COP26, climat, précarité... : Non les coupables ne sont pas les 1% de très riches et les financiers, mais le rapport social capitaliste

Finance, Travail et « économie réelle » font partie intégrante du problème

dimanche 31 octobre 2021, par Les Indiens du Futur.

A l’heure d’un nouveau cycle de blabla estampillé COP 26 entre les pyromanes irréformables qui veulent se présenter comme des gentils pompiers, interrogeons-nous un peu sur les accusations portées envers les riches, les ultra-riches, les 1%, les financiers... qu’on désigne comme les grands méchants profiteurs tout en valorisant « l’économie réelle », la valeur travail, le travailleur...

Beaucoup de personnes, notamment à gauche, répètent et appliquent ces idées (taxation des riches, déboulonnage, démocratisation de l’entreprise, revalorisation du travail...), sans se rendre vraiment compte qu’ainsi elles s’empêchent toute remise en cause réelle du système qui les opprime et qui partout détruit méthodiquement le vivant.
En fait, ces idées restent dans le cadre existant et confortent finalement la domination capitaliste et les destructions techno-industrielles planifiées qui sabotent sans retour la nature et nos conditions d’existence.

COP26, climat, précarité... : Non les coupables ne sont pas les 1% de très riches et les financiers, mais le rapport social capitaliste
Changer d’air, ne plus rester enchaîner à la même partition

- Lisez et relisez cet article (éditorial et la présentation de la revue Jaggernaut n°1), même si certains passages sont un peu ardus, et surtout la présentation suivante d’un article de William Loveluck :

L’auteur invite à comprendre pourquoi les mêmes questions et réponses, à peu de différences près, sont formulées de l’extrême gauche à l’extrême droite dans le champ des analyses économiques et à saisir comment le populisme productif transversal s’arme de manière sous-jacente dans une forme de conscience réifiée et fétichisée, parcourant tous les sujets, tout le spectre politique et toutes les classes. La plupart des analyses, de gauche comme de droite, ne saisissent pas les spécificités de l’État moderne et sa consubstantialité à l’économie, mais saisissent de façon non-adéquate ce qu’elles qualifient de « capitalisme financier ». Ces analyses ne permettent pas d’expliquer pourquoi l’État favorise structurellement l’expansion des marchés financiers et brade les composantes de l’État social, et enfin elles ne saisissent pas les causes de la crise de 2008 ni les refontes du capitalisme qui ont suivi. La forme de conscience fétichisée produit une forme d’anticapitalisme transversal (un anticapitalisme tronqué, voire régressif et dangereux), venant « armer » une affirmation du « concret » sous la forme du « peuple productif » face aux « vilains de l’oligarchie financière ». L’auteur, s’appuyant en partie sur les thèses d’Ernst Lohoff et Norbert Trenkle concernant la financiarisation de l’économie, donne à voir une critique et une contre-histoire du capitalisme de ces dernières décennies, à rebrousse-poil de la vision commune qui va de l’extrême-gauche à l’extrême-droite, avant de montrer comment les interprétations tronquées de cette dynamique du capitalisme, souvent saisie comme une dépossession des plus pauvres par les plus riches sans remise en cause du capitalisme lui-même, viennent alimenter divers populismes économiques qui prennent la forme de souverainisme monétaire, d’euroscepticisme, et ce, parfois en articulation avec des discours politiques particulièrement régressifs, antisémites ou racistes notamment.

COP26, climat, précarité... : Non les coupables ne sont pas les 1% de très riches et les financiers, mais le rapport social capitaliste
Pauvres ouvriers et riches actionnaires voraces défendent tous le rapport social capitaliste, l’économie, le travail, l’échange monétaire et la valorisation du capital

Un peu de cette théorie critique peut grandement aider à éviter de dire et faire des âneries.
Si la juste animosité populaire contre les ultra-riches et leurs imitateurs qui se gavent sur le dos des plus pauvres et des écosystèmes peut être un bon départ de révolte et de réflexion (historiquement des révoltes profondes ont commencé comme ça), il faudrait assez vite approfondir le sujet, sous peine sinon de s’enliser dans des voies sans issues, voire carrément délétères, indiquées notamment par la revue Jaggernaut et ses auteurs.

