Poursuivre la réflexion et les retours sur Ste-Soline et SLT, avec des critiques constructives

lundi 17 avril 2023

En réponse à un autre texte paru dans Ricochets, voici trois textes pour poursuivre la réflexion et les retours sur Ste-Soline et les Soulèvements de la terre, avec des critiques constructives :

  1. Quand les postures bassinent, ou pourquoi tout n’est pas binaire
  2. + Sainte Soline : repenser nos stratégies de lutte depuis une logique d’autonomie et de soin
  3. + À celles et ceux qui ont marché à Sainte-Soline
Poursuivre la réflexion sur Ste-Soline et SLT avec des critiques constructives

1. Quand les postures bassinent, ou pourquoi tout n’est pas binaire

Ce texte fait suite à un autre texte qui circule suite à la manifestation du 25 mars à Sainte-Soline, et qui commet plusieurs erreurs d’appréciation par rapport aux collectifs et personnes qui ont été impliquées dans l’organisation et la « gestion » de cette journée. 
Encore une fois, le spectre de la ZAD vient y simplifier l’analyse, en se fondant sur des conflits et violences anciennes ou plus récentes qui, si elles ont été bien réelles, ne peuvent indéfiniment être mobilisées ou instrumentalisées pour essentialiser et dégommer des mouvements plus actuels qui tentent de les dépasser, et qui sont moins binaires qu’on ne voudrait.

Commençons par un bref retour historique, qui ne se veut pas exhaustif, mais qui prétend remettre quelques choses à leur place.

L’« Appelisme » et les traumatismes de la ZAD

Il était une fois un groupe d’étudiant-es parisien-nes, un peu situationnistes, un peu mao-spontex, un peu nostalgiques du temps où la nouvelle gauche faisait trembler l’État, les armes à la main. Ce groupuscule s’est choisi alors un nom sorti d’un imaginaire mystique, Tiqqun, pour produire des textes verbeux, lyriques et passéistes, prophétisant le sabotage et l’insurrection armée [1], dont "L’Appel" qui donnera plus tard leur nom aux "ami-es" de ses auteur-es et aux amateur-ices de leurs écrits. On était alors en 2007. Pas un grand succès à l’époque, jusqu’à ce que le ministère de l’intérieur n’en décide autrement : au matin du 11 novembre 2008, « l’affaire Tarnac » s’ouvrit par une opération de communication tonitruante, au cours de laquelle des flics en cagoules vinrent arrêter quelques colocataires d’une ferme du Limousin, les accusant d’appartenir à une cellule terroriste. Une sombre histoire de trains. Un certain Alain Bauer, criminologue, aurait suggéré que les bouquins du Comité Invisible - projet littéraire qui a succédé à Tiqqun - pourraient constituer un manuel à l’usage des terroristes. Lumières sur l’autonomie. Les généreux renseignements décidèrent alors de rebaptiser la nouvelle gauche en ultra-gauche, épouvantail qui servira bien souvent dans la décennie suivante à surveiller et tenter de détruire tout ce qui conteste l’autorité de l’État, que l’on porte un drapeau rouge, un drapeau noir, un drapeau rouge et noir, ou encore qu’on déteste tous les drapeaux. Et cela même au delà du fiasco judiciaire que deviendra l’affaire Tarnac, comme d’autres affaires d’association de malfaiteurs après elle.

Dans la même période, un autre appel que celui d’un comité jusqu’alors invisible, mais désormais bien audible, se fit entendre : celui à occuper la zone d’aménagement du futur aéroport de Notre Dame des Landes. En 2009 suite au camp action climat, puis en 2011 sous l’impulsion du collectif internationaliste Dissent, ainsi que de quelques personnes issues des réseaux No Borders et de la tradition des contre-sommets, une poignée de personne organisa des réunions pour poser un camp anti G8-G20 à Notre-Dame-des-Landes, avec l’arrière-pensée qu’il pourrait bien devenir permanent. Précisions : ce projet n’avait rien à voir avec le Comité Invisible. Commença alors un exode de militant-es des centres-villes vers ce qui deviendra la ZAD, c’est à dire une zone d’occupation comprenant entre 200 et 300 habitant-es selon les périodes. La sauce avait prise et les services de renseignements commencèrent à s’agiter. Le nouveau gouvernement socialiste, et notamment son ministre de l’intérieur Manuel Valls, se mis alors en tête d’éliminer le kyste. Il était alors conseillé par son ami intime, le même Alain Bauer qui avait fait passer le Comité Invisible du statut de cercle de poètes disparus à celui de menace à la sûreté de l’État.

