Aujourd’hui, derrière les vitres de la maison, les flocons voltigent et fondent en arrivant au sol. Le souvenir de mai 68 est caché quelque part, intemporel mais secret.
Je me souviens d’un jour où, après un cours à la Sorbonne, j’ai assisté aux premiers heurts. Tout naturellement, j’étais disponible comme les autres, des milliers d’autres jeunes.
La pulsation de la rue qui se remplit et se vide est la respiration même de la vie.
Pour une fois, le dedans et le dehors correspondent à la perfection. Le tumulte, l’enthousiasme et la confusion : nous les retrouvons matérialisés à l’extérieur tels qu’en nous-mêmes. C’est pour ça qu’il n’ y a pas d’hésitation, pas de doute.
Je me souviens qu’on était prêt. Discuter, marcher, créer le monde , se dessaisir du lourd, de l’inutile, de l’inopérant. Dans les rues déjà vides de voitures, et combien pleines de rêves qui semblaient à portée de main de chacun.
Je me souviens que nous marchions sans fatigue, léger.e.s, planant dans une autre dimension qui nous mettait à l’abri du danger, gentiment amusé.e.s des préoccupations matérielles.
Je me souviens que quand les jeunes des banlieues se sont joints aux cortèges, curieux, exaltés, désorientés, je me suis sentie aussi étrangère, marginale, inconnue, mais parmi eux, avec eux, pareille à eux. C’est moi qui leur ai montré le chemin du Quartier latin que je connaissais depuis peu, et nous avons avancé parmi les arbres coupés et incendiés, risibles barricades, nous avons fui, moi qui, comme eux, venait de loin.
Je me souviens qu’un jour, l’autre partie a parlé plus fort, les voitures ont commencé à rouler, la rue a été aspirée. Je ne veux pas me souvenir d’un grand désenchantement.
A poursuivre avec la mémoire d’autres luttes, pas pour les enterrer mais pour libérer notre imagination.
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