L’incendie volontaire d’un hangar technique à la gendarmerie de Grenoble revendiqué

Illégalité ou désobéissance civile ? Jusqu’où ?

dimanche 24 septembre 2017, par Camille Pierrette.

Dans la nuit de mercredi 20 à jeudi 21 septembre, un violent incendie s’est déclaré dans un hangar technique de la gendarmerie de Grenoble, un lieu qui abrite des véhicules de gendarmerie et des bureaux de la cellule d’investigation criminelle.

C’est un incendie volontaire qui a été revendiqué par le biais de plusieurs sites web libertaires ou de médias libres.
Voir par exemple sur le site « Attaque », avec une « revue de presse ».

Le site Indymedia Grenoble s’est vu sommé par les services de l’Office Central de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l’Information et de la Communication (OCLCTIC) de retirer le communiqué, voir l’édito d’Indymédia pour les détails. Une procédure semble-t-il abusive, car d’autres sites web, dont le Daubé, ont publié le communiqué sans être inquiétés. Soutenons Indymedia et tous les médias libres !

- voici pour info le texte du communiqué de revendication :
« Ce jeudi, à trois heures du matin, deuxième jour du procès de la voiture brulée.
Avons pénétré dans la caserne de gendarmerie Vigny-Musset. Avons incendié 6 fourgons d’intervention et deux camions de logistique. Le garage et l’entrepôt ont été ravagés sur plus de 1500 mètres carrés.
Cet acte s’inscrit dans une vague d’attaques de solidarité avec les personnes qui passent en procès ces jours-ci.
Forte accolade à Kara et Krem.
Une pensée pour Damien, récemment tabassé par les flics.
Quel que soit l’issue du procès, on continuera à s’en prendre à la police et à la justice.
Notre hostilité est un feu qui se propage.
Des nocturnes.
 »

Cet acte semble s’inscrire entre autre dans un soutien aux inculpés du procès à Paris concernant une voiture de police brûlée l’année dernière en marge d’une manifestation.

- Pour info, ces derniers mois, d’autres actes de sabotages ont été revendiqués dans la région :

Illégalité ou désobéissance ? Question de point de vue ?

Ces actions donnent l’occasion de s’interroger plus largement sur la question de l’illégalité et de la désobéissance en général.

A Crest, comme sans doute partout, on voit que beaucoup d’habitants considèrent (ou font mine de) que l’affichage sauvage ou l’occupation d’un bâtiment sont déjà des actes hyper violents et insupportables !
Mais les mêmes, par exemple, semblent moins choqués par le fonctionnement intrinsèque du capitalisme qui fait que les légumes qu’ils achètent au supermarché sont produits en Provence ou en Espagne par des travailleurs étrangers (marocains, polonaises, africains, etc.) dans des conditions épouvantables et de quasi esclavage, avec des pesticides qui détruisent leurs vies et la Terre !
Ils ne seront sans doute pas choqué non plus d’actes terroristes commis par l’Etat français, comme à Bure récemment.

On vit dans une « société » tellement lisse, surveillée et policée, que le moindre écart, la moindre désobéissance politique est vue par beaucoup comme une transgression abominable. Souvent, pour les sujets bien dressés par l’école, les médias et les politiciens, toute illégalité est à bannir par principe.
Peut-être que ça dérange certains parce qu’ils ont peur d’être tentés, parce que les actes désobéissants les renvoient à leur propre soumission, impuissance et/ou servilité ?

Et puis nombre de français considèrent encore qu’on vit dans une démocratie, et que toutes les lois sont légitimes, comme sacrées.
Mais si on estime au contraire que ce système n’est ni démocratique ni légitime, que les lois ne sont pas faites par les peuples mais par des minorités au profit de quelques uns, alors les lois ne sont pas forcément légitimes, surtout quand elles sont inhumaines, on est donc en droit d’y désobéir. Dans ce cadre, la désobéissance civile, la résistance, sont légitimes, indispensables et morales, la désobéissance civile est même un impératif. (Rappelons le devoir d’insurrection inscrit dans les Droits de l’Homme de la constitution de 1793, article 35)
On a pu voir ce que pouvait donner une obéissance absolue avec le régime de Vichy ou le nazisme !

Et de toute façon, même, et surtout, si on était en démocratie, la désobéissance fait partie du jeu politique, elle en est une composante indispensable.
Voir aussi « C’est confortable d’obéir » et « l’impératif de la désobéissance »

Là où les choses se compliquent, c’est qu’on vit en France dans un système qui se prétend démocratique alors qu’il ne l’est pas.
Comme, selon certains théoriciens, la désobéissance civile n’a de sens que dans une véritable démocratie, on devrait donc plutôt parler de résistance plutôt que de désobéissance civile ?

Bien entendu, toutes ces notions ne sont pas tellement enseignées à l’école ou dans les casernes de police.