Et nombre de médias et caricaturistes entrent dans ce petit jeu en se moquant du cynisme des plus riches, en indiquant les frasques des magnats ou les écarts éclatants de revenus. Cette critique limitée fait partie du spectacle convenu, de l’ersatz de contestation qui rapporte de l’audience, donne bonne conscience et des options faciles et bien vues pour s’engager. Les puissants adorent que des groupes militants passent leur temps à tenter de diminuer les effets de certaines des saloperies inhérentes au système plutôt qu’ils mettent le paquet pour dégommer le système à la racine, résolvant ainsi la plupart des problèmes (ou permettant d’esquisser des voies permettant petit à petit de les résoudre) qui sinon se poursuivent et se transforment sans fin.

L’évidence des écarts abyssaux de revenus entre les plus riches et les pauvres, la réalité scandaleuse des appétits des actionnaires pour les profits et le cynisme des classes dirigeantes, le mépris du bloc bourgeois et l’indécence pathétique du luxe étalé par les milliardaires, l’arrogance des banques et l’injustice flagrante des paradis fiscaux ne doivent pas nous aveugler et nous faire tromper de cible.

Si les Etats bichonnent les entreprises capitalistes et leurs dirigeants, ce n’est pas seulement du à la corruption et à des gouvernements bien de droite comme les macronistes, c’est parce que les Etats, même de gauche, sont partie prenante du rapport capitaliste et qu’ils ont besoin de la puissance de production capitaliste pour maintenir leurs lourdes infrastructures, polices, administrations, frontières, armées... Toute chose qui servent d’ailleurs abondamment aux capitalistes, mais qui sont financées beaucoup par les plus pauvres.

Si les plus riches sont coupables de défendre bec et ongles le capitalisme, l’immense majorité de la population est également responsable de propager et défendre partout l’idéologie et les pratiques capitalistes fondamentales.

Au delà du rejet viscéral et « naturel » de tel ou tel personnage ou institution particulièrement rebutant (la « société » produite par la civilisation industrielle n’en manque pas, d’autant qu’elle encourage et récompense souvent les pires), il faudrait analyser et comprendre les mécanismes structurels à l’oeuvre et ne pas s’arrêter à certains de leurs effets (chômage, précarité, mal-logement, pollution locale...), même s’ils sont effectivement répugnants et qu’il y a là de quoi s’indigner. Malheureusement, la pensée critique globale, l’éducation populaire à l’analyse politique structurelle se sont largement évaporées dans le consumérisme et la « déviation » ancienne de la gauche vers un anticapitalisme tronqué.
Il faudrait analyser et comprendre que la valeur travail, la sacralisation du travail, le marché du travail, la quête d’emplois et de pouvoir d’achat font totalement partie du capitalisme.
Il faudrait comprendre que la finance fait tout autant partie du système capitaliste que l’économie dite réelle, et que cet ensemble n’a rien de naturel ou d’inévitable, c’est une création sociale et culturelle.

Il ne s’agit donc pas de libérer le travail, l’emploi, la marchandise de l’emprise du Capital, mais de SE libérer (individuellement et collectivement, concrètement et dans le monde des idées) de l’emprise du monde de l’Economie, de l’idéologie du travail, du culte de l’emploi, de la sacralisation du travailleur prêt à bosser avec abnégation pour survivre.

Quelles que soient leurs vilenies bien crasses, le problème n’est pas les plus riches, mais le rapport social capitaliste (et plus largement la civilisation industrielle, ce qui inclut les Etats), lequel inclue dans ses filets collants les riches et les pauvres, les petits ouvriers et les grands patrons.
Le rapport social capitaliste tend à instrumentaliser TOUTES les ressources humaines ou non-humaines pour fabriquer n’importe quelle marchandise permettant d’augmenter le volume d’argent, la valorisation du Capital. Tout s’équivaut dans le rapport monétaire abstrait, les patates comme les fusées Space X, les yachts comme les vêtements, les logements comme les soins.
Sans capitalisme, il pourrait s’imaginer une société qui ne pourrait même pas concevoir la propriété, les écarts de richesses, l’argent, l’accumulation...

S’attaquer principalement aux plus riches ou vouloir rééquilibrer les revenus ne mène pas à grand chose si on veut se dépêtrer des problèmes sociaux, climatiques et écologiques.
Dans la civilisation industrielle et son techno-capitalisme, ce qui s’impose à tous c’est la valorisation du capital, le fait de fabriquer davantage d’argent avec de l’argent, peu importe les besoins, les moyens et les destructions induites.