Dans le même temps aussi, en octobre 2010, une « maison de la grève » s’ouvrit à Rennes. Elle devint un bastion des luttes, qui tissa bientôt des liens avec les occupant-es de Notre-Dame-des-Landes. Des liens, ça veut dire que des individu-es s’associent ou se lient d’amitié avec d’autres individu-es, dans des rapports parfois intimes et souvent complexes qui n’ont rien à voir avec ce que des services de police voudraient voir comme des rapports de subordination au sein d’une organisation religieuse. La ZAD deviendra par ailleurs un écosystème extrêmement diversifié, imbriquant sur un même territoire des tendances de l’autonomie politique parfois aux antipodes les unes des autres, mais qui ne cesseront jamais d’associer des êtres humain-es, par delà les conflits et avec tout ce que ça comprend de relations non-binaires et changeantes dans le temps. Bref, il n’y a jamais rien eu d’homogène ni de définitif à la ZAD. D’ailleurs, le propre d’une TAZ est d’être temporaire, ce qui semble avoir échappé à celles et ceux qui ont refait leur vie à Notre-Dame-des-Landes...
Fin 2012, le mégalomane Manuel Valls lança l’opération César pour évacuer Notre-Dame-des-Landes. Ce fut un échec, les gendarmes se vautrèrent dans la boue et la répression multiplia par dix le soutien populaire aux occupant-es. Des collectifs de soutien se créèrent dans toute la France, initiant le vaste mouvement de convergences des luttes contre les « grands projets inutiles et imposés » et autres « luttes de territoires ». Le terme zadiste était né. Puis, dans un second temps, le festizad rassembla 30 000 personnes dans vingt centimètre de boue liquide. Ce fut à l’issue de cet événement que la ZAD vit s’installer de nouvelles-aux occupant-es, qui appartenaient moins aux cercles militants des centre-villes, et qui allaient investir l’Est de la zone, et notamment les pourtours de la nouvelle « route des chicanes »[2].
Dés le retrait des bidasses de la zone au printemps 2013, les conflits se cristallisèrent entre habitant-es, notamment sur le maintien ou le retrait des chicanes et barricades, puis sur l’élevage, l’usage des tracteurs ou la coupe des arbres, mais aussi suite à des agressions ou des violences diverses... Entre partisan-nes du compromis avec la paysannerie locale et anarco-primitivistes, entre militant-es de classe moyenne qui « parlent bien » et marginaux-ales qui rejettent leur pouvoir symbolique, entre grand-es stratèges et spontanéistes, etc., se dessina bientôt un centre et une marge au cœur même de la ZAD. On dira plus tard que les lieux névralgiques de la ZAD furent occupés par les appelistes qui, au sein d’une avant-garde baptisée Comité pour le Maintien Des Occupations (clin d’œil au conseil pour le maintien des occupations de la Sorbonne créé par l’Internationale Situationniste en mai 1968), auraient monopolisé le pouvoir de décision par le truchement des Assemblées de mouvement. Au delà, un certain nombre de violences furent commises entre occupant-es de la ZAD, qui ne doivent pas être niées (ni pardonnées pour certaines), mais qui ne peuvent pas non plus être attribuées entièrement à une partie ou une autre. Dés 2013 les textes et anathèmes fusèrent d’ailleurs de parts et d’autres, fondés sur des faits autant que sur des rumeurs, et la ZAD devint rapidement le papier PH indiquant l’acidité au sein de nos milieux. Et les renseignements s’en sont certainement délectés plus d’une fois, profitant indubitablement des divisions pour organiser la revanche de l’État suite à la défaite de César...

Quand bien-même le Comité Invisible fit des émules sur toute la période 2012-2016, générant une sorte de fan-club grâce à l’intervention d’une égérie de la sphère radicale-bobo parisienne, Eric Hazan, qui a permis à ses livres de se diffuser largement, il est faux de prétendre que cette « fanzone » a un jour constitué un organe politique à proprement parler. On a donné bien trop d’importance à un épiphénomène qui ne s’est incarné que dans quelques personnages (masculins) plus médiatisés ou plus omniprésents, dont certains ont fait leurs armes sur la ZAD de NDDL, mais qui n’ont pas été pour autant dotés du pouvoir qu’on leur attribue. On pourrait éventuellement considérer qu’un micro « parti imaginaire » s’est organisé sur le fondement d’affinités politiques, notamment autour de la Maison de la Grève à Rennes, de l’EHESS, de l’ENS ou des Beaux-Arts de Paris lors de la sortie du best-seller « A nos amis » (2014), puis du CMDO de Notre-Dame-des-Landes, mais ça ne va pas beaucoup plus loin. S’il y a bien eu des tensions et violences entre celleux désigné-es comme "appelistes" et d’autres groupes autonomes, comme lors du camp antinucléaire de Bure (août 2015), de l’ « apéro chez Valls » (9 avril 2016) ou de la ZAD tout au long de son histoire [3], identifier un véritable courant politique derrière quelques soixante individu-es réparti-es sur tout le pays reste une gageure. Sans compter que comme tout groupe humain, les amitiés et alliances se sont faites et défaites au cours de la décennie suivante : autant dire que toutes les cohabitations ne se sont pas bien passées... [4]

Que demeure-t-il alors réellement de l’imaginaire "appeliste" au delà des feux d’artifices de Frankfort en 2015 ("blockupy" contre la Banque centrale européenne) et de la Loi Travail en 2016, de « génération ingouvernable » puis de la campagne de normalisation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes [5] ?

Retour sur Sainte-Soline : est manipulé-e qui le veut bien

Aujourd’hui, la génération Z (née entre 1997 et 2010, et arrivée en politique après l’état d’urgence de 2015) a pris le relais de la précédente, récupérant comme chaque génération les restes de ce qu’avait mis sur pieds la précédente (née entre 1984 et 1996, et arrivée en politique après l’état d’urgence de 2005). Parmi cette génération, qui n’a connu les conflits de la ZAD que par procuration, beaucoup semblent en vouloir particulièrement aux "appelistes" au delà même du fait que leur existence en 2023 tient d’avantage du fantasme que de la réalité. En effet, ici ou là, on tombe régulièrement sur des commentaires, des textes ou des discussions publiques faisant de l’appelisme un sujet à part entière. Comment doit-on le comprendre ?

