La mairie de Die a été libérée !
Sans heurts ni violence, dans le calme, la bonne humeur, et sans rien abîmer, un groupe de citoyennes et de citoyens, a libéré du 11 au 12 avril la commune de Die.
Libérée de quoi ? Des questions qu’on ne pose pas, des ombres qu’on ne voit pas !
Celle du désespoir et de la misère des gens qui s’étale partout sans jamais sortir au grand jour. La misère et le désespoir sont sur le paillasson des appartements vides et des résidences secondaires, même dans les villages les plus reculés, et personne ne la voit ! Des sphères en vase clos, voilà ce qu’est devenue la société française.
A Die, la misère, le désespoir, le chômage se sont montrés au grand jour et lancé un appel pacifique. Sauf à être fou ou irresponsable, il faudra l’entendre.
Entendu par les élus, qui n’ont notre délégation politique qu’à titre précaire. Entendus par ceux que la situation accommode. Mais au-delà, quel rêve propose la modernité, les prétendues élites ?
Quel rêve reste-t-il ?
L’intelligence artificielle qui rend l’homme subsidiaire ? Le chômage pour les uns, le travail harassant et absurde pour les autres ? La surconsommation comme exutoire ? L’empoisonnement généralisé du vivant ? La violence des uns contre les autres ? La drogue pour tenir au travers de ce cauchemar ? Quel rêve reste-t-il sinon la menace de l’effondrement, de l’apocalypse ?
L’industrialisation, une science dévoyée, la croissance uniquement matérielle, le marché sauvage et amoral, le Progrès ont pulvérisé tout rêve et nous poussent au bord du néant. L’effondrement, cette catastrophe générale que des sciences et signes convergents prédisent peut survenir demain : en quelques jours, la messe sera dite pour l’humanité !
Voilà l’énorme masse d’angoisse et de responsabilité qui repose sur les épaules de l’avenir, sur celles des enfants qui étaient là sur le parvis.
Des agoras qui préfigurent l’avenir
Car qui frappait sur le parvis investi de l’hôtel communal de Die était l’âge : un large pic autour des 25-40 ans, avec un empan étalé, jugé à l’œil, de 18 à 77 ans. Manuels incultes et géniaux, artisans de talent, adolescents prometteurs, super-diplômés, associatifs chenus, élus, entrepreneurs, artistes, enseignant-chercheur, paysans ou éleveurs « mangeurs de foin », clochards célestes, sous les crêtes, les cagoules, les mèches teintes, beaucoup d’intelligence, de créativité, d’enthousiasme… et de mécontentement, voire de colère. Le plus éclairant probablement est la culture pratique de la décision politique collective qui s’élabore dans ces agoras. Ces agoras préfigurent l’avenir. Par disparition naturelle de l’ancienne culture. Parce qu’à leur manière, ceux-là présent sur le parvis, forment une élite dynamique, créative, intelligente, active.
Quel dommage que notre pays si vieux ne sache pas ménager une place à ces forces si dynamiques, créatives et entreprenantes. C’est le cas partout en France, et les investisseurs de la commune de Die réalisent, estiment-ils, investissement démocratique pour le profit général !
Quel dommage que notre pays soit si vieux sans même s’en rendre compte. La fracture entre les âges est d’autant plus douloureuse qu’elle sépare les Trente glorieuses de la jeunesse. L’une, favorisée par la fortune des temps et la fortune tout court, propriétaires, rentiers, retraités aisés, responsable du désordre du monde, et leurs suivants, jeunes, pauvres, mal logés, vivotant entre deux jobs incertains. Pour le reste, un Etat bradé à l’encan de la finance, incapable d’assurer le bien-être et la cohésion de la Nation. Méfions-nous des travers de l’âge. L’âge jalouse le printemps, le neuf, l’étranger.
L’Etat en burn-out
Que demande la sève qui monte après les Trente Glorieuses, après, avec Notre Dame des Landes ? Non pas des EPR, non pas Iter (Cadarache – fusion nucléaire, en projet), non pas le Big Data, non pas l’intelligence artificielle, qui ne feront qu’alimenter une méga-machine mortelle pour la planète et un système économique fondée sur la croissance, la consommation, la compétitivité, le profit, c’est-à-dire le travail acharné et aliéné, où le quotidien sombrera dans le cauchemar pour la majorité, écrasée par le bien-être d’une minorité.
Il se demande sur ces parvis des choses aussi simples que le logement, la terre, l’atelier : qu’il y ait de l’activité économique dans nos campagnes, du travail, que l’autonomie soit possible. Ne plus dépendre d’administrations rigides et tatillonnes, à quoi se limitent désormais les services publics désormais, inefficaces sauf pour harceler le citoyen.
Il y a peu d’années, j’eus en ligne le sous-préfet de Die au téléphone, réclamant mon bon droit pour une carte grise. Incroyablement, par deux fois, il écrasa des sanglots, expliquant qu’il était épuisé, sans personnel ni moyens ! Un sous-préfet en burn-out ! La fermeture de l’hôpital de Die était dans les tuyaux. C’est fait. En ligne de mire, la ligne ferrée Valence-Briançon. Que reste-t-il du consensus social quand les services publics sont en ruine ? Que reste-t-il de la légitimité de L’Etat s’il ne sert a rien, ne crée pas de bien être mais au contraire détruit le travail et les services publics ? S’il est démocratique, L’Etat ne doit-il pas représenter aussi l’intérêt de la jeunesse et des campagnes ?
Après avoir libéré la commune de Die, les participants ont libéré, les locaux, paisiblement, non sans les avoir nettoyés. Deux libérations en deux jours ! Tous sont partis, la mairie a été rendue à sa routine « apolitique. On fera venir des sociétés de nettoyage, pour montrer les factures devant les tribunaux. Une fiction parmi d’autres...
Quoi qu’il en soit, Il faudra comprendre le message lancé du parvis de Die. Il résonne bien au-delà du Diois, souterrainement, dans l’inaudible partout en France, manifeste à NNDL , Sivens, Roybon ,dans d’autres micro-ZAD. Au vrai, ces formes de mobilisation et d’auto-organisation politiques s’élaborent un peu-partout : c’est un mouvement de fond.
Il faudra trouver une place à ces forces citoyennes nouvelles, une forme de traduction politique nouvelle, un pas à côté du système normatif, avant de le renouveler. Car une partie du corps social estime inutile le vote, l’élection qui change les têtes, sans rien changer au fond, en raison d’un cadre politique structurellement non-représentatif (voyez l’absence d’ouvriers ou d’employés à l’Assemblée nationale). Derrière ces refuznik actifs, en rangs obscurs, les insaisissables abstentionnistes - 30 à 50 % selon les scrutins. Ces muets rétifs à la farce électorale ne croient plus au système et ruminent aigreur, rancœur, colère - voyez les émeutes actuelles du Mirail ! Il faudra les entendre.
Un cri n’est jamais mort : il ronge.
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