Avant le premier tour je m’étais dit « Ah non ! Ce coup-ci je ne me ferai pas piéger ». C’était décidé je resterai en accord avec mes idéaux politiques, je ne voterai pas, non, je ne cautionnerai pas le système oligarchique déguisé en démocratie.
Et puis, et puis, Mélenchon et son projet de nouvelle constitution est monté dans les sondages et même si je le trouve encore trop pro Union Européenne et trop productiviste, je me suis dit ce serait intéressant de voir ce qu’il ferait à la tête de la France. Cèderait-il à la pression de la Finance Mondiale ou tiendrait-il ses promesses ? Un petit espoir m’a gagnée.
Malgré cet espoir, pas de surprise le soir du premier tour. Je prends acte du choix de mes concitoyens même si je ne perds pas de vue que les dés sont pipés, on ne va pas revenir là-dessus, ce serait trop long, et que ces deux candidats ne représentent au final que très peu de Français.
Je suis suffisamment contrariée pour me dire « au second tour « ni l’Etat policier ni le néolibéralisme » ces deux enfants du capitalisme. J’ai participé à toutes les manifs contre la loi travail, je ne vais quand même pas me renier au point de voter pour un de ses initiateurs.
Et puis, et puis, la peur monte, plus la Le Pen devient mielleuse, plus j’entends ce qu’elle cache et les « on est chez nous » de ses partisans. Et ça me fout vraiment la trouille. Quand on voit comment les maires FN attaquent la protection sociale et la culture, l’égalité et la liberté, on a peu de doutes sur ce qu’elle mettrait en place si elle gagnait et sur ce qui arriverait à ceux qui n’ont pas la bonne couleur, le bon nom, la bonne sexualité, les bons symptômes, les bonnes idées, la bonne addiction. Quelle place resterait à ceux qui essayent vivre autrement, qui inventent au jour le jour d’autres façons de vivre ? Quel risque pour les différents, les fragiles, les pas conformes ? Et plus ça va, plus cette trouille s’incarne autour de moi. Qui est en danger ? C’est ma sœur adoptive d’origine camerounaise, c’est mes amies homo, mon amis toxico, c’est moi, handicapée, c’est tous les fracassés et les révoltés. Et c’est peut-être vous aussi ?
Je n’ai pas honte de dire que j’ai la trouille parce que je pense que derrière l’aspect bien rationnel des discours de la politique se cachent des passions et des humeurs, des émotions basiques. Donc oui j’ai peur. Le Pen présidente, c’est la porte ouverte aux passions les plus haineuses et à la violence des milices encouragées. Mes amis se tairaient, se cacheraient ou seraient forcés de s’exiler. Je ne serais plus soignée. Peut-on prendre le risque de mettre en danger tous les faibles et tous les rebelles parce qu’on s’accroche à ses idéaux ?
Je suis bien persuadée que ce soit le banquier Macron ou l’héritière Le Pen qui l’emporte, la France sera de moins en moins vivable, de moins en moins sociale, de moins en moins écologique, de moins en moins démocratique mais ça ira bien plus vite et plus fort avec elle. Alors je cherche à gagner du temps parce qu’on ne sait pas ce qui peut arriver, par exemple une nouvelle crise boursière qui mette tout le monde dans la rue. Je veux préserver le plus longtemps ce qui nous reste de liberté d’expression, de possibilité de résister et de droits sociaux. C’est probablement reculer pour mieux sauter car le libéralisme va continuer de nourrir l’extrême-droite et la xénophobie mais si nous sommes carrément muselés nous en aurons pour des décennies avant de nous défaire d’une dictature. Voter Macron (et ça fait mal d’écrire ça) c’est du court-terme mais pas davantage que le non-vote. Il y a des gens qui ne peuvent pas voter et qui aimeraient bien, juste pour pouvoir rester en France.
Je comprends ceux qui ne votent pas, je n’ai pas toujours voté, je comprends ceux qui votent blanc, ça m’est arrivé aussi, je comprends ceux qui ne veulent surtout pas voter Macron, qui auraient le sentiment de se trahir, j’arrive même à comprendre ceux qui votent FN par dépit, même si je ne le ferai jamais, je partage leur désespoir et leur colère à tous.
Mais je préfère vivre dans un monde vivable pour tous plutôt qu’avoir raison à tout prix.
J’irai voter Macron parce qu’au final c’est en ce jour une façon de résister à la haine et à la bêtise...et de retourner dans la rue au plus vite !
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