En marche vers le transhumanisme !

Manifeste des Chimpanzés du futur contre le transhumanisme

dimanche 28 janvier 2018, par Etienne.

Une des tares de l’espèce humaine, relevée par nombre de psychologues ou cogniticiens, est l’impossibilité à se projeter dans le temps long. Cette capacité limitée à envisager le futur lointain ne posait aucun problème quand les actions humaines n’avaient qu’une portée restreinte sur l’environnement et le destin des phénomènes.

A l’heure de l’anthropocène – aujourd’hui par exemple, les prélèvements humains annuels de sable sont supérieurs à la masse des limons déposée par l’ensemble des fleuves de la planète – alors que l’impact des activités humaines et les énergies mises en œuvre sont considérables, la reconnaissance de cette limite cognitive fera le départ, très vite, entre mort de l’espèce et survie. Méfions-nous de l’optimisme : il n’est souvent que le revers de l’ignorance.

Au nombre des dangereuses utopies pathologiquement optimistes, nommons sans hésiter l’intelligence artificielle et sa parèdre : le transhumanisme. Selon un récent rapport de l’OCDE, 75 % des emplois seront remplacés par des robots ou automates dans les toutes prochaines décennies. Voilà au fond l’ambition du transhumanisme et de l’intelligence artificielle : remplacer l’homme, le rendre obsolète. Telle est la thèse du « Manifeste des chimpanzés du futur [1] », opus récemment édité par le collectif grenoblois « Pièces et main d’œuvre », qui analyse les ruses et les ressorts de cette monstrueuse utopie, héritière directe du nazisme.

L’homme, parce qu’il est imparfait, doit se transformer et s’augmenter. Pas par l’éthique, pas par la politique, ces instances humaines supérieures, mais par l’une des plus frustre de ses capacités : la technologie. A quoi servent nos sens, s’interrogent les transhumanistes ? Ils sont si limités ! De la lumière nous n’apercevons qu’une fraction du spectre. Pourquoi ne pas greffer sur nos cerveaux des modules capables de voir dans l’ultra-violet ou dans le domaine gamma ? Problèmes de comportement, hyper-activité, violence ? Un implant judicieusement placé dans le cerveau réglera l’humeur de vos enfants, redressera les déviants. « Présentez les choses sous l’angle de la santé », conseille l’une des promotrices de ces techniques perverses, « c’est la meilleure manière d’emporter l’adhésion [2]".

Ainsi Elon Musk, patron de SpaceX, qui veut envoyer une poignée de désaxés asociaux vers Mars (qui, sinon des désaxés asociaux, choisirait volontairement l’exil ?) investit-il parallèlement dans l’élaboration d’interfaces vivant/silicium [3]. Oh, certes, de tels développements rendront peut-être un jour l’usage de leurs jambes aux paralytiques, bien plus efficacement qu’à Lourdes. Mais ils feront d’eux également, des clients captifs de leur fournisseur de prothèse, dépendant de ses mises à jour logicielles. Gare aux mauvais payeurs. Quinze jours de retard dans le paiement des traites : pof, te revoilà quadraplégique !

Mais ces technologies permettront également de créer de super robots soldats, mi machines, mi humains, ignorant la peur, la fatigue, la pitié, ou bien encore des travailleurs inusables, passifs, doux comme des agneaux…Dolly [4]. L’utérus artificiel, marotte sinon bébé d’Heny Atlan [5]
permettra leur production en série, sans les contraintes de devoir en passer par une génitrice, toujours susceptible de développer envers sa progéniture cet obscène et archaïque sentiment qu’on appelle l’amour. Nés d’une machine, loin de tout affect polluant, nul doute que ces pseudo-humains seront des monstres de froideur mécanique, incapables d’empathie, tuant ou torturant sans états d’âme.

D’autant que grâce au génie génétique, on pourra à loisir doter ces bio-robots de capacités inédites, d’une force musculaire incroyable, de sens augmentés, de résistance aux toxiques qui leur permettront de traverser sans encombres des champs de batailles couverts de cadavres empoisonnés par le glyphosate (euh, pardon : je voulais dire « agent orange »). Ordre et progrès. Les Chimpanzés du futur le démontrent avec précision et clarté : le transhumanisme n’est nullement un humanisme, tout au contraire.

Il n’est que le faux nez, le dernier développement de l’obsession humaine de jouir sans entraves, fût-ce au prix de l’aliénation collective générale. A l’exception bien sûr de la poignée contrôlant les moyens de production des mécano-zombies, des bio-calculateurs et des nano-machines capables de s’infiltrer partout, tout surveiller, tout contrôler.
Se présentant comme l’acmé du progrès, le transhumanisme et l’intelligence artificielle ne sont au fond que l’expression moderne de la vieille pulsion archaïque que chacun d’entre nous nourrit et que sociétés et cultures viennent tempérer, pacifier, domestiquer.

Nous avons en effet tous ce regret de l’enfant intérieur, du bébé que nous fûmes, aux désirs duquel le monde apportait instantanément ou presque satisfaction : un pleur et le soma chaud et sucré coule dans la bouche ! Ce fantasme régressif, tous les humains, parce qu’ils furent bébés, le partagent peu ou prou. Mais seuls quelques hommes le réalisent : les dictateurs, les hyper riches, les mafieux [6] auxquels rien ne doit résister sous peine de répression, de prison, de mort.

Le transhumanisme n’est que l’avatar moderne de cette passion morbide, archaïque et régressive, involutive et égotiste, par laquelle chacun souhaite plier le monde et les autres à sa volonté. Or tel est bien le ressort fondamental du capitalisme : maximiser le profit, la jouissance narcissique. Il faut de fait d’énormes capitaux pour développer des technologies morbides. Qui les possède, sinon les détenteurs du capital ? Qui investirait contre ses propres intérêts ? Capitaux qui n’ont pu s’accumuler que par défaut de démocratie et visent à l’éradiquer définitivement, pour être l’antithèse de leur soif de jouissance et de pouvoir.