La sensation d’appartenir au même clan, de faire parti de la majorité ou d’être du côté des plus forts du moment peut dicter la légitimité et la légalité.
Pendant la 2e guerre mondiale, les occupants allemands considéraient les résistants français comme des terroristes.
En France, peu de monde était choqué des conquêtes et guerres coloniales menées par la patrie, ça faisait partie de la norme du moment.
Dans cette « non-société » non-démocratique, c’est un peu la majorité et le plus « fort » du moment qui va définir ce qui est la norme, ce qui est illégal ou pas.
Par exemple, le crime est illégal, mais devient légal et encouragé en temps de guerre.

La plupart du temps, tout ça est donc bien subjectif...
Tout dépend sous quel angle on regarde les choses, depuis quelle situation, avec quelle degré d’information, avec quels présupposés idéologiques ou politiques.

Jusqu’où aller dans la désobéissance et les actes de résistance ?

Personnellement, je suis contre les de sabotages qui se sont déroulés ces derniers mois, je trouve qu’ils sont contre-productifs.
Ces destructions volontaires permettent à l’Etat de justifier davantage sa répression envers tous les contestataires et aux médias commerciaux de dénigrer davantage l’anti-capitalisme, l’anarchisme et l’action radicale (vous me direz qu’ils le font de toute façon).
De plus, surtout, des destructions violentes appellent la violence en retour et ne résolvent rien, on tourne en rond. Avec des actes « trop » illégaux (en sachant que l’illégalité fluctue au gré de l’évolution des lois et des moeurs), menés par des minorités plus ou moins isolées et clandestines, détachés des mouvements sociaux, les auteurs peuvent vite s’éloigner de la politique, et se retrouver dans une bulle sans issue.
En plus, des actes illégaux clandestins ne sont pas de la désobéissance civile (définition).

Pour autant, je comprends parfaitement ces actes, plus jeune, si j’avais vécu dans d’autres contextes, j’aurais peut-être pu en commettre de similaires.
Je les comprends car nous vivons de plus en plus dans un système totalitaire, extrémiste et violent, un monde politico-économique sans pitié qui écrase, détruit et précarise, qui laisse de moins en moins de place à la vie et à la liberté.
Face un à tel carcan impitoyable qui s’aggrave il n’est pas étonnant que certaines personnes puissent se penser en état de légitime défense, et puissent concevoir des actes d’incendies envers diverses structures jugées oppressives.

Je comprends et critique ces actes, je suis contre pour diverses raisons, mais il m’est difficile de les condamner vraiment.
Déjà, en ais-je le droit ? Je ne connais pas la vie et l’histoire des activistes qui ont commis ces incendies à Grenoble, ils ont leurs raisons, comment peut-on les juger sans savoir ? Moi qui n’ai eu à subir ni coups de matraque, ni grenades de désencerclement potentiellement mortelles, ni même de lacrymos, comment pourrais-je condamner ?
En revanche, je condamnerais sans hésiter des actes offensifs entraînant des morts ou des blessures (même celles d’esclavagistes ou de ministres).

Les politiciens haut perchés et ministres sont bien sûr unanimement choqués, offusqués, et condamnent tous, tout bord confondu, très fermement des actes qu’ils disent « délinquants ». Leur hypocrisie est sans limites, eux qui soutiennent un système totalitaire non-démocratique sont mal placés pour faire la leçon !
Ces affreux sont bien pires que les soit-disant « lâches délinquants » qu’ils condamnent en niant d’emblée le caractère politique des actions incriminées. Les Pouvoirs ont toujours tenté de se blanchir en « noircissant » un maximum d’autres personnes, les boucs émissaires sont bien pratiques pour faire oublier les innombrables crimes et violences de cette « non-société ».

Après l’incendie criminel de la gendarmerie de Grenoble le 21 septembre, les députés « En Marche » de l’Isère Emilie Chalas, Jean-Charles Colas-Roy et Olivier Veran se sont rendus sur les lieux.
Extrait de l’article :
Ils se sont aussi émus de « la dérive violente de certains groupuscules. Nous condamnons les discours qui, en suscitant la défiance vis-à-vis des forces de l’ordre, poussent à l’acte des individus déséquilibrés. »

Ces députés LRM voudraient interdire les critiques envers l’Etat et ses forces de police ?! Ces députés-tyrans qui veulent détruire la liberté d’expression sont dangereux, de petits dictateurs déséquilibrés en devenir ?
Personnellement, je suis beaucoup plus ému par la dérive violente et totalitaire de l’Etat, de l’économie de marché, et du groupuscule LRM qui a pris le pouvoir que par quelques sabotages. Leurs discours, et surtout leurs actes, sont beaucoup plus nocifs et destructeurs.