La réponse semble se situer quelque part entre la ZAD du Carnet (2020-2021) et les Soulèvements de la Terre. Et surtout, la réponse semble s’incarner dans deux hommes qui, en raison de leurs attitudes et pratiques, cristallisent beaucoup d’animosité. On ne les nommera pas, parce qu’il n’est pas pertinent de cibler des individu-es au regard de la répression d’État qui s’abat quotidiennement sur nous tous-tes : quoi qu’on pense d’eux, nous refusons d’aider la police dans son travail. Et quoi qu’il en soit, on sait qu’après avoir vécu une décennie sur la ZAD puis tenté d’imposer leur stratégie au Carnet, en vain, on retrouve désormais les deux larrons dans les réunions, derrière le mégaphone et devant les caméras pour porter la parole des Soulèvements de la Terre.
Qu’est-il reproché à ces personnes ? Selon les dires et les expériences vécues, on les accuse de se comporter en avant-garde et en stratèges, de forcer les décisions qui les arrangent, de tisser des liens par opportunisme, d’avoir une pensée tactique et utilitariste au dépend de l’éthique et de l’horizontalité, de monopoliser l’espace de parole et de ne pas écouter les autres, de jouer sur deux tableaux avec les réformistes et les radicaux, d’employer une rhétorique guerrière et d’envoyer au casse-pipe sans se préoccuper a posteriori des personnes blessées ou laissées sur le carreau, de ne pas inclure le soin et l’intersectionnalité dans leur logiciel politique, de se complaire dans des délires guerriers et de puissance, etc.

Si en effet tous ces reproches s’appliquent à nos deux tribuns, on peut comprendre qu’ils en exaspèrent plus d’un-e. Pour autant, peut-on décemment les accuser de diriger ou de manipuler des masses, au point d’avoir entraîné dans un piège les 30 000 participant-es à la manifestation de Sainte-Soline ? Des centaines voire des milliers d’anarchistes peuvent-iels prétendre sans honte avoir été mené-es en bateau par une poignée de personnes totalement identifiées et dépourvues de leviers d’endoctrinement ou de coercition ? Qui les a forcé à venir et à suivre la proposition d’action des Soulèvements de la Terre ? Qu’est-ce qu’iels attendaient d’autre qu’une répression féroce de la part des Autorités ? Et enfin, où est l’autonomie d’action dont iels se réclament à longueur de textes ?

La vérité, c’est que les milliers de personnes venues à Sainte-Soline pour ce 25 mars 2023 savaient ce qu’elles venaient y faire et ce qu’elles risquaient d’y trouver. La vérité, c’est aussi qu’un certain nombre « d’anti-appelistes » et d’anarchistes s’y sont rendu-es alors qu’iels n’adhéraient pas forcément aux modes d’organisation et d’action des Soulèvements de la Terre. Alors quoi ? Les Soulèvements peuvent-ils être réduits à une conspiration appelo-tiqqunienne ? La réponse est non. Les Soulèvements de la Terre, c’est d’abord une alliance de nombreuses organisations comme la Confédération Paysanne ou Bassines Non Merci, que l’on peut difficilement qualifier d’appelistes sans risquer d’être à la fois ridicule et méprisant-e. Enfin, si quelques personnes incarnant les Soulèvements de la Terre (porte-paroles) posent problème de par leurs attitudes et pratiques, c’est aux centaines de personnes qui ne les soutiennent pas de les destituer de leur position de pouvoir (réelle ou symbolique), au lieu de les écouter parler en silence avant l’action pour venir les attaquer ensuite dans des textes, en prenant pour prétexte la violence d’État. Si on ne se donne pas les moyens de dégager les personnes qui nous posent problème sans pour autant discréditer ou détruire tout le mouvement qui les abrite, c’est soit qu’on n’est pas si autonome que ça et qu’on s’accommode bien de leur leadership, soit qu’on se fout bien de maintenir vivant un mouvement d’écologie radicale capable de mettre 30 000 personnes dans un champs contre un projet nuisible.

Dans les faits, tout le monde a trouvé du sens à se rendre à Sainte-Soline pour tenter de saboter la maudite bassine, de la même manière que tout le monde avait trouvé du sens à "ramener sa pioche" en 2015 contre le labo d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure [6], sans qu’on puisse en attribuer l’orga à l’une ou l’autre des tendances de nos milieux.

En tout état de cause, toute personne est remplaçable sans que ça n’impacte tout un mouvement politique. Il faut juste s’en donner les moyens, et un texte publié sur les réseaux n’en est clairement pas un. Mais il semble hélas que ce soit devenu une coutume d’accompagner la répression d’État et de hurler avec la meute au lieu de mettre en œuvre par des actes concrets l’anti-autoritarisme dont on se réclame...
Résister et organiser le soin autonome sans fantasmer la guerre
Répétons-le : il est peu crédible que des activistes se rendent par centaines à une action de ce type sans savoir pertinemment le niveau de tension qui les attend, d’autant plus lorsqu’iels savent que le rassemblement est interdit et qu’iels s’y rendent avec des moyens de défense adaptés à une confrontation avec les forces de l’ordre. Il serait temps d’arrêter de jouer la surprise à chaque fois que l’État déploie son armada face à nos actions et manifestations. Il ne s’agit pas d’être fort-es en tant qu’individues, mais de se donner les moyens de résister collectivement à la violence de l’État. Et face à celle-ci, la solidarité est notre arme.