Ainsi, prétendent les Chimpanzés du futur, le transhumanisme, l’intelligence artificielle, la convergence biomachinique, la transgenèse, la geoingénierie, et autres perversions, ne représentent nullement un sommet de l’intelligence humaine, mais bien au contraire son naufrage, sa capitulation régressive devant une pulsion archaïque et asociale. Celle-là même qui fonde le capitalisme. Sursaut dans l’impasse des élites mondiales pour préserver leur domination, maintenir le taux de leur profit. Une histoire d’hormones reptiliennes donc, sous les traits de la modernité !

L’homme hait sa propre conscience. Elle le rend libre. Mais cette liberté se paie du prix d’une douleur, inexpugnable. L’homme abhorre sa nature pétrie de tragique (Charbonneau, Anders, Ellul, ou bien encore le « Sarvam dukhâm » hindo-boudhiste : tout est douleur). Voilà pourquoi le psychanalyste Erich Fromm écrit-il qu’un seul homme peuplait l’Allemagne à la fin de la seconde guerre mondiale : Hitler. Tous les autres n’étaient là que pour le servir, irresponsables et sans état d’âme, comme le montra crûment le procès de Nuremberg, sous la plume d’Hannah Arendt. Serf irresponsable et écervelé : voici la condition de l’homme moderne !

Homme moderne, qui parce qu’il est technologiquement puissant, mais moralement et métaphysiquement infirme, n’accepte plus le tragique de sa condition. « To be or not to be ? » Les élites délirantes choisissent la mort, celle au moins de la conscience, plutôt que la liberté, et ses corollaires de douleur et de responsabilité. Elles reprennent muettes la devise franquiste « Viva la muerte ». Le termite est l’avenir de l’homme. Voilà au fond le vrai projet du transhumanisme.

Au sein de l’immense nœud gordien des idées confuses, au milieu de cet enchevêtrement d’idées modernes déracinées où le bon sens sombre, il existe pourtant certaines pistes, certains fils précieux, que le philosophe René Girard tire depuis le temps très long. L’humanité connut, écrit Girard, penseur de la catastrophe, plusieurs crises polymorphes, à la fois morales, politiques, économiques, sociales, cognitives. Les traditions nous en fournissent l’écho : l’abandon des sacrifices humains, par exemple, (la parabole d’Abraham, refusant de sacrifier son fils et le remplaçant par un bouc) marque une révolution de l’image que l’homme se fait de lui-même. Tous partagent une même nature.

L’invention du Talion, toujours selon Girard, est autre pivot de l’histoire morale et politique humaine. En proportionnant la peine au crime commis, elle met fin à l’instabilité sociale sans fin que provoquaient les vendettas. Et si Girard ne les mentionne pas, il faut certainement ajouter à cette liste, l’invention du feu, de l’Etat, de l’agriculture, de l’écriture, qui place le concept au centre de l’entendement, comme un filtre entre le monde et nous, filtre certes efficace, mais perte néanmoins de clarté de d’immédiateté, sans possibilité de retour. De ces crises, nous sommes les survivants.

Survivrons-nous ? Rien n’est moins sûr. La parabole d’Abel et de Caïn évoque probablement, d’une manière ultra-elliptique, la transition entre pastoralisme et agriculture et les guerres sans merci que durent se livrer des siècles durant éleveurs et cultivateurs, conflits qui d’ailleurs se prolongent toujours, au Sahel notamment. Mais alors les guerres se faisaient à l’arme blanche. On tuait dans l’effort, face à face, à grands risques, un par un. La modernité est nettement plus efficace : la bombe atomique, bien sûr, mais aussi l’empoisonnement général du vivant par les manipulations génétiques, qui détruisent des équilibres infiniment fins et complexes que la vie établit au long de milliers de siècles, dont le grossier entendement humain n’est que le bas produit. Prométhée se nourrit d’orgueil, dont le terreau est l’ignorance, fût-elle savante.
Faut-il désespérer ?

C’est l’attitude la plus sage, la plus optimiste. L’acculement est notre dernière chance. Car à part la destruction imminente du monde et de l’homme par la technique et le progrès, « tout va très bien Mme la marquise ».

Voir en ligne : Les Chimpanzés du futur « disruptent » (ainsi bêle-t-on en novlangue enmarchienne) une messe transhumaniste

Notes

[1Manifeste des chimpanzés du futur, Pièces et main d’œuvre, Editions Service compris BP 27, 38172 Seyssinet Pariset.
L’ouvrage est disponible à la bibliothèque de Crest (26)

[2Aubrey de Grey, l’un des « évangélistes » du transhumanisme. « Evangéliste » est le terme significatif employé par la secte transhumaniste

[3Elon Musk est aussi le fondateur de PayPal, de Tesla Motors, et de Neuralink, qui vise la convergence neurone/silicium

[4Dolly est la première brebis transgénique

[5Henri Atlan, médecin biologiste, fut membre du comité consultatif d’éthique ! Pour paraphraser Huxley - la liberté c’est l’esclavage - l’éthique est désormais l’amoralité

[6De ses humains, monstrueusement narcissiques et immensément pervers, Roberto Saviano peint un portrait saisissant dans son Gommora, tandis que l’économiste Friedrich Hayek, muse de la Dame de fer, s’en fait l’avocat qui considérait que dès lors qu’existent des marchés pour les drogues ou le trafic humain, il n’y a pas de raison de s’y opposer, sans quoi on limite la liberté personnelle.


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