Extinction

Courte Nouvelle d’anticipation, Vallée de la Drôme

samedi 29 juillet 2017, par David Myriam.

Depuis tôt ce matin, malgré mes jambes raides et mon dos endolori - le poids de l’âge - je marche sans m’arrêter.
Autour de moi, des villages quasi déserts défilent au milieu de champs jaunes et d’arbres desséchés.
Au loin, vers le sud, quelques incendies rougeoient interminablement, il n’y a plus d’eau pour les éteindre, ni d’ailleurs guère de volontaires pour le faire.
La centrale ne déverse plus son panache blanc vers le ciel, elle a été arrêtée en catastrophe puis abandonnée. Depuis ses flancs de béton usé, elle répand à présent ses effluves radioactives dans les airs et pollue les sols les rares fois où il pleut.

Les collines alentours sont faites d’arbres calcinés, ratatinés, certains ont été débités par les hommes pour en tirer de l’énergie ou des matériaux, et l’érosion s’accélère. Aucune ombre à espérer. Pas de cigales ni de vent dans les feuilles pour bercer nos siestes.

Les collines sont cramées par le soleil, quelques végétaux repoussent difficilement parmi les cendres grises.
A présent, on se nourrit plutôt d’insectes et de cactus, finis les melons et les tomates, terminés les pêches et les abricots juteux. Subsistent encore quelques figuiers à moitié secs.
Les vignobles ont disparus depuis longtemps dans la fournaise, les incendies et les orages de grêle, la Clairette n’est plus qu’un souvenir. Les bouteilles vides sont utilisées à d’autres usages.

Nos nuits sont blanches et nos jours ressemblent souvent à un cauchemar sans fin.

Je marche, mes pieds encore agiles se jouent des galets secs et soulèvent une fine poussière. Notre belle rivière n’a pas coulé depuis longtemps, quelques cadavres de poissons côtoient ceux de leurs prédateurs ailés. Le chant des grenouilles ne résonne plus dans nos têtes, les rares enfants ne le connaissent qu’en écoutant des enregistrements.
Seuls les vautours ont prospéré.
Je suis le lit en ruine comme un automate, le soleil de plus en plus haut transperce sans pitié mon large chapeau de paille.
Heureusement, bientôt, à défaut de fraîcheur, je pourrai trouver un peu d’ombre derrière des rochers dans les gorges.

Le bruit de mes pas sur les pierres résonne dans le silence. Plus d’oiseaux pour me réjouir de leurs musiques. Au loin, parfois, j’entends l’écho de quelques humains qui s’affairent à tirer une carriole à bras ou à bricoler une baraque semi enterrée. Bientôt, ils s’arrêteront tous, terrassés par la chaleur dense et lourde.

Il est temps aussi pour moi de faire une pause. Assis contre un rocher, mon fidèle sac à dos à mes pieds, je mastique quelques graines et m’abreuve de jus de cactus.
Ici même, jadis, peut-être que je me suis baigné dans un trou d’eau. J’ai plongé dans le flux ininterrompu de la rivière, nagé à contre courant dans une masse d’eau qui englobait tout mon corps, parmi les rires des enfants encore insouciants. La rivière semblait éternelle.
Jadis, ici, je nageais dans l’onde, j’écoutais le chant des peupliers et des merles le coeur joyeux.
Mais pourtant, tous les jours, je savais. Je vivais comme un décalage spatio-temporel, dans une quatrième dimension, car je pressentais bien que l’humanité ne voudrait pas, n’arriverait pas à, enrayer le processus destructeur qu’elle avait enclenché.
En surimpression, je voyais le monde qui nous attendait, l’enfer qu’on s’est créé, celui qu’on a pu voir advenir jour après jour, de plus en plus vite.

A présent, les larmes qui labourent nos visages burinés et secs ont remplacé les torrents d’eau vive.
A présent, trop tard, nous sommes solidaires, nous partageons nos ruines, nos peines et nos maigres ressources, triste « consolation » !
A présent, l’égalité règne, car ceux qui ne partageaient pas sont déjà morts.
A présent, l’argent a disparu enfin, les banques ont toute fermé, car on s’est aperçu que l’argent ne se mangeait pas et qu’il avait l’odeur de la mort.
A présent, les super tankers et les porte containers sont échoués sur les plages où rouillent dans les ports éteints, le pétrole restant ne vient plus jusqu’à nous et les marchandises chinoises n’ont plus de marché.

Un lézard égaré me fait sortir de mes pensées.
Ici, il n’y a même plus une flaque et les odeurs de cadavres ont remplacé la lavande.

Heureusement, je ne vois plus très bien, de loin je peux m’imaginer qu’un arbre mort est un beau chêne chargé de glands. Comme dans un désert, mes souvenirs s’intercalent aussi avec la réalité présente pour créer des mirages.

Il est temps de me remettre en route.
Plus rien ne me retiens en arrière, j’ai décidé de remonter le lit de la rivière jusqu’aux montagnes, jusqu’à une source, jusqu’à trouver de la vie. Et là, peut-être que je pourrai me reposer.

David Myriam, 2060
Vallée de la Drôme, température de 50°C à 14h, temps ensoleillé

P.-S.

- Après cette nouvelle noire et réaliste, j’ai rédigé une nouvelle utopique : La Grande Bifurcation


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