Jésus, le pasteur et les Gilets jaunes

mardi 8 janvier 2019, par Etienne.

Voilà un texte paru dans le "Le Bec", bulletin crestois d’unformation.

Texte éclairant à plus d’un titre : on y entend un pasteur s’autorisant à écrire à peu près n’importe quoi sur les Gilets jaunes, avec l’autorité que donne l’ignorance de celui qui n’a jamais mis les pieds sur un rond-point.
Alors on enfile les poncifs comme des perles sur un collier avec l’air de savoir.

Au nombre des poncifs qui ne font pas honneur à ceux qui les profèrent, mais constituent une injure à la culture, ce jugement : « Les gilets jaunes sont incapables de s’organiser ». Alors que sous nos yeux, se cherche, s’organise une nouvelle démocratie, les « zélites » ne voient rien venir et ne comprennent rien. L’énorme effort d’élucidation, de construction politique et conceptuelle, qui aujourd’hui traverse les Gilets jaunes leur échappe en totalité. Comme si la République s’était construite en un jour. Comme si les gilets jaunes étaient trop bêtes pour analyser, comprendre, proposer. Entre Rousseau et la première république, combien d’années ?

L’auteur n’évitant décidément aucune idée reçue prend Robespierre comme épouvantail. Robespierre ! la Terreur ! C’est oublier que la violence qui a fracturé la mâchoire de l’Amiénois est venue de la réaction girondine. C’est oublier que Robespierre s’était prononcé contre la guerre. Guerre extérieure qui assaillait notre pays de toute part. Guerre intérieure, guerre civile aussi, fomentée par les bourgeois et l’aristocratie.

Guerre qui à tout prendre a fait moins de mort que la misère et la disette des campagnes dont les guerres royales et les dépenses somptuaires des monarques et des parasites aristocrates étaient la cause.

Pour faire bonne mesure, on cite aussi Voltaire. Voltaire ? Oh certes, il défend la liberté de commercer, mais aussi l’esclavage. Il fera sa fortune sur la spéculation.

Trop souvent, sous la plume des « zélites » se glissent des références contre-révolutionnaires. La contre-révolution serait l’état normal de la République, la révolution une sorte de maladie. C’est tout le contraire : notre héritage est d’abord révolutionnaire. C’est la grandeur, l’essence, d’un peuple libre. De sorte qu’il devrait s’attacher quelque forme d’opprobre à des jugements dépréciateurs de l’élan et du printemps créatif révolutionnaire. Notre pays est d’abord révolutionnaire : voilà sa force !

Encore un dernier point : le texte réfère à plusieurs reprises à la dichotomie corps/esprit. Or l’erreur fondamentale des religions du livre est justement cette dichotomie. Dichotomie que les sciences de la modernité balaient tout à fait, comme sans fondement. On cite Ellul : c’est bien. Il faut compléter par Charbonneau, et son texte sur la détestation de la nature par l’homme qui renvoie effectivement à la détestation de son propre corps.

Que dit ce texte au fond, au-delà des gilets jaunes, sinon que tout l’appareil culturel et conceptuel de la modernité constitue un cul de sac évolutionniste, plein d’idées périmées devenues mortifères ?

Samuel Amédro, ancien pasteur à Crest, nous parle de la colère des gilets jaunes en la comparant à celle de Jésus de Nazareth. Voici un extrait et la version intégrale.