Puisqu’on parle d’arme, parlons de guerre. Il n’est plus un secret pour personne que l’État s’est continuellement militarisé depuis l’ère Sarkozy, en armant à la fois ses discours et ses forces de l’ordre. Et chaque attaque à main armée (on dit aussi "acte terroriste") a justifié davantage de mesures liberticides et de violences policières et judiciaires. Ce n’est plus seulement l’État qui ne tient que par sa police, mais aussi le capitalisme dans sa totalité. Et Macron arrive juste à point nommé pour achever le processus de transition du capitalisme vers le fascisme. Et il le fait en toute transparence, au point de répéter aussi souvent qu’il le peut que nous sommes en guerre. Il nous faut malheureusement prendre acte, car si l’État est en guerre, nous n’avons plus le choix de l’être nous aussi. Pour autant, quand on sait qu’on n’a ni le désir, ni le rapport de force suffisant pour mener une guerre symétrique ou proportionnelle, il faut éviter de se laisser prendre au jeu des plans de batailles. Nous n’aurons jamais le rapport de force dans ce jeu viril. Ils ont pour eux la légitime violence, nous avons pour nous la légitime défense. Dans cette configuration, rien ne sert de "contribuer à la guerre en cours", il faut mieux penser des formes de résistances qui ne nous exposent pas à la férocité des forces de l’ordre. Et la résistance, ce n’est pas la guerre frontale : notre seule défense, c’est l’auto-défense populaire et le sabotage.

Le texte critique à l’encontre des Soulèvements de la Terre qui a circulé sous forme de brochure à la suite du 25 mars, affirme que rien n’a été fait pour prévenir de cette violence et qu’aucune information sur les armes n’a été transmise en amont de la manifestation. En plus d’être fausse, cette affirmation est blessante pour les personnes qui s’investissent à fond depuis plusieurs mois pour organiser au mieux le soin à l’attention des participant-es à la manifestation. Et qui, n’en déplaise, n’ont pour la plupart aucune affinité avec les écrits du Comité Invisible (CQFD). L’aliénation n’est pas forcément là où l’on pense...

Tout d’abord, il est utile de préciser qu’à la suite de la manifestation de Sainte-Soline du 30 octobre 2022, au cours de laquelle il y avait eu plusieurs blessé-es, l’équipe de soutien juridique des Soulèvements de la Terre a immédiatement pris contact avec d’autres collectifs contre la répression et les violences policières pour organiser à la fois le suivi des blessé-es de cette précédente action, mais également pour mettre sur pied une base autonome de soin pour la manifestation suivante. Au cours des mois qui ont précédé le 25 mars, de nombreux-ses personnes ont rejoint la « base arrière » censée apporter un soutien juridique, médical, psychologique et de prévention contre les violences sexistes et sexuelles. Au sein de cette base arrière, la majorité des personnes n’avaient aucune affiliation avec le collectif des Soulèvements de la Terre et provenaient d’horizons et de pratiques de luttes diverses. Des débats et désaccords ont pu prendre place à l’occasion des discussions de préparation du 25 mars, au cours desquelles le fait d’inclure des informations sur les armes n’a pas fait débat. Deux briefs en ligne devant 700 à 2000 personnes à moins d’une semaine de l’action ont d’ailleurs permis de transmettre des informations nécessaires pour se protéger de la répression et des armes. Enfin, juste avant le départ pour l’action, la difficulté à se réunir et le stress du moment n’ont pas permis de reproduire un brief exhaustif, mais une personne de l’équipe juridique a fait un brief complet au micro, incluant la question des armes et du soin devant plusieurs centaines de personnes présentes sur le campement éphémère.

Il est également important de noter que l’équipe juridique se retrouve à assumer le suivi des dizaines de blessé-es, avec le soutien de collectifs luttant contre les violences d’État, sans que les personnes décriées dans la brochure évoquée ici n’aie joué un rôle dans la mise en place spontanée de ces outils au service exclusif des personnes victimes de la répression. Par ailleurs, les avocat-es qui se sont rendues disponibles pour le suivi des personnes arrêtées ne sont pas affilié-es aux Soulèvements de la Terre, mais coopèrent habituellement (et non exclusivement) avec des legal teams et caisses antirep, dont un certain nombre sont réunies au sein du réseau Rajcol [7]. Comme les street medics, les legal teams sont avant tout un outil de l’autonomie, qu’on ne peut assimiler ou rattacher à des groupes politiques sans risquer de faire les mêmes raccourcis que la police.

Nous ne sommes pas forcément tou-tes les Soulèvements de la Terre, mais les Soulèvements de la Terre nous appartiennent si nous en faisons le choix et si nous faisons l’effort d’apprendre de nos faiblesses et de nos erreurs, pour améliorer ses modes de fonctionnement, mais aussi pour maintenir un rapport de force face à l’État en ces temps de répression féroce.

Toute mon attention et ma solidarité va aux victimes des violences d’État et aux blessé-es de Sainte-Soline.
Prenons soin de nous.