De plus, la stratégie réformiste et de meilleur partage des « richesses » entre membres du capitalisme (travailleurs, auto-entrepreneurs et patrons-actionnaires) a déjà été abondamment utilisée, en vain. Cet anticapitalisme-tronqué n’a produit que des améliorations matérielles locales pour une partie des gens (améliorations qui sont d’ailleurs souvent très critiquables, on le voit clairement par exemple avec le monde sans contact du numérique), payées au prix fort ici et encore plus ailleurs (colonialisme, guerres, exploitation, esclavage et pillages) et engendrant les dramatiques catastrophes climato-écologiques en cours.

La plupart de la gauche, des syndicats aux mouvements ouvriéristes, en passant par les partis, s’est enlisée trop longtemps dans des impasses en intégrant et acceptant les mêmes catégories fondamentales que le capitalisme qu’elle prétendait combattre.
C’est une des raisons majeures de son échec, et de son éviction relative de la scène des luttes et du paysage médiatique.
Et de son enlisement parfois dans des thèmes nationalistes, confusionnistes, souverainistes, pro-économie...

COP26, climat, précarité... : Non les coupables ne sont pas les 1% de très riches et les financiers, mais le rapport social capitaliste
Arrêtons de valoriser et défendre ce qui nous détruit, attaquons à la racine au lieu de viser les têtes visibles qui profitent du système techno-capitaliste

Quel rapport avec les COP 26 & co et le climat ?

De même que c’est une impasse de s’en prendre aux ultra-riches pour régler les problèmes sociaux, il est vain de critiquer des banques et des multinationales pour résoudre les problèmes climatiques et écologiques.
Tant qu’on ne s’attaque pas à l’idéologie et aux racines du système socio-économique qui fabrique les banques, les riches, les pauvres et les multinationales, tant qu’on vénère l’économie « réelle » et le travail contre la finance et les boursicoteurs, on ira à l’échec et on fournira au capitalisme des voies potentielles en or pour enfumer et durer un peu plus. Il fabriquera ainsi du capitalisme « vert », « relocalisé », « humain », « circulaire », « bio », il utilisera tous les vocabulaires, camouflages et procédés technologiques imaginables pour échapper à la critique sur le fond, étouffer les révoltes et continuer ses affaires meurtrières. Il utilisera même une pseudo-autocritique limitée au rejet de certains de ses prétendus « excès » (qui sont juste son fonctionnement logique) devenus trop mal vus ou trop destructeurs. La prétendue lutte contre les énergies fossiles en est un bon exemple, la critique des projets ultra-capitalistes de certains milliardaires un autre.

Une COP étant une négociation non-contraignante entre Etats, des Etats qui font partie intégrante de la civilisation industrielle, qui marchent avec le capitalisme, et donc qui ne veulent ni ne peuvent (sous peine de disparaître) remettre en cause le capitalisme, il ne peut en résulter que du vent et des astuces pour faire durer la civilisation industrielle via de nouveaux marchés et une accentuation de la technocratie et de l’administration autoritaire des désastres.
Ni l’éventuelle bonne volonté de certains négociateurs, ni les pressions d’ONG complices ou de manifestants leurrés, ni le changement de gouvernants, ni les urgences ne peuvent infléchir cette situation structurellement bloquée.
Il n’y a plus rien à demander à ce système qui ne peut/veut pas fonctionner autrement, la seule option est de le démolir et de construire tout autre chose à sa place.

- Sur Ricochets, dans une veine complémentaire :

P.-S.

Perspectives et pistes de résistance active

La situation écologique, climatique, sociale est terrible.
Mais tant qu’il y a des résistances, rien n’est complètement perdu.
Et puis la civilisation industrielle, ce système techno-capitaliste et étatique, n’est peut-être pas si solide que ça, elle sans doute plus attaquable qu’on ne pense.

Il existe quantité de moyens de se battre, de lutter pour abattre/détruire/démolir/désarmer/stopper/effondrer les structures matérielles et idéologiques de la civilisation industrielle. Et quantité de moyens pour construire à la place des mondes vivables et soutenables.
Soutien financier, action directe, information, soutien aux personnes engagées, logistique, actions publiques ou clandestines, communication, refuges...
Il y en a pour tous les goûts, toutes les disponibilités et « niveaux » d’engagement.

Il y a des places pour chacun.e dans cette vaste culture de résistance à construire.

- Liens utiles pour aller plus loin :


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