Les « sans-culottes » sont dans la rue. Il ne faut voir aucune connotation dépréciative dans cette manière de les désigner mais voilà, la France éruptive exprime une fois de plus sa colère. 1789, 1830, 1848, 1871, 1936, 1968, 1995… Ce n’est donc pas la première fois. Mais aujourd’hui, quelle cause défendent-ils au juste ? Le droit de tout casser ? Le droit de piller des magasins ? Le droit de tabasser des policiers et de brûler des voitures ? Le droit de remettre en question des élections démocratiques ? Le droit de ne plus payer d’impôts pour arrêter de payer les infirmières, les professeurs des écoles, les études gratuites et les policiers ? Le droit d’augmenter notre pouvoir d’acheter toujours plus d’objets manufacturés en Chine ? Le droit de payer l’essence moins cher pour détruire notre planète plus vite ? La colère s’est déchaînée hier, ici même, dans notre rue, dans notre quartier. Rien ne semblait pouvoir la contenir.
Le texte : Jésus aussi était un homme révolté, un homme en colère. Il suffit de lire ce récit troublant de Jésus confectionnant un fouet avec des cordes, renversant les tables, et jetant l’argent pas terre. Rien à voir avec le petit Jésus doux, sucré, tout miel, tout en douceur qu’on raconte aux enfants à Noël. Non, Jésus était un homme révolté et il en est mort ! C’est ce que je lis dans la Bible. Et cela me trouble beaucoup aujourd’hui. Ne pensez-vous pas qu’il y a quelque chose qui sonne faux et de presque indécent à prêcher l’amour et la tendresse de Dieu alors que le monde créé gémit et souffre comme une femme qui accouche pour reprendre l’expression de l’apôtre Paul (Romains 8,22) ? Nous devrions relire les invectives de Jésus dans le chapitre 23 de l’Evangile de Matthieu : « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! Vous fermez la porte du Royaume des cieux devant les hommes, vous n’y entrez pas vous-mêmes (…)
Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! Vous prenez aux veuves tout ce qu’elles possèdent et, en même temps, vous faîtes de longues prières pour paraître bons. (…) » Plus de 10 fois, Jésus va les maudire : « Malheur à vous… » Ne devrions-nous pas nous mettre parfois en colère nous aussi ? Ne rien dire, ne rien faire, n’est-ce pas accepter que des situations intolérables se perpétuent, n’est-ce pas déjà de la compromission voire de la lâcheté ? Mais il y a une différence majeure entre Jésus et nos indignations. La colère de Jésus ne prend jamais sa source dans sa propre souffrance ou dans le mal qu’il a lui-même subi. Jésus ne se venge jamais. Nous, par contre, nous nous mettons en colère parce qu’on nous a fait du mal, à nous ou à nos proches. Notre sensibilité à la justice est directement branchée sur la souffrance qui nous a été infligée. Et partant de là, nos colères sont sélectives parce qu’elles trouvent un écho au plus profond de nous-mêmes. Nous nous sentons touchés là où ça fait mal. Jésus ne s’insurge jamais du mal qu’il subit et même sur la Croix, il n’en appelle pas à la colère mais au pardon : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ! » (Luc 23,34). Il s’insurge du mal subi par les plus fragiles, les plus vulnérables, les plus ignorés des humains : « Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu ? Tu avais donc faim et soif, tu étais un étranger, tu étais donc nu, malade ou en prison ? Quand donc ? Ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ! » s’insurge-t-il. Alors, ces gilets jaunes qui ont laissé libre cours à leur colère hier, font-ils, oui ou non, partie de ces plus petits de nos frères, dont parle Jésus ? Pas facile de répondre à cette question. Ni des « petites gens », ni « France laborieuse », ni purement ultra-droite, ni vraiment extrême-gauche, nos « sans-culottes » échappent à toute velléité de catégorisation. Incapables de se structurer eux-mêmes, personne n’est en mesure de les représenter et de parler en leur nom. Il est d’ailleurs heureux qu’aucun leader ne puisse y prétendre : il ne manquerait plus qu’un Robespierre à la tête de ces sans-culottes-là pour nous assurer d’une belle période de Terreur… Un point commun cependant : ces personnes sont en colère parce qu’elles n’en peuvent plus de se sentir coincés, paralysés, impuissants. A tort ou à raison, ils se sentent dépossédés de leur capacité de prendre en main leur propre vie. Qui le leur reprochera ? Ils se croient les jouets de forces qui leur échappent, de complots ourdis dans des cabinets noirs. Ils se pensent manipulés de toute part. Qui leur en fera grief ? Faisant feu de tout bois, ils cherchent un coupable et chacun en prend pour son grade : l’Etat, les impôts, La colère des gilets jaunes le président, les journalistes, les radars, les étrangers, les commerçants, les riches, etc. Comment ne pas penser à cette histoire du paralytique qui ouvre l’Evangile de Marc : Quelques jours après, Jésus rentra à Capharnaüm et l’on apprit qu’il était à la maison. Et tant de monde s’y rassembla qu’il n’y avait plus de place, pas même devant la porte. Et il leur annonçait la Parole. Notons au passage l’engouement que provoque une annonce pertinente et appropriée d’une Parole de Dieu… Mais arrivent des gens qui lui amènent un paralysé porté par quatre hommes. Et comme ils ne pouvaient l’amener à cause de la foule, ils ont découvert le toit au-dessus de l’endroit où il se tenait et, faisant une ouverture, ils descendent le brancard sur lequel le paralysé était couché. Voyant leur foi, Jésus dit au paralysé : mon fils, tes péchés sont pardonnés. Je crois, moi, que le péché d’aujourd’hui prend justement cette forme de paralysie qui immobilise la vie de tellement de nos contemporains. Il me semble que beaucoup se sentent coincés, paralysés par la peur devant la violence du monde tel qu’il va, le sentiment d’impuissance et d’écrasement devant tout ce qui nous échappe, le ressentiment et la colère devant la réussite de quelques-uns vécue comme une injustice insupportable. Et je me demande aussi s’il n’y a pas un rapprochement à faire entre le sentiment de frustration de nos gilets jaunes et celui des partisans d’un Donald Trump, d’un Victor Orban, d’un Mattéo Salvini, d’un Jair Bolsonaro ou du Brexit. J’ai l’impression que leur réaction est similaire face aux grands enjeux de notre monde. Pour ma part, je discerne trois causes différentes qui se conjuguent pour produire ce sentiment de paralysie et de frustration.