Un anarchiste qui a contribué à la base arrière pour l’action de Sainte-Soline

Source : IAATA - Information Anti Autoritaire Toulouse et Alentours
Quand les postures bassinent, ou pourquoi tout n’est pas binaire


Publié le 14 avril 2023

1 - La chronologie des écrits dont il est question peut être trouvée ici : https://biblioweb.hypotheses.org/27309
2 - Certain-es choisiront de les appeler « les arraché-es » dans un texte traitant du mépris de classe et publié en juillet 2013 : https://zad.nadir.org/spip.php?article1798
3 - La chronologie des événements de Notre-Dame-des-Landes est ici : https://zad.nadir.org/spip.php?article86&lang=fr
4 - On parle ici des « appelistes », mais il serait intéressant aussi d’analyser les violences symboliques générées par d’autres tendances de la « gauche radicale », comme les anarchistes individualistes qui, pendant les deux décennies qui nous intéressent n’ont cessé de produire des textes et brochures chiant sur l’existant et sur à peu près toutes les expériences politiques menées par d’autres qu’elle-eux, pratiquant la délation et l’inquisition, voire la calomnie, sous couvert de « déconstruction » et d’anti-autoritarisme. Les nommer ici serait leur faire de la lumière.
5 - Négociation avec la préfecture, qui a accompagné l’attaque et le bombardement par les forces de l’ordre au printemps 2018, au cours duquel Maxime P. a eu la main arrachée par une grenade (entre autres blessé-es graves).
6 - https://nocigeo.noblogs.org/files/2015/03/Ram%C3%A8ne-ta-pioche.pdf
7 - https://rajcollective.noblogs.org/


Poursuivre la réflexion sur Ste-Soline et SLT avec des critiques constructives
Photo illustrative de Terrestres

2. Sainte Soline : repenser nos stratégies de lutte depuis une logique d’autonomie et de soin

- Sainte Soline : repenser nos stratégies de lutte depuis une logique d’autonomie et de soin
Tandis que l’étau de la répression se resserre sur les soulèvements de la Terre, la priorité est à la solidarité, à la riposte juridique, et soin des blessé·es. La question de savoir comment ne pas reproduire une telle hécatombe parait néanmoins urgente. Ce qui suit est une série de propositions afin de continuer à se renforcer mutuellement et faire de la place à tou·tes en contexte d’actions de masse.

(...)
Nous adressons particulièrement notre solidarité et notre soutien aux personnes encore à l’hôpital, à leurs proches, à toutes les personnes qui liront ce texte et qui dorment mal ou qui ne dorment plus, à toutes les personnes blessées physiquement et psychologiquement.
(...)
Avant d’avancer, nous souhaitons insister sur le travail qui a été réalisé par la base arrière (regroupant les medics, la legal team, le pôle de soutien psychologique et émotionnel, le pôle dévalidisme, le pôle bambins, le pôle de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, le groupe qui a organisé la création de groupes affinitaires sur place). Pendant des semaines, cette base arrière s’est organisée afin de s’assurer que les participant·es soient informé·es et soutenu·es durant l’action. Nous voulons vraiment célébrer cette volonté de faire de la place aux enjeux de soin de manière transversale et coordonnée, en s’appuyant sur l’existant et en testant de nouvelles choses. Nous sommes certain·es que cela continuera à nourrir nos pratiques
(...)
Vendredi soir et samedi matin, des assemblées générales ont été organisées au camp éphémère, afin de rappeler les enjeux politiques de notre présence, refaire un brief de la base arrière et donner des informations concernant l’action en elle-même. L’objectif principal que nous avons entendu et qui nous a été répété était simple et puissant : entrer dans la bassine. D’autres objectifs furent évoqués (prendre soin les un·es des autres, se sentir fort.es ensemble, désarmer du matériel de canalisation par exemple…), mais ce fut surtout l’objectif de rentrer dans la bassine qui fut mis en avant. Si plusieurs actions et événements eurent lieu le vendredi et le samedi (arrivée du convoi des tracteurs de la Confédération Paysanne, moment très fort le vendredi ; action de plantage de haie de la Confédération Paysanne le samedi), ils furent mis au second plan dans les prises de parole et la communication. Une hypothèse, c’est que ce choix traduisait la volonté de reproduire la tactique mise en place lors de l’action antérieure à Sainte-Soline en octobre dernier, et représentait donc un enjeu symbolique très fort.

Pourquoi est-ce important pour nous d’en parler ? A posteriori, cette invisibilisation des autres événements est beaucoup due aux biais de sélection médiatiques, et au besoin de sensationnalisme. Mais les discours prononcés le vendredi soir et le samedi matin donnaient malgré tout l’impression d’une certaine hiérarchisation des modes d’action. Or, le fait d’avoir un discours très axé sur l’objectif d’entrer dans la bassine nous a limité.es en termes de tactiques (limite sur laquelle nous revenons plus loin dans le texte) et nous a imposé une idée très étroite de ce que serait la « victoire ». En effet :

Pendant l’action : la police et la gendarmerie ont concentré toutes leurs forces autour de la bassine. Un groupe de plusieurs centaines de personnes a tenté de passer le barrage de la police et des gendarmes afin de rentrer dans la bassine, dans une logique de confrontation poussée. Les autres participant·es (à savoir au moins 70% des gens) se sont retrouvé·es à n’être que spectacteur·ices de l’affrontement. Certain·es cherchaient à soutenir cette tactique, d’autres attendaient que l’action se passe, sans trop savoir quoi proposer d’autre. Notons d’ailleurs que les jets de grenade de la police et des gendarmes visaient précisément à couper la manifestation en deux.

