Des « décideurs économiques », des élus de la gauche à la droite, et même à l’extrême centre macroniste, chantent à présent les louanges de la réindustrialisation de la France, de la relocalisation d’industries, un élément soi-disant clé pour le mieux être des masses avec les « créations d’emplois », pour soi-disant prendre soin de la nature et lutter contre les émissions de gaz à effet de serre.
- La réindustrialisation de la France c’est le contraire de l’autonomie et d’une politique écologique
- Derrière les vocabulaires smart-vert-cool du capitalisme moderne, toujours le même système bien sale
citation du Monde : "Renouer avec l’industrie, relocaliser, réindustrialiser. Ce qui était presque inaudible dans les années 2000, à la suite du rêve d’une France « fabless » – avec ces entreprises sans usine, chères à Serge Tchuruk, l’ancien patron d’Alcatel –, est devenu le nouveau mantra hexagonal, scandé par les politiques, les élus locaux et les décideurs économiques avec une belle unanimité. Depuis le sommet de l’Etat jusqu’à Gérald Sgobbo, maire d’une petite commune de moins de 1 000 habitants blottie au pied des Pyrénées. « L’industrie est devenue le nouveau cheval de bataille d’à peu près tout le monde », se réjouit Alexandre Saubot, président de France Industrie.
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Ce petit miracle ne dépend pas seulement des pénuries et des constats amers consécutifs à la pandémie. Les avatars de la désindustrialisation que sont le chômage, la perte de compétitivité du pays, le délitement du lien social, la désertion des villages, ont aussi conduit les élus à prendre conscience du rôle structurant de l’industrie dans leurs territoires, en matière d’emplois et de développement local.
« La France est le pays en Europe qui a le plus pris au pied de la lettre le concept de société postindustrielle, rappelle François Bost, professeur de géographie économique et industrielle à l’université de Reims. Aujourd’hui, on ne tient plus ce discours-là, on sait qu’on a besoin de toutes les activités : l’industrie a une dimension profondément géopolitique, c’est un atout de la puissance. » "
En réalité, l’industrie, le capitalisme, le productivisme, font partie du problème, que les usines soient ici ou ailleurs, que la production industrielle soit de propriété française, multinationale ou étrangère :
THINKERVIEW OU LA CONFUSION ALTERNATIVE
Élise Lucet (journaliste à France Télévisions), Régis le Sommier (ex-directeur adjoint de Paris Match), Georges Ugeux (PDG de Galileo Global Advisors, une banque d’affaires internationale basée à New York, et Executive Vice President International du New York Stock Exchange de 1996 a 2003), Alain Juillet (ancien patron du Renseignement à la DGSE, « dirigeant d’entreprises et haut fonctionnaire français »), Valérie Masson-Delmotte et Pierre Larouturou, Philippe de Villiers, Éric Zemmour, etc., les invités de Thinkerview sont souvent des personnalités déjà connues et reconnues, médiatiques, ayant voix au chapitre, en poste (ou ayant été en poste) dans quelque entreprise ou institution prestigieuse, dont les perspectives, par conséquent, sont rarement éloignées des idées dominantes. Qu’importe, chez Thinkerview, on prétend promouvoir « les points de vue peu médiatisés afin d’élargir nos prismes de lecture ». & si on invite, de temps à autre, un intervenant (supposément) anarchiste, cela témoigne seulement d’une absence de ligne directrice cohérente, d’une volonté de promouvoir tout et n’importe quoi — le fameux « donner la parole à tout le monde », qui aboutit bien souvent à donner la parole à ceux qui ont déjà les moyens de la diffuser, à toutes sortes d’affreux ; une confusion qui profite rarement, ou à la marge, aux idées réellement subversives.
Dernière invitée en date : Anaïs Voy-Gillis, docteure en géographie de l’Institut Français de Géopolitique, auteure de ‘Vers la renaissance industrielle’, co-écrit avec Olivier Lluansi, directrice de l’excellence opérationnelle chez June Partners, une entreprise de « conseil financier et opérationnel » qui « réunit les meilleurs experts des fonctions finance, RH, industrielles, opérationnelles et M&A qui savent ce qu’est l’entreprise, ses contraintes, l’obligation de résultats ». Encore une farouche dissidente, limite anarcho-insurrectionnaliste ! Non pas.
