Festival ” A part ça, tout va bien”, débat sur les mouvements sociaux, leurs répressions policières et le traitement médiatique

mardi 15 janvier 2019, par janek.

Ce week-end, en soutien aux inculpé-e-s de Valence, le festival “A part ça, tout va bien ” se tenait à Saillans dans la Drôme. L’occasion pour nous de vous raconter comment la lutte, là-bas, se joue dans les sourires et la solidarité !

Le soleil allume la montagne en ce samedi midi. Les Alpes, en arrière plan du village de Saillans, font un clin d’oeil aux frontières qu’ici, on dépasse. Il fait froid. Stéphane, l’un des quatre inculpé-e-s de Valence, nous accueille au détour de la rue principale. Il est, avec ses camarades, en train d’organiser la journée, au café associatif ” l’Oignon”, en face de ses bureaux, tout près de l’église. Il nous faut descendre un peu plus bas, pour accéder à la salle des fêtes où un repas vegan est proposé. L’occasion de recroiser Sylvain, les confrères de Ricochet ou encore de radio RDWA. A quelques minutes près, le programme commence à l’heure. J’ai rendez-vous avec les médias alternatifs du coin qui m’ont gentiment invitée à participer à notre éternel casse-tête sur l’indépendance médiatique. La Tâche d’Encre, Radio Saint Férréol, Radio DWA, Ricochet débattent sur la question de neutralité et le positionnement des médias concernant les mouvements sociaux, et notamment celui des Gilets Jaunes. Durant deux heures, l’échange très courtois n’amène pas de conclusion, mais chacun semble-t-il, avance grâce aux expériences des autres.

Le Grand débat, selon Saillans

A 16H, le Grand Débat,(pas celui proposé par Macron) commence. Au milieu de la pièce, Stéphane et Maria, Inculpé-e-s de Valence, Juan faisant partie des 7 de Briançon, Fabrice, syndicaliste et Mathieu journaliste à CQFD. Ils interviennent pour donner leur avis sur la montée de la répression policière. Fabrice, syndicaliste à Sud Culture fait partie de la coordination anti-répression policière, qui regroupe des associations et des syndicats. Très vite, Fabrice rejoint la Legal team, chargée d’observer les violences. Nous sommes en octobre 2016. Sous l’Etat d’Urgence, tout monte d’un cran, notamment durant les manifestations contre la loi travail. La répression s’abat plutôt, selon ses observations, dans les quartiers populaires et sur les militants. En parallèle, de nouvelles lois sont votées, un arsenal juridique tel, qu’en enlevant l’Etat d’Urgence, on garde les mesures de l’Etat d’Urgence, désormais inscrites dans la loi ! Fabrice fait aussi de la pédagogie en informant sur les droits durant une Garde à vue ( garder le silence, refuser la comparution immédiate…). Fabrice fait aussi le suivi des interpelés, lors de leur procès et de leur appel. En 2016, il s’agit plutôt de comparution immédiate. En 2017, on durcit la détention, notamment en appliquant la préventive ( rester en prison en attendant son jugement). Mais depuis 2 ou 3 mois, Fabrice et sa coordination sont formels : On voit apparaître des peines très lourdes, d’emprisonnement ferme. En 2 mois ( depuis novembre 2018), plus de 5000 interpellations et plus de 200 personnes incarcérées.

Juan, un des 7 de Briançon

Juan, lui, n’est pas vraiment le héros des 7 de Briançon, ce jour-là. Le chien qui l’accompagne, a sauvé des migrants en les sortant de la Montagne, en leur indiquant le bon chemin. L’animal demande des caresses à tous, pendant le débat. Son maître, Juan, a pris 12 mois de prison dont 4 fermes. Son délit ? Une marche solidaire pour protester contre les violences commises par les groupuscules identitaires sur les migrants et la militarisation de la frontière franco-italienne. Juan tient ici à dénoncer des faits intolérables perpétrés par la police. “ Tu ne peux pas te défendre contre la police, mais je vous l’assure, les forces de l’ordre dépouillent les réfugiés. Mais nous restons solidaires à la Montagne. Ne parlons plus de Black Bloc, mais bien de BAC Bloc, c’est la BAC qui commet des violences ! Elle a récolté un trésor en volant les réfugiés…Une vraie caisse noire !” Juan dénonce la responsabilité des médias dans cette affaire. Des médias qui ne parlent pas des violences policières, qui ne parlent pas des drames qui se déroulent à la frontière. “ On chasse les réfugiés comme du gibier.” Après un petit silence, et un sourire au coin, Juan termine par une petite phrase, au cas où, nous n’aurions pas compris : ” On a des problèmes avec la police, on avoue.” Rires dans la salle.

De la responsabilité des médias mainstream

Stéphane, plutôt que revenir sur son affaire, fait un peu d’éducation aux médias. Il raconte d’abord sa sortie du tribunal, tous les micros et caméras braqués sur lui, et en passant des morceaux enregistrés, démontre tous les mensonges étayés par la presse. ” Dire que le chef de la police a pris plus de 7 jours d’ITT alors qu’il en a pris 3, ça change la donne dans une condamnation, alors merci le Dauphiné Libéré !” Nous écoutons ensuite, un extrait de BFM qui parle d’un rond-point occupé depuis 3 semaines, de jets de projectiles, totalement inventés. Puis Stéphane explique que, France inter, alors que le délibéré n’a pas encore été prononcé, dans son journal de 18h, du 26 décembre (jour du procès), explique que les accusés se sont excusés (faux), et reprend point par point le réquisitoire du procureur sans parler de la défense, si ce n’est qu’ils ont un casier vierge. Ainsi, les 4 accusés sont considérés comme des bouffeurs de Flics. Sur France Bleu, on dit même que les accusés ont reconnu les faits. Or, Stéphane et Maria le redisent : ils n’ont jamais frappé le chef de la police. Malgré une demande, aucun droit de réponse ne leur a été accordé.