Après l’action : chacun·e ayant cet objectif principal en tête (rentrer dans la bassine), l’action a été évaluée en fonction de ce seul critère. D’où le ressenti partagé par beaucoup de participant·es à la fin de la manif d’échec et d’inutilité — avant même d’avoir saisi l’ampleur du ravage humain. Outre le risque de démobilisation, rappelons que la perte de sens de nos actions et le sentiment d’inutilité, sont des facteurs de traumatismes post-action.
(...)
Si l’esprit collectif avait été moins unilatéralement concentré sur la conquête de la bassine à tout prix, peut-être que nous aurions pu développer plus de spontanéité en réalisant que l’intrusion ne serait pas possible. Par exemple, après avoir constaté l’entrée dans la bassine impossible, axer notre énergie sur des actions de désarmement, nasser la bassine et la police, faire preuve de créativité sur place, faire du bruit, du son, pourquoi pas la fête… Pendant l’action, face au dispositif répressif massif déployé, nous aurions aimé entendre et sentir que c’était déjà une immense réussite de manifester à 30 000, alors que 3 200 gendarmes sont mobilisé·es et que la manifestation est interdite, que nous étions fort·es.
(...)
Les tactiques offensives visant au désarmement ont été mises sur un piédestal dans les discours en amont de la manif. A titre d’exemple, nous avons entendu des discours qui survalorisaient les personnes en première ligne (« les plus courageux iront devant »). L’action nous a aussi été présentée sous forme d’un jeu. Chacun des trois cortèges étant une équipe dont l’objectif était d’entrer avant les autres dans la bassine. Ce sont des mots de compétition et de concurrence qui ont donc servi à décrire l’action (« avancez plus vite, on va quand même pas se faire dépasser par le cortège turquoise »).

Dans l’absolu, ces tactiques offensives ont un intérêt politique et stratégique qu’il faut continuer à défendre. Dans le cas présent, cet intérêt n’était pas clair du tout, et cette tactique a d’après nous pris beaucoup trop de place dans la stratégie globale. L’intérêt du bloc en vue d’un usage défensif dans des contextes urbains et/ou d’occupations de terrains a été prouvé par le passé. Les usages offensifs de ces techniques ont également montré une grande efficacité lorsqu’ils étaient clandestins et mobiles. En revanche, dans un contexte rural, découvert, et face à des murs militaires, la tactique du bloc offensif n’est pas une tactique qui va de soi. C’est d’autant plus vrai quand on agit à plusieurs milliers, qu’il y a des inégalités d’équipements et d’expériences de confrontation entre les manifestant·es, qu’on est stagnant·es.
(...)
Penser les enjeux d’inclusion. Inviter 25 000 personnes partageant des cultures politiques et d’organisation différentes implique de penser cette « diversité » et s’appuyer dessus. C’est une force, à condition qu’on lui donne les informations et les moyens nécessaires pour se déployer.
(...)
Le contournement. Les mots de contournement ont été régulièrement employés dans des propositions de tactique lors d’actions de masse, par exemple au camp-action des Rayonnantes en 2021 à coté de Bure. Dire que l’on souhaite au maximum contourner la police plutôt que l’affronter permet de décaler le focus de l’action : l’objectif n’est pas la police mais ce qu’elle protège. La tactique du contournement fait la part belle à la ruse, à la surprise, à l’inattendu. Parfois elle échoue et on sait qu’on réessaiera une autre fois, parfois elle réussit et on se grise d’avoir mis la police en échec.
(...)
Cela demande évidemment un très grand niveau de personnes ressources et coordonnées… et nous interroge quant à la possibilité ou non de faire des « actions » avec autant de personnes, en ayant très peu de temps pour l’organiser (clairement, s’organiser en deux-trois mois dans un contexte d’urgence et de répression n’est pas la même chose que de s’organiser pendant un an). Il est clair que c’est un défi majeur d’organiser ces structures pour une action de plusieurs dizaines de milliers de personnes. D’un autre côté, s’il est relevé, ce défi peut se transformer en une immense source de puissance collective.
(...)
Dans ce contexte, quelle place fut laissée à la tristesse et la rage des conséquences humaines de cette action (les impacts physiques et psychologiques) et à l’humilité après l’action du samedi ? Le soir, certaines personnes en détresse sont allées à l’infirmerie psychologique, d’autres sont parties directement après l’action, d’autres sont allées aux concerts. Certaines ont essayé tant bien que mal de se mettre à l’écart du son pour prendre soin d’elles. Il n’y a pas eu d’espace de débrief collectif, si ce n’est un debrief psychologique en interne le dimanche pour les médics. Trop compliqué à cause du nombre, à cause des possibles conséquences psychologiques des prises de parole.
(...)
Nous pensons qu’il est important que la décharge festive ne prenne pas toute la place. Laisser de la place à la tristesse, la colère, l’incompréhension, la peur, cela aurait peut-être aussi signifié accepter de changer le programme, ré-organiser les choses prévues pour laisser de la place à tout ce qui change à cause de cette violence. Facile à dire après coup. Nous espérons que pour les prochaines fois, nous saurons collectivement mieux comment nous soutenir suite à l’action.
(...)
Deuxième élément : les Soulèvements de la Terre sont composés de groupes ayant différentes cultures politiques et mode d’organisation. C’est à la fois une force immense bien sûr (construire des alliances) mais aussi une source de difficulté. Les Soulèvements de la Terre ont réussi quelque chose de formidable : réunir ces différentes composantes autour d’objectifs et de stratégies communes. C’est le fruit d’énormément de temps, d’échange, de compromis. Nous aurions aimé que ces enjeux et valeurs de soin et d’inclusivité soient vraiment défendus haut et fort comme étant une priorité, et pas uniquement par les personnes de la base arrière. Que ce soit prioritaire et donc décliné en termes d’organisation d’action, de communication, de logistique de camp et de soirée etc. Ce travail nous parait d’autant plus fondamental que ne pas le faire peut mener à des risques réels d’instrumentalisation des différentes composantes de la lutte (sentiment qu’il pourrait exister une hiérarchie en terme de ce qui politiquement utile ou non par exemple), dynamiques évidemment nocives sur le long terme.
(...)
Nous rêvons d’actions de masse puissantes, qui cherchent un équilibre entre tactiques qui se complètent et se respectent ; inclusivité, autonomisation, soin collectif, avant, pendant, après, tout le temps. Ces réflexions ne sont pas nouvelles. Ces valeurs ne sont pas nouvelles. Confrontons nos expériences, apprenons des luttes passées et présentes, faisons preuve de créativité et d’offensive. Peut-être alors, notre vision de ce qu’est une victoire politique sera différente et peut-être alors serons-nous toujours plus nombreu·ses à lutter. Peut-être serons-nous plus puissant·es, fièr·es et déter·res ensemble.


