Prise de son et montage > Emmanuel Moreira
Image > Greg Souchay
La transformation du vent en électricité c’était la trouvaille des écolos qui se sont empressés de le faire savoir aux ingénieurs pour la dite transition écologique. Le vent, c’est propre et c’est vivant, c’est sympa même si parfois ça souffle un peu fort, mais globalement c’est pas méchant et puis surtout c’est inépuisable. D’ailleurs les ancêtres, ceux d’avant la modernité, tournaient au vent, alors pourquoi pas maintenant. Sauf que les moulins c’était pas de la très haute technologie et c’était de l’énergie très locale, au pied du moulin, pas plus loin.
Les ingénieurs à qui les écolos de la transition se sont empressé d’aller narrer leur trouvaille, ce sont ceux des ponts et chaussées, ceux qui aiment les routes, les autoroutes, les lignes à grande vitesse, le trading à haute fréquence, bref, les adeptes de l’infrastructure, fondateurs des États modernes, boosteurs en chef de l’industrie, de la mondialisation heureuse et de la mise en flux de tout le vivant, à travers un réseau dense de routes diverses et variées. Car l’électricité a aussi ses routes et ses autoroutes et dans ce domaine la société s’appelle RTE. Réseau de Transport de l’Electricité. Ainsi RTE construit des autoroutes comme Vinci construit les siennes. L’idée, toujours la même, c’est de produire dans un endroit une quantité x de choses – si possible beaucoup et de l’envoyer aussi loin que possible. Comme une tomate qu’on envoie à l’autre bout du monde, à travers tout un réseau de routes, tout un parc mobilier de camions et tout un parc immobilier de commerces et beaucoup d’énergie fossile. Ce qui a été fait pour la tomate et qui a conduit à l’agriculture intensive, à l’hypermétropole et à la désertification des campagnes, RTE le fait pour l’électricité. L’élec ça se transporte, et c’est pas fastoche, parce qu’on en perd beaucoup en route. Et donc il faut des relais pour rebooster la quantité d’énergie et si on veut beaucoup d’énergie en bout de réseau il faut en envoyer beaucoup beaucoup. En Aveyron donc, RTE exporte déjà pas mal d’énergie vers les villes du sud. Dans le réseau de RTE la commune de Saint Victor c’est déjà un gros carrefour et RTE voudrait en faire un gros échangeur. Elle imagine construire un nouvel équipement. Un nouveau transfo pour propulser 400 000 volts sur son réseau et exporter vers les grandes métropoles du sud, l’Espagne, et éventuellement le Maroc. Pas mal, gros projet de développement garantie vieux monde. Et si RTE tient absolument à ce nouvel équipement au point de militariser le petit village, de semer la peur dans la tête de ceux qui osent douter, c’est que pour RTE il s’agit d’augmenter la quantité d’électricité qui sera mise en circulation. D’ajouter au nucléaire, aux centrales hydroélectriques, l’éolien. Des centaines d’éoliennes. D’ajouter, pour plus de consommation d’électricité, pour les voitures électriques de demain pleines de matières dégueulasses dedans, pour les écrans de pub dans les métros et gares, pour les caméras à reconnaissance faciale, pour tous les objets connectés de demain, pour que rien ne change et que tout roule, comme toujours, pour faire de l’argent. Et si au passage il faut faire de l’Aveyron une vaste zone industrielle de l’énergie, un territoire asservi, si au passage les vaches dépriment ou tombent malade, comme c’est déjà le cas ailleurs sous les éoliennes et bien tant pis ou même tant mieux se disent sans doute les promoteurs. Voilà la dite transition écologique de RTE et de leurs amis. Continuer à découper le territoire en zones de productions, en zones de consommations, continuer le productivisme, faire de la France une grande nation exportatrice d’électricité, marchander l’exploitation des terres agricoles en terres électriques et s’assoir sur l’Aveyron.
Sauf que durant l’hiver 2014/2015, sur le lieu-dit la plaine à Saint Victor, s’entamait le chantier de construction de l’Amassada, qui devait devenir au fil des années le lieu incontournable de la lutte contre le méga-transformateur et ses milles éoliennes. Fêtes, réunions, fabrications de fromages et de jus de pomme, un lieu qui a fait résonner la lutte par des chants dans toutes les campagnes. Et d’autres bâtiments sont sortis de terre, des sources ont été découvertes, une université rurale s’est installée dans le voisinage.
Et même si le 8 octobre, tôt le matin, la police équipée de blindés, d’hélicoptère, de tractopelle, de grenades, de gaz lacrymo, à détruit l’Amassada, elle n’a pas pu détruire la lutte. Dans le sud de l’Aveyron, on apprend à se méfier des solutions écolo livrées clefs en mains, des ingénieurs, des formules magiques. On sait que l’écologie est une relocalisation des problèmes et on s’oppose ferme aux alternatives infernales qui font porter tout le poids de la catastrophe en cours sur le refus des habitants du sud de l’Aveyron de voir leur terre sacrifiées comme déjà elles l’ont été en partie par l’agriculture intensive. En Aveyron on dit Pas res nos arresta, rien ne nous arrêtera !
Faut pas se faire d’illusion, on va gagner.