Voy-Gillis — qui, en août 2021, était interviewée par France Culture en vue de répondre à la question : « Le plan d’investissement peut-il contribuer à sauver l’industrie française ? » — est donc venue défendre, chez Thinkerview, la réindustrialisation de l’État-nation France, gage, selon elle, d’« autonomie ». Mais quel genre d’autonomie ? Une autonomie pour qui ? Ces questions ne seront évidemment pas posées. Bien entendu, l’autonomie en question est celle de l’État français en tant que « puissance industrielle », pas celle de ses sujets, pas celle des pauvres, des dépossédés, de « ceux qui ne sont rien » et qui « coûtent un pognon de dingue », pas de ceux que l’industrie exploite, qui n’ont d’autre choix que de vendre leur vie aux industriels de tout poil. (Si seulement ceux qui s’efforcent de s’identifier mentalement à l’État français (ou à son industrie) pouvaient réaliser que sa gloire, sa puissance, son autonomie, n’est pas la leur, que c’est même tout au contraire, que plus l’État est puissant, plus il les contraint.) Quelle autonomie, quand l’accès à la terre est interdit par un système d’accaparement du foncier, établi tout sauf démocratiquement, bénéficiant notamment à une élite ? Quand, du berceau à la tombe, l’individu est écrasé par — et asservi à — un système économique, juridique, politique, technique, sur lequel il n’a quasiment aucune prise ? L’existence de l’État (son « autonomie » à lui, qui, soit dit en passant, est impossible : tous les réindustrialistes le savent bien et ne visent pas une véritable autonomie, la technologie requiert une certaine mondialisation), c’est l’hétéronomie (l’assujettissement) des petites gens.
(L’absence de vergogne des CSP+ qui chantent les louanges de l’exploitation des pauvres par l’industrie est haïssable.)
Réindustrialiser la France ? Pour quoi faire ? Eh bien, pour le prestige de l’État, de la « patrie », de « l’industrie française ». Sa « santé » économique. Pour un meilleur fonctionnement du système d’exploitation des humains par l’État et le capitalisme. Pour fournir aux dépossédés davantage de possibilités de se faire exploiter, et en échange, peut-être, d’une paie un plus élevée. Pour leur offrir le bonheur immense, la satisfaction glorieuse d’avoir contribué à la grandeur de la nation, de l’industrie française ! Quelle joie, pour le smicard diabétique et endetté, de savoir que grâce à lui, l’industrie française se porte bien ! L’industrie, le travail à la chaîne, à l’usine — comme l’a récemment souligné la Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances Agnès Pannier-Runacher — quelle magie !
Noble cause que défendent donc les fonctionnaires de l’État et du Capital qui souhaitent insuffler davantage de magie (industrielle) dans le quotidien des moldus.
À l’instar d’un George W. Bush (« le mode de vie américain n’est pas négociable »), Voy-Gillis considère que pour « garder notre confort de vie actuel on a besoin des industriels ». L’important, donc : conserver, perpétuer le mode de vie techno-industriel moderne. Qui plus est, apparemment, seule l’industrie serait en mesure de résoudre le problème du réchauffement climatique engendré par l’industrie : « on ne sortira pas de cette situation climatique sans l’industrie ». Industrie, ça rime avec écologie.
Peu importe que toute l’histoire de la civilisation industrielle prouve exactement le contraire. Peu importe qu’aucune industrie n’ait jamais été et ne soit écologique, que toutes nuisent de nombreuses manières au monde vivant. Peu importe, parce qu’il y a le bluff technologique : demain, grâce au progrès technologique, il en ira autrement (Voy-Gillis cite un de ses amis, selon lequel « l’industrie, c’est 20% des émissions et 100% des solutions »). Ayez confiance. Voyez les voitures électriques, qui poussent naturellement dans les prairies industrielles.