À celles et ceux qui ont marché à Sainte-Soline

- À celles et ceux qui ont marché à Sainte-Soline
Quelques réflexions à chaud depuis les Soulèvements de la Terre
paru dans lundimatin#379, le 17 avril 2023

Trois semaines se sont écoulées depuis cette journée du 25 mars à Sainte-Soline, qui restera gravée à jamais dans nos chairs et nos mémoires. Le temps est depuis suspendu au jeu de ping-pong entre les offensives agressives du gouvernement, et nos contre-offensives visant à rétablir un semblant de vérité sur le déroulé des faits et le contexte politique actuel. Cela nous a poussé, entre plein d’autres initiatives, à accepter des conditions de parole qui étaient loin d’être des possibilités d’expression satisfaisantes, à l’instar de certains plateaux télé. Pour les personnes blessé.es et pour la suite, nous ne pouvions laisser libre cours à tant d’indécence et de mensonges, de la part d’un exécutif littéralement en roue libre. Mais il faut maintenant sortir de la réaction d’urgence et prendre le temps de creuser un certain nombre d’interrogations légitimes. Nous commençons à peine le nécessaire retour critique et collectif sur ce week-end que nous préparions depuis des mois, néanmoins, il nous tient à cœur de livrer quelques explications et interprétations qu’il suscite chez nous.