BFM dira même que la salle a applaudi au moment du verdict, ce qui est faux. Alors une femme dans l’assistance se lève et dit ” eh bien, nous, nous allons vous applaudir, vous, et maintenant.” la salle entière se met à frapper dans les mains, arrachant quelques larmes à Stéphane.

Depuis ce flagrant délit de désinformation des massmédias, le groupe a mis en place son propre auto-média, en amenant l’information, notamment en direction des médias libres. Stéphane a même voulu remercier le travail des médias alternatifs au micro de BFM, évidemment coupé au montage !

Mathieu du mensuel CQFD

Mathieu, qui collabore au mensuel CQFD tient, quant à lui, à parler de la crise que la presse traverse actuellement. Il estime qu’au début, les médias étaient plutôt bienveillants sur le mouvement des Gilets Jaunes. En tant que poujadiste libéral, un Eric Brunet sur RMC et BFM assurait qu’effectivement, nous sommes trop taxés en France. Mais lorsque le mouvement en est venu à questionner les inégalités sociales, on a senti la fracture et le raidissement symptomatique de la presse, de la justice et de la police. Alors, on a basculé sur les séquences de violence “ sur la plus belle avenue du monde“. Eric Zemmour qui est plutôt favorable au RIC, notamment pour la remise en question du mariage pour tous, parle depuis peu de “ guerre civile”. Certains éditorialistes, sur France Info iront même jusqu’à dire ” que les journalistes ont le rôle de ne pas pousser dans le chaos” . Mais Mathieu appelle malgré tout à faire attention à l’amalgame entre les éditocrates et les journalistes de terrain. Cette crise des médias a une vertu considérable : elle permet aux médias libres de prendre leur place dans les mouvements sociaux en tant que contre-pouvoir.

Maria, et la prison pour femmes

Maria, quant à elle, prend la parole pour parler des conditions d’enfermement en prison pour une femme. Elle parle du choc carcéral. Dans la prison de Lyon où elle a été incarcérée, elle a pu entrevoir la modernité qui donne moins de place au personnel. Un monde déshumanisé. Alors Maria se décide à une étude sociologique. Elle prend conscience que plus de 50% des femmes en prison sont issues de l’Europe de l’Est, des Dom-Tom ou du Maghreb. “ En aucun cas, représentatif des femmes en France“. Maria n’a donc pas le profil, entend-elle. ” Car il y a un profil type de femmes en prison !” Maria raconte la solidarité entre détenues. “ Bichette“, ” Poulette“. On partage ses bonbons, et ses clopes. Mais Maria veut aussi raconter que les femmes sont beaucoup plus seules en prison. Car, leurs hommes, leur famille les abandonnent quasi systématiquement. Elles sont nombreuses à ne plus avoir de nouvelles de leur amoureux, une fois derrière les barreaux. Certaines n’ont même plus de nouvelles de leurs enfants. “ Les conjoints ne font pas l’effort d’amener les enfants voir leur mère. L’inverse n’est pas vrai. Les femmes rendent visite à leur mari incarcéré, font perdurer le lien avec les enfants.”

En garde à vue pour un déodorant dans son sac

Dans la salle, nombre de personnes prennent la parole pour témoigner. On parle de la vraie violence, celle de l’Etat, du risque désormais d’aller en manif où on peut finir éborgné, une main arrachée ou ne prison. Un jeune homme prend la parole pour dire qu’il ne faut plus avoir peur de la prison, que désormais elle fait partie de nos chemins potentiels à partir du moment où l’on manifeste, même pacifiquement. Un lycéen raconte avoir fait de la garde à vue parce qu’il avait un déodorant dans son sac et finit ainsi son intervention ” Les gardiens de la paix ne méritent pas cette dénomination“. Car tous en sont convaincus, à force de violence, on ne peut atteindre le silence et le calme.

Le festival se termine entre projections et concerts, à travers les sourires et les discussions entre inconnus qui s’apprivoisent. Plus d’un millier de personnes dans le week-end, sont venus danser, écouter, parler, regarder, interroger. Tous, d’une manière très positive. Sans violence. Sans colère. Parce que ce serait perdre que de perdre l’amitié, la fête, et le sourire. Parce qu’ici, à Saillans, plus qu’ailleurs, on sait que la solidarité est une arme de destruction massive. Légale, en plus. Et qu’on en fera longuement usage tant les recharges semblent là, illimitées. Et puis, parce que l’injustice a frappé l’un des nôtres, on le relève en dansant et en trinquant sur le fait qu’il ne tombera plus. Parce qu’ici, il fait froid mais beau. Ici, La montagne n’est pas une frontière. Ici, le jus de pomme est bio, et le paquet de tabac à disposition. Ici, on filme la vie, on joue de la fanfare dans les rues, on lance des avions en papier, on se serre dans les bras.

Alors oui, à part ça, tout va bien…


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