La marée noire empoisonnée de la catastrophe Lubrizol n’est pas un simple accident

Au delà du symptôme, le poison est bien plus profond

jeudi 3 octobre 2019, par Camille Pierrette.

Au fil des jours, des faits déjà s’accumulent à charge des autorités, du préfet de Seine-Maritime Pierre-André Durand, de Lubrizol Rouen.
Les mensonges, manipulations apparaissent, le cynisme, le mépris et l’incompétence éclatent.
- Après les infos, quelques réflexions, et les sites SEVESO dans la Drôme...

Quelques articles parmi d’autres :

  • Lubrizol, symptôme de la dérégulation de l’environnement - Ces derniers mois, l’usine Lubrizol de Rouen avait pu s’agrandir, sur simple décision du préfet, sans étude d’impact environnemental et sans étude de danger. Une facilité due à des modification très récentes de la réglementation, nous explique le docteur en droit de l’environnement Gabriel Ullmann.
  • Lubrizol : les gens du voyage en première ligne - Une habitante de l’aire d’accueil de Petit-Quevilly a accepté de raconter la nuit de l’incendie
  • Nombreux articles sur Rouen dans la rue, par exemple :
    • Incendie de Lubrizol à Rouen. Les questions qui fâchent - On envisage trop souvent les ravages de l’industrie à travers le seul prisme de l’accident, lorsqu’éclate au grand jour l’horrible vérité qui se cache derrière les murs des usines que nous longeons quotidiennement. Mais le terme d’accident n’est peut-être pas approprié, tant ces sites industriels – et la logique de profit qui justifie leur existence – contiennent dans leur fonctionnement normal l’exposition potentielle de ceux qui y travaillent et de ceux qui vivent aux alentours à la maladie et à la mort.
      Combien de Seveso, Bhopal, Tchernobyl, Fukushima ou Lubrizol faudra-t-il encore pour comprendre qu’il ne s’agit pas de regrettables accidents industriels ? Combien de pluies toxiques, d’empoisonnements massifs, d’épidémies de cancers pour arriver à la conclusion logique que toutes ces industries mortifères des hydrocarbures, de la chimie, du nucléaire ne sont pas à contrôler, réguler ou à sécuriser mais à abolir ?
  • Incendie de Lubrizol : après le panache de fumée, la colère noire des citoyens - Mardi 1er octobre, des milliers de citoyens se sont réunis, à Rouen, pour exiger une plus grande transparence des autorités à propos de l’incendie de Lubrizol. Habitants et associations craignent la toxicité des substances qui se sont échappées de l’usine chimique.
  • Le témoignage glaçant d’un ex-salarié de Lubrizol : « Il aurait fallu évacuer la ville » - Cet ancien employé de Lubrizol, chimiste, a accepté de témoigner auprès de notre rédaction sous couvert d’anonymat. Connaissant la toxicité des produits partis en fumée, il est implacable : "La gestion de crise a été catastrophique, on n’a eu aucune consigne. Ils n’étaient pas prêts à évacuer une ville de 100.000 personnes, alors que pour moi, connaissant la nature des produits, ça aurait du être fait, ne serait-ce que par principe de précaution".
  • Rouen : On me dit que mes résultats d’analyses me sont inaccessibles, qu’elles doivent rester confidentielles - Autour de l’usine incendiée, habitants, pompiers et élus locaux ont du mal à faire confiance aux informations officielles distillées au compte-gouttes.
  • on apprend aussi qu’à Rouen des traces de dioxines ont été retrouvées, que des écoles proches n’ont pas été nettoyées, etc., etc.
  • Lubrizol : la préfecture s’opposerait à la nomination d’un expert indépendant
  • « À ceux qui nous gouvernent » : le coup de gueule d’une Rouennaise après l’incendie de Lubrizol - Comme de nombreux habitants de Rouen et son agglomération, Muriel s’est retrouvée sous le nuage de fumée, jeudi 26 septembre 2019, après l’incendie de l’usine chimique Lubrizol. Elle adresse aujourd’hui une lettre ouverte « à l’attention de ceux qui nous gouvernent ».
Lubrizol Rouen après l’incendie
photo venant de Rouen dans la rue

A Rouen comme ailleurs, comme après des brutalités policières et les cas de personnes tuées par la police (notamment dans les ghettos et quartiers populaires), les « autorités » se contenteront de discours mensongers, de commissions pour noyer le problème. Ils retarderont le plus possible les informations afin d’éviter qu’elles soient dévoilées quand les habitants sont très en colère.