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Concernant le contexte politique local, il est impressionnant de découvrir le nombre de personnes prêtes à accueillir, mettre à disposition de la lutte leur outil de travail (tracteur pour les paysan.nes, camion-plateau pour les artisan.nes, chariot télescopique), donner de leur temps, renseigner ou faire fonctionner leurs réseaux. Mais bien qu’une grosse partie de la population soutienne la lutte contre les bassines, le contexte politique local est tendu et la FNSEA verrouille une partie de la vie politique deux-sèvrienne. Il n’est donc pas aisé de trouver un terrain où faire camper des milliers de personnes et des places de parking sans s’exposer à un certain climat d’hostilité.
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Une des stratégies du gouvernement et des pro-bassines est d’opposer les agriculteurs aux écologistes. La lutte contre les méga-bassines serait uniquement menée par des écologistes hors-sol qui ne comprennent rien aux enjeux et difficultés du monde agricole. Pourtant, des paysan.nes luttent contre l’accaparement de l’eau depuis des années. Les conflits internes au monde agricole sont puissants mais souvent lissés et méconnus.
Lors de la manifestation du Printemps maraîchin en mars 2022, les tracteurs des paysan.es engagé.es contre les méga-bassines ont été invisibilisés, en partie parce qu’ils n’ont pas pu rejoindre le cortège des manifestants à cause d’un blocage policier. Après l’explosion médiatique du sujet, et la focalisation sur les violences, il paraissait primordial de ré-insister sur la forte présence des paysan.nes dans cette lutte. Un convoi de cinquante tracteurs venus de toute la France s’est donc préparé à venir à la mobilisation, avec pour objectif de rejoindre le campement le vendredi. La présence des tracteurs s’avérait d’autant plus importante que la FNSEA venait de manifester quelques jours plus tôt, le 22 mars à la Rochelle, en faveur des bassines et des pesticides.
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L’issue dramatique de la manifestation du samedi et les insanités qui ont suivi dans les déclarations de Darmanin et consorts ont largement invisibilisé ce qui a fait la diversité de ce week-end. Si aujourd’hui notre regard se concentre sur le déroulement de la journée du samedi, il est important de rappeler d’autres éléments qui reflètent l’hétérogénéité des modes de participation au week-end. À Melle, malgré la pression exercée par les contrôles de police incessants, plus de 20 000 personnes se sont rencontrées et ont vécu des moments de partage forts.
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L’installation du campement et le passage du convoi nous montrent : premièrement qu’entre planification minutieuse dans une composition large et improvisation réactive, il est parfois possible de déjouer un dispositif asymétrique. Et que deuxièmement, nous sommes plus forts en mouvement. Cette intuition est renforcée par la tournure des événements du lendemain où d’une certaine manière, la conflictualité et l’affrontement se sont figés dans une guerre de positions, visiblement regrettable pour nous. 
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Si l’on oriente maintenant le regard sur le samedi, nous pouvons comprendre que la répétition tactique entre la première bataille de Sainte-Soline et la deuxième apparaisse comme une grande erreur. Au sortir de l’événement, nous peinons à refaire le fil qui nous a mené là. Malgré le bon sens qui voudrait qu’on ne tente pas deux fois le même coup, c’est comme si une réduction progressive des possibilités en entonnoir nous avait poussé à reproduire le même mouvement.
D’une certaine manière, nous n’avons pas su faire évoluer le déploiement tactique des cortèges depuis le rassemblement d’octobre. Dans cette rase campagne où les étendues s’étirent à perte de vue, il n’y a pas une infinité de voies possibles. C’est pourquoi, ce jour-là nous pensions à nouveau aller aux abords de la bassine, pour tenter de l’encercler, et d’y accéder si la situation le permettait. Nous n’étions cependant pas prêt.es à y pénétrer coûte que coûte.
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Le 25 mars marque un bond dans la participation au mouvement contre l’accaparement de l’eau. Comment se coordonner et continuer à se déplacer ensemble en tenant compte de ce changement d’échelle ? Le grossissement considérable des cortèges implique l’évolution des modes de transmission de l’information et de prise de décision collective, avant et pendant la manifestation. Évolution que nous avons mal anticipée. 
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Les choses se sont enchaînées à toute vitesse, sans plan alternatif pré-établi, ni capacité d’improvisation dans une manifestation aussi conséquente. Il aurait fallu prendre un vrai temps de pause pour envisager autre chose mais nous n’avions plus techniquement cette possibilité. Lorsque la gravité du nombre de blessé.es a été partagée d’un cortège à l’autre, l’inadéquation des moyens que l’on s’était donnés collectivement est devenue criante. D’abord ceux pour évacuer les blessés, ensuite pour communiquer à tous les cortèges. Même si l’évidence n’était pas partagée par tous, nous avons poussé pour un retrait collectif de la zone.
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La violence policière et sa légitimation étatique ne sont pas nouvelles. Elle sévit depuis toujours sur les populations reléguées et invisibilisées. Elle a été longtemps et reste encore une abstraction un peu lointaine pour la plupart des citoyen.nes de ce pays. Il aura fallu que surgissent des mouvements de lutte spontanés et débordants comme celui des gilets jaunes, des mouvements de jeunesse comme le cortège de tête contre la loi Travail en 2016 et des ZAD, pour que les armes qui mutilent les habitant⋅es des banlieues, menacent désormais à peu près tout ce qui remue. Sainte-Soline en est un des derniers exemples. Le risque de perdre un membre ou de mourir pour faire exister un autre monde est de plus en plus partagé. Les jeunes générations lutteront et vivront avec.
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aux 5 000 grenades tirées en 2 heures, il faut mettre en regard les 11 000 grenades tirées en 1 semaine sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes en 2018. Malgré le souvenir de la mort de Rémi Fraisse, nous n’étions pas prêt.es à faire face à une telle volonté de tuer. Un cap a été passé. 
En pleine contestation de sa réforme des retraites, dans une séquence politique où l’écologie se charge de conflictualité, le gouvernement a voulu choquer en assumant de manière décomplexée le fait de mutiler et la possibilité de tuer. C’est une occasion de plus de voir sans maquillage l’expression normale de la violence légitime que revendique l’État. C’est sur ce plan que Macron situe le débat en arguant que la foule n’est pas légitime. 
Le dispositif de maintien de l’ordre était fait pour briser nos forces au-delà de cette journée. Et c’est encore de ça que le RETEX de la gendarmerie se félicite : nous voir rentrer ’démoralisés’ au camp
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La réussite des mobilisations précédentes s’est jouée dans le fait que tous les manifestant.es pouvaient prendre une part active au fait de « passer ». Mais passer pour aller où ? La majeure partie des milliers de personnes présentes le 25 mars ne pouvaient pas participer à ce geste. La foule, tenue à distance par les pluies de grenades, s’est retrouvée spectatrice de ce moment sans pouvoir agir dessus. Les cortèges ont attaqués les grilles du chantier et une partie du dispositif policier qui les protégeait a été mis en difficulté momentanément. Mais il est clair pour nous qu’une telle frontalité a été trop coûteuse. Et les mots ne sont jamais suffisants ou toujours maladroits quand il s’agit de l’écrire ou de le dire.
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On voyait poindre un symbole, avec toute l’ambivalence entre espoir et attente qu’il peut contenir : les méga-bassines comme symbole de l’aberration climatique de l’agro-industrie et de l’allégeance totale du pouvoir à cette dernière.
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Le seuil d’intensité qui a été franchi à Sainte-Soline dans la violence répressive exige de penser nos impasses tactiques pour tenter de les dépasser. La lutte contre les méga-bassines ne fait que commencer. Ils ne pourront pas faire de chaque bassine un chantier fortifié. Et si partout essaiment des comités locaux, ce n’est pas un projet qui pourrait être attaqué, mais des dizaines. Après Sainte-Soline, la lutte aura besoin de réinventer ses formes d’interventions pour reprendre confiance dans sa capacité collective à produire des gestes impactants tout en maintenant une composition large.
(...)
Ces sujets sont liés, sous-tendus par le même projet macronien, obtus et honni, qui n’a que faire de détruire pourvu que les marchés soient rassurés. La mobilisation contre la réforme est massive, la prise de conscience sur les enjeux écologiques aussi. L’absence de dissociation et la solidarité dans un large spectre politique est un fait notable. La défiance envers l’exécutif n’a d’égale que la colère que suscite les images de violences policières chaque jour au JT et sur les réseaux. 


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