Sommes-nous complètement domestiqués ?

Consommation, soumission, servitude volontaire, individualisme, peurs, hédonisme... ou rupture ?

mardi 29 mai 2018, par Camille Pierrette.

A Crest et ailleurs, chacun.e peut constater que même des personnes qui ont des velléités d’agir pour changer DE société, de faire autrement, n’arrivent pas vraiment à se mettre en route.
Elles restent happées par le quotidien, d’autres sollicitations, des choses toujours plus prioritaires : travail et sa recherche, enfants, loisirs, sorties...

Pourtant les urgences écologiques, climatiques, sociales sont là, pressantes, elles sont connues et de plus en plus évidentes, mais il semble que ces constats n’arrivent pas à encore à faire basculer vraiment et largement dans la rupture d’avec le monde tel qu’il va et la construction déterminée d’autres mondes, vivables, soutenables écologiquement et socialement.

Bien sûr on a sûrement des excuses, des explications.
Nous avons par exemple subi le poids de l’éducation nationale, les médias commerciaux et débilitants, la propagande étatique, et souvent le carcan de nos familles, mais cela suffit-il à expliquer un tel renoncement généralisé ?

Même si parfois l’Etat use de son bras armé, comme on peut le voir en ce moment à la ZAD de NDDL, dans les quartiers en colère et dans les luttes, la plupart du temps il n’a pas à prendre cette peine.
Ici, pas besoin de dictature, la soumission se fait mécaniquement.
A part quelques petites minorités, nous avons tellement intégré dans nos têtes les diktats du capitalisme et de l’Etat qu’un totalitarisme mou assortit de quelques gratifications (consommation, euphorie télévisuelle, petites vacances...) suffit à nous faire marcher en rang. Etre humain consiste-t-il seulement à se perpétuer et supporter la vie qu’on a ?
Pour les plus pauvres, la simple lutte pour la survie, pour avoir de quoi se loger, de quoi manger, pouvoir se déplacer est souvent une épreuve déjà écrasante.

En règle générale, nous marchons au pas tous seuls, et même parfois nous devançons servilement les souhaits de nos maîtres, empressé.e.s que nous sommes à nous intégrer au goulag fleuri artificiellement, à accepter n’importe quel emploi, à vouloir à tout prix devenir propriétaire...

Parfois, sous le coup d’une colère imprévue, d’un fait plus horrible que les autres ou par un sursaut éphémère de dignité, nous réagissons brièvement par un coup de gueule, une manif, un post indigné sur Facebook, une pétition.
Mais ça ne dure pas et c’est bien inoffensif, ces réactions font même partie du jeu, elles sont ingérées et intégrées par « le système », elles distraient un peu les maîtres de la monotonie ambiante, elles permettent à la police de ne pas s’endormir et jouent le rôle de soupape de sécurité pour que nous n’explosions pas et restons utile au système. C’est pour ça qu’un gouvernement intelligent n’interdira jamais complètement les manifs, même si le nombre d’émeutiers augmentaient encore.

D’autres se lancent dans divers réformismes de surface, tout aussi inoffensifs, mais qui sont bien considérés, encouragés, même par l’Etat et ses sbires quand ils ne sont pas trop idiots. Les petits gestes individuels, même héroïques, l’entreprenariat « vert », même dans l’économie sociale et solidaire, les petites conquêtes syndicales, etc. ne changeront pas la marche du monde hélas. Le système adore tout ça, de nouveaux marchés sont créés et le capitalisme peut continuer à tout ravager et piller en se renouvelant et en ayant l’air cool, collaboratif et écolo.
Tant qu’on n’éliminera pas les structures d’oppression en les remplaçant par des moyens d’émancipation, tant que les moyens de production et de distribution ne seront pas décidés et organisés par des peuples conscients et solidaires, le rouleau compresseur continuera.

Les faits et analyses portés par notre raison et les émotions générés par notre sensibilité semblent bien insuffisants à nous faire changer de trajectoire.

Quoi qu’il arrive nous sommes vissés aux rails, nous faisons corps avec ce système destructeur.
Même si peu osent dire franchement qu’ils aiment ce système et veulent qu’il se développe - on les trouve surtout dans les classes dirigeantes et possédantes - on constate que dans la pratique, par nos actes, nous sommes nombreux.ses à être complètement soumis.
Alors, pour avoir quand même l’impression d’exister, on se singularise superficiellement par la consommation, la mode, le look, les postures.
Et pour se supporter soi-même, on donne parfois des sous à des associations militantes ou caritatives, on soutient des assos qui aident les migrant.e.s mais il n’est pas question de s’impliquer vraiment pour changer sérieusement le système qui fait que les réfugié.e.s s’exilent en masse et qu’ils-elles sont maltraité.e.s, on s’indigne d’une toute petite partie des innombrables conséquences néfastes du capitalisme, mais il n’est pas question de s’impliquer vraiment pour en sortir et donc supprimer les sources des problèmes, on combat vaillamment une toute petite partie des conséquences du modèle délétère (le Linky, tel pesticide...), mais il n’est pas question de combattre pour changer de système afin que toutes les conséquences disparaissent massivement, etc.