Bref. La réindustrialisation de la France ne ferait — évidemment — qu’infliger de nouveaux dégâts au territoire. Ceux qui se soucient de la nature et aspirent réellement à l’autonomie ne peuvent qu’être hostiles au système industriel dans son ensemble, à l’État et « l’économie ». L’autonomie, c’est se débarrasser du système industriel et de la domination étatique, refaire société localement, communautairement, démocratiquement, décider ensemble de la manière dont on s’organise. Et viser l’autosuffisance (réelle, pas celle de Mr. écolobio qui, parce qu’il s’est acheté des panneaux solaires photovoltaïques à Ikea et des toilettes sèches chez Leroy Merlin, considère désormais qu’il est 100% autonome).
Post de Nicolas Casaux
- La réindustrialisation de la France c’est le contraire de l’autonomie et d’une politique écologique
- L’industrie 4.0 : fusionner l’humain et la Machine, contrôler l’intégralité des territoires
# La plupart des militants de la gauche et les écologistes mainstream se réjouiront sans doute de cette velléité (relative) de relocalisation des industries et de réindustrialisation 4.0.
Peut-être même qu’ils apprécieront aussi les projets de mines extractivistes françaises, terrestres ou maritimes, qui serviront à alimenter ces usines.
Ils n’ont que du court-terme en tête, du clientélisme et la croyance qu’une techno-industrie moderne, verte-soutenable-éthique-décarbonée, est possible-souhaitable.
Ils restent tous prisonniers de la pensée capitaliste et techno-industrielle, ils tournent en rond dans le cadre de la civilisation industrielle.
Ils désirent en fait la continuation du même système et sont incapables d’imaginer autre chose ?
Ils croient solutionner les dégâts écologiques, climatiques et sociaux créés par l’industrie en implantant davantage d’industries et en relocalisant ici certaines de celles qui avaient été délocalisées ailleurs auparavant ? Il s’agira surtout des activités autour des nouvelles technologies (IA, robotique, cybernétique, génétique, nanotechnologies, internet des objets, biotechnologies...).
On marche sur la tête !
Les forces de gauche et écologistes ne sont-elles plus que les servantes zélées et empressées de la Machine ?
Au lieu de libérer les humains et la nature de l’emprise de la Mégamachine, elles veulent nous y enchaîner davantage ?
Elles croient encore que l’émancipation passe par la libération des forces productives et le travail au service des industries et du Capital ?
Elles croient encore que la technologie est neutre et pourrait servir utilement les peuples au lieu du Capital ?
Au lieu de l’émancipation sociale elles visent la fossilisation et le renforcement du délétère rapport social capitaliste ?!
- La réindustrialisation de la France c’est le contraire de l’autonomie et d’une politique écologique
- Davantage de techno-industries pour résoudre les désastres créés par le système techno-industrielle - Une fable absurde à laquelle trop de monde croit encore
Sur Ricochets, dans une veine complémentaire :
- La gauche croit encore qu’industrie, science et technologie pourraient rimer avec liberté, démocratie, écologie et égalité - Il est temps de quitter ce mythe dévastateur et de chercher l’émancipation et le bien vivre autrement
- Climat : ce n’est pas l’appât égoïste du profit qui détruit les mondes vivants, mais un système délétère et mécanique du fait de ses lois internes - La Mégamachine se fout de nos degrés de vertues morales
- Le Monde critique avec raison les options « tout technologique » de Macron, mais s’enlise dans les formules vagues et adaptables de la sobriété et du mode de vie, et en s’appliquant comme d’habitude à ne pas viser explicitement le rapport social capitaliste, et encore moins la civilisation industrielle et ses fondements. On parlait de cette enfumage dans les « modes de vie » sur Climat & écologie : sortir des discours flous sur le changement de comportement ou de mode de vie, la responsabilité individuelle, la morale ou les habitudes de consommation - Nommons plutôt les responsabilités structurelles et politiques, dans le but d’actions collectives
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