Demander la vérité à des pyromanes (les élus et préfets qui laissent exister ce type d’usines, et en plus près d’une ville, qui mentent, cachent les choses, se foutent des gens et encore plus des gens du voyage qui étaient juste à côté) n’avance généralement pas à grand chose. Mieux vaut les virer tous.

Exigeons directement la fermeture de l’usine, la destitution des élus et du préfet, pour commencer. Obligeons l’état et l’entreprise à payer TOUT les frais (nettoyage, pertes, pollutions, santé...).
Sans doute faudrait créer une commission d’habitant.e.s indépendantes pour évaluer les dégâts (financée par l’entreprise et l’Etat), avec des experts indépendants choisis par la commission et provenant si possible de pays étrangers pour éviter qu’ils se couchent devant le risque de perdre leurs contrats en france ensuite.

Se limiter à demander « la vérité » aux autorités c’est encore se soumettre à elles, leur donner du poids, de la légitimité. Alors qu’elles ont montré une fois de plus leur incompétence, leur cynisme, leurs mensonges, leurs manipulations, leur mépris.
Les autorités sont pour que le système industriel continue, pour que le capitalisme continue, elles feront tout pour limiter les infos et les choses qui pourraient freiner ou jeter le discrédit sur le capitalisme et le système industriel.
Ils sont illégitimes et dangereux (seuil haut) et doivent tous dégager, préfets, élus, chefs de cette entreprise.

Il est bon de leur mettre d’emblée la pression en annonçant d’emblée des objectifs qui leur font peur et qu’ils ne peuvent pas étouffer aussi facilement qui si on se limite à leur demander, à eux, la vérité. S’ils ont peur ils lâcheront plus vite des infos pour essayer de calmer les gens.
Mais pour que ça marche il faudrait que la pression soit mise vraiment, et par un nombre conséquent de personnes bien sûr.
Et ensuite, continuer pour tenter d’atteindre pour de bon les objectifs.
C’est aux habitants de Rouen et environs de voir, je ne suis pas sur place, c’est juste un avis par rapport à l’observation de cas similaires passés.
Idées pour mettre la pression : Une grève générale à Rouen, le blocage de la ville, le siège des bâtiments officiels ? des manifs offensives, etc.

Lubrizol Rouen après l’incendie

Mais allons à présent au-delà de la colère et de l’indignation contre les cyniques responsables de la catastrophe et les acteurs du mépris des habitants.

Le nuage noir chargé des poisons de Lubrizol nous dit quelque chose.

Le problème est au-delà d’un très grave « accident » industriel, c’est le capitalisme, la civilisation industrielle qui sont un très grave accident permanent.
Cet « accident » de Rouen est une boursouflure puante et géante du système industriel, c’est le signe explicite qui nous montre le visage hideux du monstre sous-jacent qui est à son image, partout, même quand il se présente sous le jour « moderne » et « propre » de la 5G, des éoliennes géantes, des fermes de panneaux photovoltaïques, des réseaux « intelligents » et des voitures électriques.
Cet « accident » monstrueux est un avertissement de plus, un signal fort, une alerte rouge sur le gigantesque monde écocidaire dont il fait partie, une invitation à arrêter tout ça au plus vite et à faire autre chose.

Au delà de ses circonstances et de son degré de gravité, cet « accident » à Lubrizol nous informe de la réalité destructrice de la civilisation industrielle.
Dans le monde puant du capitalisme et de la civilisation industrielle, la catastrophe c’est tous les jours, depuis longtemps, visible ou cachée, ici ou ailleurs.
Ce poison s’est infiltré partout, dans les sols, dans l’air, l’eau, les animaux, dans nos corps glyphosatés, dans les glaces des pôles, les insectes, les oiseaux, dans la pluie, dans les rivières et les nappes phréatiques, dans nos maisons, dans nos poumons et nos os, dans le sang et la sève du vivant...

Mais surtout ce poison mortel du capitalisme et de la civilisation industrielle (seuil très haut, plafond crevé) s’est infiltré profondément dans les têtes, les cerveaux, les désirs, les réflexes, les rêves, les pensées. Et c’est là qu’il est le plus dangereux, les plus sournois, c’est là qu’est la source des catastrophes et ce qui leur permet de continuer.
Ce poison séduisant et trompeur dans nos têtes semble très difficile à extirper, et pourtant ça reste plus facile à faire que de dépolluer la Seine et les sols à Rouen.