1. Quel avenir pour notre terre devant l’urgence écologique ? Je pense ici aux analyse d’un philosophe qui s’appelle Jean-Pierre Dupuy[1] qui souligne notre aveuglement : nous connaissons parfaitement les enjeux et les risques mais nous refusons d’y croire. On parle « fin du monde », ils répondent « fin du mois ». Pendant ce temps, nous constatons tous la recrudescence des catastrophes naturelles, des sécheresses, des inondations, des tempêtes de plus en plus fortes… Et comme toujours les plus fragiles sont les premières victimes.

2. Quel avenir pour une humanité dominée par la technique ? Dans un mouvement conjoint, on assiste à l’humanisation des machines et machinisation de l’humain. Il faut relire les intuitions géniales d’un Jacques Ellul[2] qui ne cessait d’alerter sur la volonté de toute-puissance de la technique devenue une idole en ce qu’elle revendique de porter en elle-même son sens et sa propre finalité au point d’échapper à toute délibération démocratique voire à toute critique. Je veux parler ici du Big Data, du Transhumanisme et de l’emprise des GAFAM. Là encore les plus vulnérables restent sur le bord du chemin.

Quelle place pour l’humain dans un monde globalisé sans limite ni frontière ? Une infime partie de l’humanité vit la globalisation du monde comme une chance, une opportunité de s’enrichir, de tirer son épingle du jeu. Mais l’immense majorité la subit comme un danger voire comme un malheur. En miroir deux catastrophes se répondent et s’affrontent : la migration et le nationalisme. L’une et l’autre sont construits sur le ressentiment et la jalousie. Les migrants revendiquent avec force et violence leur droit à prendre leur part d’un gâteau que nous refusons obstinément de partager avec eux (la migration n’étant qu’un fruit amer de la mondialisation, elle-même fruit amer de la colonisation). Les nationalistes revendiquent avec autant de force et de violence leur droit à protéger autant leurs richesses que leur identité qu’ils estiment en danger. Et à chaque fois tellement de ressentiment, de colère et de peur de l’avenir… Une planète en danger de surchauffe, une technique folle qui prétend contrôler le vivant et une mondialisation sauvage qui écrase les plus vulnérables. Il suffit d’ouvrir les yeux et les oreilles pour entendre la colère des gilets jaunes, totalement paralysés entre, d’un côté, un sentiment d’écrasement, de sidération et d’impuissance et de dépossession (qu’est-ce que j’y peux moi face à la mondialisation, face à l’emprise de l’informatique, face au réchauffement de la planète ?) et, de l’autre, un sentiment de colère, d’injustice, de frustration, de ressentiment face aux coupables (les étrangers, l’Europe, les banquiers, le gouvernement, les journalistes…) Nous sommes rentrés dans l’ère du soupçon et de la méfiance. Les gilets jaunes sont les enfants du désespoir, de la catastrophe nihiliste. Est-ce qu’il y a encore un avenir ou une espérance ? C’est très exactement la forme que prend le péché aujourd’hui. Le sentiment de dépossession de soi et la désespérance. Notre monde est entré en dépression, entre haine de soi et détestation des autres. Faut-il parler de « chienlit » pour reprendre le mot du Général de Gaulle et exiger de l’Etat qu’il force le fleuve en crue à rentrer dans son lit ? Faut-il au contraire « entendre » les multiples revendications, autrement dit, y répondre concrètement pour apaiser la colère qui gronde et acheter la paix sociale ? Deux visions de la liberté s’affrontent ici. Il y a la manière forte, pour affirmer à la Saint-Just : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » en exigeant de poser aussi vite que possible une limite aux débordements. Et il y a la voie plus libertaire, à la Voltaire, qui disait : « Je désapprouve ce que vous dites mais je défendrai jusqu’à la mort votre droit de le dire. » Mais l’une comme l’autre de ces attitudes ne répondront pas à la question de fond parce qu’elles ne sont pas créatrices d’espérance. Et puis, il y a la parole de l’apôtre Paul qui nous fait entendre une tout-autre voix : « Vous avez été appelés à la liberté ; seulement, que cette liberté ne devienne pas un prétexte pour la chair ; par amour, mettez-vous plutôt au service les uns des autres. » (Gal 5,13) Sans doute nous est-il donné de suivre un autre chemin qui ne passe ni par la répression ni par le laisser-faire. Soyons clairs : Si vous vous mordez et si vous vous blessez les uns les autres, attention, vous allez vous détruire. Non plus les uns contre les autres pour défendre chacun nos intérêts mais ensemble parce que nous avons un destin commun. Et nous au service des uns et des autres pour les aider à se remettre en route. Pour que les uns et les autres puissent prendre leur natte et rentrer chez eux, libres, guéris, debout, ressuscités. N’est-ce pas une réorientation radicale qui ne peut être que le fruit de la liberté ? Luther disait : Le chrétien est l’homme le plus libre. Maître de toute chose, il n’est assujetti à personne. L’homme chrétien est en toute chose le plus serviable des serviteurs, il est assujetti à tous.[3] Si je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous devez vous aussi vous lavez les pieds les uns les autres : car c’est un exemple que je vous ai donné : ce que j’ai fait pour vous, faites-le, vous aussi. (Jean 13,14-15) Puissent les gilets jaunes sentir que l’Etat est aussi à leur service. En attendant, puissent ceux qui souffrent et sont en colère sentir qu’il y a des gens qui disponibles pour les aider sincèrement, gratuitement. C’est le meilleur pansement qui puisse être posé sur leur colère. Si quelqu’un veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur, et si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit votre esclave. C’est ainsi que le Fils de l’homme est venu non pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude (Matt 20,26-28) L’Esprit de Dieu fait de nous ses enfants, héritiers du Père, et dans le même temps, serviteurs les uns des autres. L’Esprit de service, l’amour du prochain, l’humilité et la soumission mutuelle : voilà le test et le défi dans notre vie comme dans l’Eglise. C’est à la fois un test qui nous permet de discerner si notre vie est sous la domination de la chair ou sous l’impulsion de l’Esprit. Et c’est en même temps un immense défi devant nous. La véritable Eglise est l’Eglise servante. Au service du plus vulnérable pour les remettre debout. Vous êtes, dit Jésus, des agents propagateurs de ma résurrection, et à ce titre, créateurs d’espérance. Vaste programme aurait dit le Général…


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