Notre pensée fonctionne-t-elle comme le commerce des marchandises, à flux tendu ? Les idées se succèdent les unes aux autres, l’une chassent l’autre et notre être ne retient qu’un flux disparate d’infos incompréhensibles et contradictoires.

Un fil Facebook est un bon exemple de ce phénomène (désertez Facebook and co).
Plus rien n’accroche ni ne dépasse, sauf exceptions, une photo de chaton ou l’anniversaire d’un.e ami.e a finalement le même poids que le massacre de palestiniens ou des expulsions violentes à la Zad.
Transformés en simple réceptacle, en poisson mort qui se laisse porter et traverser par le courant, nous réagissons par impulsions, sous le coup de l’envie du moment, entraîné par le truc le plus cool, le plus en vue, celui qui a la meilleure com ?
Les envies étant par nature éphémères et changeantes, et de surcroît submergées constamment par d’autres, générées par d’autres actualités ou sorties, plus aucune constance, réflexion, ou engagement sérieux n’est possible.

Après nous le déluge ?

Préfère-t-on notre quiétude momentanée et précaire aux actions volontaires et suivies pour changer de société ?
Tant pis si cette quiétude est acquise au prix de la destruction du monde, de la Vie, de l’exploitation et de la mort d’êtres humains et d’autres animaux ici et partout dans le monde ?


Sans doute aussi qu’on a perdu le goût et les tactiques de la lutte, endormis par la pseudo-démocratie et la marchandise qui nous vendent un monde faussement « pacifié » et « libre », nous avons peur de faire tache, de troubler, de notre propre colère
. Alors on reste chez soi et on laisse faire les partis politiques et les ONG réformistes qui s’accommodent fort bien du capitalisme relooké et de la perpétuation de la machine à broyer.

En finir avec le chacun pour soi, l’individualisme libéral

Quand on pense qu’on doit s’en sortir tout seul, qu’on doit trouver seul (ou avec quelques potes, ou en comptant sur l’administration) des solutions pour garder les enfants, manger, se loger, travailler, on est coincé, foutu, on met en pratique ce que ce système capitaliste et étatiste réclame.
Quand on est des individus isolés qui cherchent à faire leur trou dans la mêlée mise en concurrence partout, que ce soit par salariat ou auto-entreprise, on est mal barré.

Quand on a des emprunts importants à rembourser, quand on ne songe qu’à ses vacances et à ses concerts du week-end, on est mûr pour le troupeau d’autruches conformistes.

Mis à part quelques petites minorités, notre raison et notre sensibilité semblent inaptes à nous faire changer collectivement de direction, faut-il alors attendre l’effondrement de cette pseudo-civilisation thermo-industrielle ?
Faut-il être dans une situation d’urgence absolue, de stress de survie immédiat pour voir un réveil ?
Faut-il être attendre des faits dramatiques inédits pour réagir ?
Doit-on attendre un contexte encore plus épouvantable ?
Préfère t-on réagir quand ce sera trop tard ? (le CO2 s’accumule dans l’atmosphère, et ses effets se font sentir de manière décalée, alors on ferme les yeux sur le présent ?!)

Le capitalisme et l’Etat nous dépossèdent de tout et veut nous maintenir isolé.e.s, séparé.e.s, impuissant.e.s, passifs-passives, enfermé.e.s dans des habitudes, des classes sociales, des groupes culturels, des cases et des murs.

On peut toujours dire non, faire sécession, et s’organiser collectivement

Mais on peut toujours dire non, faire sécession, s’organiser collectivement sur la durée, recomposer notre quotidien pour construire d’autres mondes.
A plusieurs, on peut trouver des tas de moyens pour s’émanciper, se désaliéner, commencer à se libérer de l’oppression du travail, de la propriété, du loyer, de l’argent, du stress. C’est possible, pas forcément facile car on n’a pas l’habitude et le système économique et politique totalitaire est désormais bien ancré, mais c’est possible.

Le problème n’est pas « peut-on », mais « veut-on » ?
Si on le veut, alors on peut se donner les moyens d’y parvenir, et ce sera d’autant moins dur qu’on sera nombreux-ses.
Devenons « sauvages » :-)

- Marre d’être un.e domestique, d’être isolé.e et impuissant.e ? Sur Crest, rejoignez le Réseau Autonomie Crest, ou/et aussi la coordination Tarentelle qui est en train de se créer, ou autres groupes similaires.


Forum de l’article

  • Sommes-nous complètement domestiqués ? Le 3 août 2018 à 10:09, par Camille Pierrette

    En 1956, tout était dit sur la servitude volontaire et la domestication :

    « Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Les méthodes du genre de celles d’Hitler sont dépassées. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes.

    L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées. Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif.

    Surtout pas de philosophie. Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser. On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux.

    En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté. Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur.

    L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu. Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels. »

    Günther Anders, "L’Obsolescence de l’homme", 1956

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