C’est un vieux débat que de savoir où situer les limites à son action radicale. Tellement de paramètres sont en jeu et le contexte joue beaucoup. A chacun.e de voir ?
Pour des repères historiques, parcourez cet article sur « La lutte armée en France depuis 1968 », avec de nombreux liens sur les différents degrés de luttes et de désobéissance, donc celui sur l’autonomie italienne.
Si la lutte armée est une impasse souvent suicidaire, on voit historiquement que la désobéissance civile peut porter des fruits. La désobéissance civile de masse est justement un des moyens pour empêcher la lutte armée ou la guerre de venir.

Personnellement, je suis pour rompre avec le citoyennisme béat, le militantisme routinier qui ne fait que réclamer des miettes sans aller aux racines, pour la désobéissance civile si besoin et des activités diverses qui permettent de vivre ou d’entrevoir d’autres rapports sociaux et politiques, dans la justice, l’égalité et la fraternité, où on commence à changer l’ensemble de la vie quotidienne.
Car on ne peut pas construire un autre monde si on accepte, intériorise et applique les règles répressives et injustes de l’actuel.

Pour moi, la radicalité se situe bien davantage dans une rupture intérieure avec les mentalités capitalistes, égoïstes et étatiques que dans des destructions de biens pour des motifs politiques.
La radicalité est plutôt dans la construction au quotidien d’une véritable société, qui s’éloigne de plus en plus du capitalisme, des injustices sociales, des oligarchies, de la destruction des écosystèmes, etc.
Dans ce cadre, face à un système politique et économique totalitaire défendu par les polices et les gros médias en place, des actes de désobéissance civile et de résistance collective sont parfois nécessaires et parfaitement légitimes.

Hélas, de nos jours, à Crest comme ailleurs, en dehors de quelques moments jouissifs comme l’occupation de la Tour de Crest ou le Carnaval de ce printemps, la vie sociale est plutôt fade, on est contraints de survivre au quotidien dans un monde périmé qui s’accroche à son Titanic.
L’obsolescence de cette non-société est programmée, l’humanité veut-elle se mettre enfin Debout ou préfère-t-elle la poubelle ?


Forum de l’article

  • L’incendie volontaire d’un hangar technique à la gendarmerie de Grenoble revendiqué Le 26 septembre 2017 à 16:14, par Camille Pierrette

    Sur Reporterre, des médias libres dénoncent les censures qui ont visé Indymédia dans cette affaire. Il semble qu’il y a deux poids deux mesures selon le type de média.

    Répondre à ce message

  • L’incendie volontaire d’un hangar technique à la gendarmerie de Grenoble revendiqué Le 25 septembre 2017 à 11:49, par Etienne

    On ne peut pas mettre sur le même plan l’attaque contre des biens et l’attaque contre des personnes. S’en prendre à des flics bloqués dans une voiture et risquer de les faire brûler vifs, sans même le courage de l’affrontement direct, voilà une violence absurde, inutile.

    Pour paraphraser Howard Zinn, on s’attaque au menu fretin, aux petits, aux larbins. Pendant ce temps, les gros, bien contents se régalent. Certains même en souhaitent plus. L’obéissance aux cadres de la violence qui nous est faite est notre problème.

    La charte de Ricochets indique « RICOCHETS veut favoriser la libre expression, néanmoins, l’équipe d’animation appliquera si besoin quelques restrictions" . Lorsque les textes sont à la limite de la charte, « restrictions… en rapport avec le respect des lois françaises (pas de racisme, pas de sexisme ou toute forme de discrimination, pas d’incitation à la violence contre des personnes…) - , il paraîtrait démocratique et collectif que l’équipe d’animation soit consultée.

    Répondre à ce message

    • L’incendie volontaire d’un hangar technique à la gendarmerie de Grenoble revendiqué Le 25 septembre 2017 à 14:21, par Camille Pierrette

      Oui, on est d’accord, attaquer des biens n’est pas la même chose que s’en prendre à des personnes. Même un tortionnaire ou un esclavagiste a droit au respect de la dignité humaine même si lui ne la respecte pas.
      Il faut en effet sortir du cercle vicieux de la violence qui est imposée, ou encouragée/suscitée, par l’Etat et ses services (et qui gagnent toujours à ce jeux là, ils sont spécialistes).

      Dans mon texte, je n’incite pas à du tout à des violences contre des personnes, ou alors y a des passages pas clairs ?! Merci de me dire.

      En revanche, c’est vrai que j’invite chaudement à pratiquer la désobéissance civile en cas de besoin. Et là c’est vrai que c’est un peu limite avec la Charte de Ricochets. Car la désobéissance civile implique souvent, pas forcément, de commettre des actes plus ou moins illégaux.
      - La charte dit : pas d’illégalités, sauf cas particuliers de désobéissance civile.
      Donc à l’équipe d’animation de voir.
      Pour conciliation, je peux modifier certains passages (si non essentiels pour moi) de mon article si besoin.

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