Ce poison infiltré dans nos têtes nous semble à présent presque "naturel", on ne le voit plus comme un alien mortel et mutant, la contamination est souvent inconsciente, niée, cachée, refoulée, minimisée, c’est une troisième peau. La propagande intense et permanente du système scolaire, de la publicité, de l’Etat, des entreprises, de l’industrie culturelle est là pour nous faire oublier qu’il s’agit d’une idéologie construite et non d’un fait "naturel" inné.
D’autres poisons plus colorés nous invite à ne nous préoccuper que de nous, de notre petite santé, via des stages divers et onéreux, de séjours "nature" et de consommation bio, sur fond de développement durable magique. Ils sont tout aussi pernicieux et ne forment qu’une variante, faussement cool, du libéralisme suicidaire.

De nos jours on est bien plus facile à dominer/manipuler car on adhère intérieurement aux principes (capitalisme, Etat, croissance, civilisation industrielle, productivisme et accumulation consommatrice...) qui assoient et perpétuent les systèmes de domination et de destruction.

Dans le temps, au 19èpe siècle et au début du 20e, les ouvriers et les travailleurs adhéraient plutôt au marxisme, à l’anarchisme, ils n’avaient pas encore adhéré intimement et complètement à l’idéologie de leurs maîtres et tyrans.

Malgré tout, la résistance est toujours là, les gilets jaunes et autres nous en fournissent de beaux exemples, il est à présent vital de l’amplifier et de l’étendre partout.
- voir Nous ne demandons rien à l’État, nous voulons tout reprendre : la joie, la liberté, la beauté, la vie - À la colère contre la catastrophe écologique, humaine et sociale en cours, le pouvoir ne propose que des « mesurettes », expliquent les auteurs de cette tribune. Qui, déterminés à changer le système, occuperont le 5 octobre « un lieu emblématique du système pour le transformer en maison du peuple ».

Tant qu’on est en vie, il reste possible de se désintoxiquer, de rejeter les poisons du capitalisme et de l’Etat hors de nous, de les connaître et de savoir s’en immuniser au moins en partie.
Pour ça, un cocktail d’antipoisons, variable selon chacun.e, y contribue, un joyeux mélange de réflexion, prises de conscience, actions collectives diverses : lectures subversives (livres sur l’écologie, auteurs anarchistes et marxistes, livre « libérons-nous du travail », « critique de la Valeur », etc.), émeutes, discussions entre ami.e.s ou sur une barricade, repas partagés de rond-point, médias de contre-pouvoir, suivre l’actualité, blocages, grèves, actions de solidarité, expérience de vie en ZAD, séjour parmi des plus pauvres en france ou ailleurs, manifestations offensives, pratiques d’autogestion, contempler le monde naturel, etc.

Il n’y a pas de recettes miracles, mais si la bonne volonté et l’ouverture sont là, la vie, les événements et les rencontres nous aident très vite à nous débarrasser de la prison intérieure et à agir pour la résistance avec nos soeurs et frères.

Les installations classées SEVESO dans la Drôme

Dans la Drôme on ne « bénéficie » pas seulement de centrales nucléaires usagées, d’une usine de fabrication de combustibles nucléaires (Romans sur Isère), de dépôt illégal de déchets nucléaires dangereux (entre Nyons et la Vallée du Rhône), on a la joie d’accueillir aussi quelques sites SEVESO (seuil haut ou bas).
Réjouissons nous de participer ainsi à la glorieuse Croissance qui créera par bonheur de nombreux emplois de croque mort.

- Voici des sites SEVESO dans la Drôme (page 57-58-59) (Bayer, Shell, Elf...)

Pour achever ce joyeux tableau qui laissera de marbre tous les ami.e.s du bloc bourgeois et autres adeptes de la politique de l’Autruche, quelques exemples parmi des millions d’autres, pour se réjouir des bienfaits de l’Etat et du système industriel :


- En complément, un post de N Casaux :

Une réflexion de Bernard Charbonneau, tirée de son livre intitulé « Le changement » (qui aurait aussi pu s’appeler « Le développement » ou « Le Progrès »), qu’il semble intéressant de rappeler en regard de la catastrophe spectaculaire qui a ravagé Rouen et ses environs :

« Le changement nous échappe aussi parce qu’il est à la fois spectaculaire et quotidien. [...] La bombe A a explosé, mais, silencieusement, chaque jour les déchets s’accumulent. L’ex-Amoco Cadix a englué l’Armor, mais un par un les ruisseaux sont transformés en égouts par l’azote et le recalibrage.

