« Be’ jam be, et cela n’aura jamais de fin » - vu à Ad Hoc

Un documentaire beau et terrible sur le peuple Penan à Bornéo, et quelques réflexions

samedi 8 septembre 2018, par Camille Pierrette.

Jeudi 6 septembre, j’ai assisté à la projection du film documentaire « Be’ jam be, et cela n’aura jamais de fin », aux rencontres Ad Hoc.

Ce film est bien fait, impressionnant, sensible, c’est une plongée dans une autre culture
, au coeur de la forêt vivante, parmi les arbres, les palmiers, les peuples Penan et les oiseaux.

C’est aussi un film terrible, terrifiant, qui montre un peuple en cours d’éradication par la destruction programmée de cette forêt primaire du Sarawak qui était encore intacte (une des dernières du globe).

BEJAM BE et cela n’aura pas de fin. (bande-annonce FR)
par [DAWAI DAWAI->https://vimeo.com/dawaidawai]
https://vimeo.com/260969417

Ce peuple fait partager la vie du territoire forestier où il habite, et il raconte par le chant la destruction et la répression sur ce territoire. Dans un chant poignant, parfois proche du rap, un Penan nous raconte leur calvaire et celui de la forêt vivante.
Un dictateur local, Abdul Taib Mahmud, s’enrichit en vendant les forêts à diverses compagnies étrangères, qui font des coupes rase, plantent des palmiers à huile, et détruisent tout.
Les Penan sont méprisés, égorgés par des milices para-militaires, ignorés, tout comme les autres vies de la forêt.

- Site web du film

Dans ce chant déchirant, les Penan appellent à l’aide, nous interpellent directement.
Ils disent leur refus profond de la civilisation industrielle, ils ne veulent pas d’argent, ils veulent continuer à vivre avec la forêt, tranquillement.
Ils affirment l’évidence : on ne peut pas vivre sur la lune, la vie s’ancre dans la terre vivante.

Mais l’appât du gain et les rouages de la civilisation industrielle dans lesquelles nous civilisés sommes coincés, plus ou moins consentants, exigent toujours plus de matières premières volées partout dans le monde, de destructions, d’exploitations, de mises à mort, de viols et de pollutions.
Les Penan et les forêts primaires sont détruits pour que des riches puissent s’enrichir, pour que des yachts de luxe polluent les mers, pour que les paquebots et des avions low cost distraient les masses en détruisant des spots touristiques, pour que nos achats de quantités astronomiques de produits jetables nourrissent le capitalisme et les possédants, pour la croissance, la « création » d’emploi, nos fausses libertés et sécurités, nos gadgets, nos illusions de développement durable, nos énergies « vertes » qui font durer le système et ajoutent à la destruction du monde, pour que l’huile de palme d’Asie alimente nos produits alimentaires industriels, nos complexes pétrochimiques et nos biocarburants (Total, soutenu par Macron, veut en fourguer dans sa raffinerie de la Mède), pour que nos voitures et camions roulent toujours plus, pour que le papier publicitaire et commercial se fabrique, pour qu’on puisse acheter des bois exotiques dans les magasins afin de décorer nos intérieurs bétonnés, etc.

Les Penan et les forêts primaires sont détruits pour que « notre » civilisation industrielle continue sur sa lancée, parce qu’on refuse d’affronter franchement le capitalisme et son monde, parce qu’on ne veut pas renoncer à notre pseudo confort mortifère et destructeur du monde qui emportera au final aussi nos vies, parce qu’on préfère faire des jeûnes une fois par mois en guise d’action de protestation, des achats de consom’action, ou s’étourdir dans l’alcool, les drogues et les concerts sympas, parce qu’on fait, aujourd’hui comme hier, des marches pacifistes implorant des dirigeants capitalistes psychopathes au lieu de s’attaquer vraiment et inlassablement aux causes des innombrables problèmes.

Quantité de spectateurices ont vu ce film, combien vont ensuite essayer vraiment d’agir pour empêcher le massacre de continuer, pour arrêter pour de bon la civilisation industrielle et construire autre chose ?

C’est un peu court et un peu vain de juste projeter des films, de juste débattre vite fait, de ne pas chercher à approfondir le sujet, de ne pas ensuite s’organiser pour combattre et construire.
A quoi ça sert de juste constater que ça va mal si on n’en fait pas quelque chose ensuite ? Chacun rentre chez soi et se démerde tout.e seul.e avec ça ?
A quoi ça sert de faire un film sans mettre en perspective la civilisation qui est la cause du désastre ?
On connaît depuis trop longtemps la déforestation partout dans le monde, il est temps de nommer les causes, les responsables, le système qui génère cette destruction, et d’agir ici pour arrêter tout ça. Ce dont on a besoin c’est de stratégies et d’actions pour arrêter le massacre, pas d’un énième film qui nous tire des larmes.

Vous me direz qu’il est bon que les personnes pas au courant s’informent, certes, mais les personnes non déjà informées vont-elles à ce type de festival ?

A quoi ça sert de faire un festival de films documentaire s’il n’y a pas d’espaces prévus pour approfondir et préparer des actions consistantes, s’il n’y a pas de films qui proposent une mise en perspective plus large du désastre, de ses causes et des moyens d’y remédier ?

Je me demande presque si voir un peuple en train agoniser ne serait pas juste une distraction parmi d’autres, une manière de se donner bonne conscience, de se rassurer (« ici on vit plutôt bien » en comparaison) à bon compte, de se sentir au dessus du lot, parmi les gens biens et courageux qui voient des films ayant du sens.

Y a des jours où je suis tenté d’arrêter d’écrire des articles (chouette diront certains), car si les faits horribles et leur accumulation astronomique n’entraînent pas une insurrection générale, que pourrais-je bien ajouter de plus qui inciterait au réveil ?

Je n’irai plus dans ce type de festival, sauf peut-être pour distribuer des tracts et faire des scandales pour appeler à la révolte organisée.

Voici la carte pour 2010, en 2018 ça doit être pire encore !


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