dispositifs techno-verdis en guise de solutions salvatrices, de maintenir par la force les inégalités sociales et la démocrature policière.
Ainsi, les riches peuvent continuer à s’acheter des Tesla et des yachts luxueux (avec peinture bio et eau recyclée), tandis que vous autres êtes sommés de vous adapter docilement aux confinements, aux flics partout, aux pandémies, aux canicules et aux famines, en faisant bien attention de bien trier vos déchets et de prendre des douches courtes.
Welcome.


Forum de l’article

  • La résilience sert d’idéologie du consentement et de co-gestion du désastre Le 9 juillet 2021 à 23:31, par Indiens du Futur

    - La résilience, s’en prendre à soi plutôt qu’aux bourgeois - La « résilience » est devenue un concept en vogue ces dernières années : crise sanitaire, terrorisme, en entreprise… Le président de la « start-up nation » Emmanuel Macron en est même le spécialiste, à force de l’utiliser dans de nombreux discours.

    La résilience, c’est le fait de savoir accepter un traumatisme, d’être capable de l’accepter puis de rebondir soi-même. En réalité, et c’est donc l’objet de ce premier Socialcast de Frustration magazine produit pour Spectre, c’est d’accepter un traumatisme infligé par le système capitaliste, être capable de ne pas trop s’en plaindre et savoir se reconstruire de façon qui est socialement acceptable… toujours du point de vue des bourgeois.

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