Méfions-nous de la catastrophe spectaculaire qui s’inscrit dans l’actualité, la pire est invisible. Le véritable coût est cumulatif, goutte à goutte, seconde après seconde s’accumule un Océan qui crèvera sur nos têtes. Quand la vraie catastrophe aura lieu, il sera trop tard. [...]

Que l’on comprenne, le plus grave n’est pas ce que nous savons, mais ce que nous ignorons.[...] À plus long terme, quels seront les effets d’une pollution accumulée des mers et des océans ? [ou d’une accumulation de déchets nucléaires, ou d’un empoisonnement incessant des sols par toutes sortes de produits toxiques, etc.] Les spécialistes en discutent et ne sont pas d’accord sur les causes et les risques pour l’atmosphère et la vie. Mais nous pouvons être sûrs d’une chose, c’est que nous n’en savons rien ; et qu’il est fou de continuer à foncer ainsi dans le noir. »

La catastrophe de Lubrizol devrait être examinée dans le cadre des désastres permanents, quotidiens, inexorables, toujours plus nombreux, toujours plus imbriqués, que génère inéluctablement la civilisation industrielle.


Forum de l’article

  • La marée noire empoisonnée de la catastrophe Lubrizol n’est pas un simple accident Le 16 octobre 2019 à 16:15, par Camille Pierrette

    La catastrophe Lubrizol n’en est qu’à son début, voici ce post concernant des pompiers :

    LUBRIZOL - ANALYSES ANORMALES CHEZ DES POMPIERS
    Une nouvelle qui doit faire plaisir aux pompiers, alors qu’ils viennent d’être réprimés hier dans les rues de Paris pour avoir demandé de meilleures conditions de travail.
    Environ 800 agents, pas seulement de Rouen et de Normandie, sont intervenus sur le site sinistré de l’usine Lubrizol jeudi 26 septembre et le lendemain.

    9500 tonnes de produits chimiques sont partis en fumée au-dessus de Rouen dans cet incendie : la population a-t-elle eu droit à des analyses similaires ? Seront-elles payées par Lubrizol ?

    De toute évidence, il faut en finir avec ce monde-là, qui enrichit les incendiaires, qui intoxique les gens et qui réprime les révoltés. « La révolution est le frein d’arrêt d’urgence ».

    Source : Le Monde & Désobéissance Ecolo Paris

    Répondre à ce message

  • La marée noire empoisonnée de la catastrophe Lubrizol n’est pas un simple accident Le 3 octobre 2019 à 20:14, par Les Indiens du Futur

    Un post de « Rouen dans la rue » appuie mon article, extrait :

    Deux aspects méritent tout particulièrement notre attention. Premièrement, la fréquence des « accidents » industriels :
    « En matière d’industrie dangereuse, l’accident n’est pas exceptionnel, c’est la norme. Les accidents dans les établissements classés français sont passés de 827 en 2016 à 978 en 2017, et 1 112 en 2018 et près de la moitié d’entre eux laissent s’échapper dans l’environnement des substances dangereuses. Les établissements Seveso contribuent sensiblement à cette progression : pour 15 % en 2016, 22 % en 2017 et 25 % en 2018. »

    Pour 2018, on est donc en moyenne à trois accidents par jour. C’est la notion même d’accident qui devient problématique : les fuites, les incendies, les explosions, constituent bien plutôt le fonctionnement normal de ces industries polluantes.

    Deuxièmement, l’auteur pointe l’assouplissement des mesures qui encadrent l’activité des industriels. Les régulations, les directives ont pour but principal de favoriser le développement de l’industrie en étant le moins contraignant possible pour les industriels.
    (...)
    « C’est aux populations de s’acclimater à l’industrie et son cortège de risques et de pollution, au nom de l’utilité publique, l’industrialisation étant assimilée au bien général. Plutôt que d’interdire un produit, on commence à définir une acceptabilité par la dose et les seuils. D’où la banalité de la proximité des usines dangereuses avec des zones habitées depuis deux cents ans. »

    « La régulation des risques et des pollutions ne protège donc pas assez les populations, parce qu’elle protège avant tout l’industrie et ses produits. Les garde-fous actuels (dispositifs techniques, surveillance administrative, réparation et remédiation, délocalisations) ont pour but de rendre acceptables les contaminations et les risques ».

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